Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les antidouleurs ou tueurs de douleurs, anatomie d'une addiction

La presse grand public relaie les histoires de consommation excessive, et/ou de décès induits de personnes célèbres, vulnérables aux addictions. L'actrice Jamie Lee Curtis a été dépendante aux antidouleurs pour calmer des douleurs émotionnelles et physiques. Récemment, le décès de Prince serait possiblement dû à une overdose d'opioïdes.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

«Painkiller», le tueur de douleur, est le nom d'un héros métallique chanté par le groupe de heavy metal anglais Judas Priest, il y a 26 ans. «Faster than a bullet / Terrifying scream / Enraged and full of anger / He's half man and half machine / Rides the metal monster / Breathing smoke and fire / Closing in with vengeance soaring high». Ces paroles, chantées par Rob Halford, pourraient décrire poétiquement les désordres induits par une consommation excessive de ce type de médicament opioïde sur des neurones humains. C'est imagé, fantasmé mais possiblement vrai.

Parlons science et pharmacologie, maintenant!

Les antidouleurs, ce sont des antalgiques opioïdes, qui en se fixant sur des récepteurs dans le cerveau et la moelle épinière, soulagent des douleurs qui ne répondent pas aux antalgiques classiques comme le paracétamol. Lorsqu'ils sont bien prescrits, dans le cadre d'un suivi médical rigoureux, ils jouent leur rôle thérapeutique.

Il existe d'ailleurs différents types de médicaments:

  • les antalgiques opioïdes faibles comme la codéine et ses dérivés, le tramadol couplé ou non au paracétamol;
  • les antalgiques opioïdes mixtes comme la buprénorphine et la nalbuphine;
  • les antalgiques opioïdes morphiniques comme le fentanyl, la morphine et l'oxycodone.

On parle beaucoup de ces médicaments en ce moment. L'ancien patron (de 1990 à 1997) de la Food and Drug Administration, l'autorité américaine de régulation des denrées alimentaires et des médicaments, le Dr Kessler, a récemment lancé un appel sur le niveau épidémique de prescription de ces antalgiques opioïdes aux États-Unis et sur ses conséquences. Le problème a dépassé le milieu rural initialement touché et aucune classe sociale n'est épargnée. Certains médecins et scientifiques s'inquiètent de l'usage addictif de ces médicaments.

Une dépendance répandue chez les stars

La presse grand public relaie également les histoires de consommation excessive, et/ou de décès induits de personnes célèbres, vulnérables aux addictions. L'actrice Jamie Lee Curtis a été dépendante aux antidouleurs pour calmer des douleurs émotionnelles et physiques. Elle est abstinente depuis 17 ans maintenant. Nicole Richie, la fille du célèbre chanteur de Hello,Say You, Say Me et plein d'autres hits, a été addict à l'alcool, à l'héroïne et a ajouté le Vicodin (un dérivé de la codéine) à sa liste en 2006. Dr House se shootait avec cette molécule dans la fameuse série. Matthew Perry, l'acteur de la série à succès Friends a aussi été désintoxiqué de différentes substances dont des antalgiques opioïdes, et il est actuellement abstinent. Il en est de même pour les enfants du Prince des Ténèbres et célèbre chanteur de hard rock, Ozzy Osbourne. Ce dernier ayant déclaré «c'est un problème de famille, ces drogues... C'est dans nos gènes». Marshall Mathers, plus connu sous le nom d'Eminem, l'un des plus gros vendeurs de musique rap, a chanté ses expériences de défonce dans les chansons These Drugs, Under The Influence, Drug Ballad. Il mixait le rhum aux ecstasy et aux antidouleurs. Courtney Love, la veuve du chanteur de Nirvana, ou l'acteur Charlie Sheen en ont aussi fait les frais, comme des professionnels du basket-ball ou du football américain...

Il y a aussi les histoires de décès en lien avec ces produits. Michael Jackson luttait contre cette dépendance depuis longtemps. Il avait été obligé d'annuler brutalement une partie de son Dangerous Tour dans les années 1990. Le King Elvis Presley prenait plus de 20 comprimés par jour dont des antalgiques opioïdes. Récemment, le décès de Prince serait possiblement dû à une overdose d'opioïdes, l'artiste était dépendant à ces agents pharmacologiques depuis au moins l'époque où il chantait Purple Rain.

Dépendance, overdoses, hépatites

La dépendance est une pathologie cérébrale multifactorielle, chronique, récurrente, caractérisée par la poursuite répétée d'une consommation ou d'un comportement pour lutter contre une souffrance, malgré des conséquences sur la santé. La capacité à ressentir du plaisir et à trouver la motivation à poursuivre des activités quotidiennes est touchée. Des envies irrésistibles de consommer sont présentes et obsédantes. Les émotions négatives, lorsque ces envies ne sont pas assouvies, sont présentes. Une mauvaise prise de décision, une perte de contrôle, un manque de régulation personnelle, sont également des éléments présents dans cette maladie et à l'origine de rechutes.

Les antalgiques opioïdes ont un potentiel addictif non négligeable de par leur action pharmacologique et neurobiologique. Dans une étude réalisée par Conrardy et ses collaborateurs, en 2015, aux urgences d'un hôpital américain, les patients interrogés avaient des représentations diverses concernant le risque d'addiction à ces médicaments. Certains ne savaient pas que c'était potentiellement addictif, d'autres sous-estimaient leur risque personnel d'addiction et d'autres, qui avaient peur de devenir addict, préféraient ne pas prendre ces médicaments malgré le risque d'une mauvaise prise en charge de leurs douleurs.

Aux États-Unis, selon l'enquête nationale menée par la Substance Abuse and Mental Health Services Administration en 2014, 1,9 millions de personnes avaient un trouble lié à l'usage de substances impliquant les antalgiques opioïdes. En 2014, 467 000 adolescents américains utilisaient régulièrement ces médicaments et 168 000 d'entre eux souffraient d'une addiction aux tueurs de douleur. La population féminine serait plus exposée à la dépendance à ces médicaments que les hommes. Un début de consommation à un jeune âge, entre 16 et 45 ans, des consommations excessives, des antécédents familiaux d'addiction, des antécédents personnels d'abus de substances, des pathologies psychiatriques associées (trouble bipolaire, dépression, TOC, hyperactivité avec déficit de l'attention...), des antécédents d'abus sexuel avant l'adolescence, des facteurs génétiques, des facteurs développementaux, l'environnement sont des facteurs de risque de développement d'une addiction. Mais tout le monde ne devient pas addict!

Les antalgiques opioïdes, pris de façon chronique, peuvent entraîner un état pharmacologique appelé dépendance physiologique, qu'il faut distinguer de l'addiction. Il s'agit d'un syndrome de manque (sevrage) associé ou non à un phénomène de tolérance (augmenter les doses pour retrouver les effets de la première fois).

Les antalgiques opioïdes peuvent entraîner des overdoses (OD), cause mortelle accidentelle avec environ 19 000 personnes touchées aux États-Unis. En France, selon l'Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie, les niveaux d'usages sont plus faibles avec environ 200 à 300 overdoses par an dont 12 % dus aux antalgiques opioïdes. Ces risques d'OD sont majorés par la prise de tranquillisants, d'alcool ou d'autres drogues. La naloxone, antidote des OD, en spray nasal ou par voie injectable, devrait être accessible plus facilement et prescrite chez les personnes prenant des antalgiques opioïdes. Actuellement, son utilisation n'est supervisée que médicalement.

Certains antalgiques opioïdes sont combinés à du paracétamol qui est un élément très toxique pour le foie. Le risque d'hépatite est donc non négligeable chez les personnes surconsommant les painkillers.

En 10 ans, les overdoses et les prises en charge pour addiction ont augmenté parallèlement (entre 1999 et 2009) aux États-Unis.

Prudence lors de la prescription

La prescription d'antidouleurs n'est donc pas anodine. Même si tout le monde ne devient pas addict à une substance, il faut prendre en compte cette notion, en recherchant tous les facteurs de risque, au début et au cours du traitement. Prendre en charge la maladie addictive si elle est présente, notamment avec des traitements de substitution, informer sur les risques d'overdoses, notamment lors de mélanges avec d'autres substances ou avec l'alcool, informer sur les risques pour le foie, sont des messages importants à faire passer dans la communauté médicale et au grand public.

Laurent Karila est l'auteur du livre "Votre plaisir vous appartient", parution le 1er juin 2016.

2016-05-16-1463417398-9051263-VotrePlaisirVousAppartient_Couv.jpg

À VOIR ÉGALEMENT:

Une maladie chronique

9 causes sournoises de la dépression

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.