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Sous-représentation des minorités dans les services de police; au-delà des chiffres

Il est démontré que dans les pays qui ont amélioré la représentation des minorités culturelles au sein de leurs services policiers, aucune amélioration de la relation entre la police et les communautés minoritaires n'a été observée.
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Dans la foulée des fortes tensions entre policiers et civils chez nos voisins du sud, CBC nous renvoie une image statistique de la réalité canadienne et publie une enquête sur la sous-représentation des minorités visibles et autochtones dans les corps de police municipaux canadiens.

À première vue, cette enquête semble vouloir soulever des questions intéressantes concernant les relations entre policiers et communautés culturelles au Canada suite aux événements récents aux États-Unis. Malheureusement, elle effleure les questions de fond et contourne la problématique réelle avec des données très peu révélatrices, voire plutôt banales.

L'enquête de CBC compare le pourcentage des effectifs policiers issus de minorités visibles dans les services policiers des grandes villes canadiennes avec le pourcentage des minorités visibles dans la population de ces villes. Les auteurs de l'enquête disent vouloir dresser un portrait de la diversité ethnique au sein des institutions chargées de faire appliquer la loi. L'enquête semble assumer implicitement l'existence d'un lien entre diversité ethnique au sein d'un service policier et diminution de la discrimination policière envers les communautés ethniques... ce qui s'avère être une fausse hypothèse. En effet, le nombre d'agents de police issus de minorités visibles au sein des services policiers ne documente en rien la nature des relations entre policiers et communautés ethniques au Canada, sauf au sein des communautés autochtones.

«Il est démontré que dans les pays qui ont amélioré la représentation des minorités culturelles au sein de leurs services policiers, aucune amélioration de la relation entre la police et les communautés minoritaires n'a été observée. »

Le cas des États-Unis dévoile la banalité de ces chiffres

Pour démontrer la banalité de ces données statistiques, jetons un coup d'œil à la proportion de minorités ethniques dans les services policiers états-uniens dans les districts où les relations sont particulièrement tendues : à Bâton Rouge, la communauté afro-américaine représente 54,8% de la population et les policiers afro-américains constituent 29,6% des effectifs policiers ; dans l'État du Minnesota, ces chiffres représentent respectivement 17,7% et 8,8% (données issues du Police Department Race and Ethnicity Demographic Data). Les proportions de représentation de cette simple communauté culturelle est bien au-delà des tendances canadiennes en matière de diversité ethnique des services policiers. Est-ce que la situation est pour autant moins pire aux États-Unis? Non. Les journalistes américains pourraient s'amuser à observer la variation de la représentation ethnique au sein des organes policiers ; la classe politique pourrait se fixer des objectifs de représentation ethnique à la hausse dans les services policiers... Et la problématique ne s'en trouverait que mieux contournée.

L'enquête de CBC repose sur une fausse hypothèse

Il a été prouvé par plusieurs études (Jaccoud 2003 [1]) , Bodeur 1991 [2], Jaywardene et Talbot 1990 [3]... parmi tant d'autres) que la politique de recrutement des corps policiers n'a aucune incidence sur les rapports entre les policiers et les minorités ethniques. Raison? La forte culture organisationnelle au sein des organes policiers. Il est démontré que dans les pays qui ont amélioré la représentation des minorités culturelles au sein de leurs services policiers, aucune amélioration de la relation entre la police et les communautés minoritaires n'a été observée. Le phénomène est explicable par une distanciation des minorités ethniques de leur communauté d'origine et de la perte des attributs ethniques. Le nombre de policiers issus de minorités ethniques n'est donc pas un indicateur de forte ou faible discrimination policière envers les minorités. Cet argument a d'ailleurs été souligné par un chercheur de l'Université de Toronto interrogé par les auteurs de l'enquête. Cela n'a malheureusement pas amené ces auteurs à investiguer davantage dans cette direction et à s'intéresser aux réels indicateurs de discrimination ethnique.

Des études soulignent que l'exception à la règle sont les villages autochtones, où la présence de policiers issus de ces communautés est incontournable pour saisir les mécanismes informels de contrôle social qui existent et y régulent la vie en communauté (Jain, Singh et Agocs, 2000 [4]). Ainsi, les seules données fournies par l'étude qui sont réellement révélatrices sont celles qui concernent le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.

Poser les bonnes questions, ou comment obtenir des résultats... révélateurs!

Si, suite aux événements tendus avec les services policiers aux États-Unis, l'objectif de l'enquête est d'offrir un portrait du cas canadien en matière de relation entre forces policières et communautés culturelles, pourquoi ne pas prendre le pouls des «minorités» dans leur rapport avec ces forces policières? Ou encore, pourquoi ne pas aller explorer les travaux des criminologues spécialisés sur ces questions? À titre d'exemple, un professeur en criminologie à l'Université de Montréal a réalisé une étude qui classifie le niveau de la force policière utilisé en regard de la résistance du sujet pour un nombre donné d'interventions policières (voir Rémi Boivin, 82e congrès de l'Acfas). Ce type d'étude pourrait révéler des tendances dans l'interaction avec des groupes sociaux ou culturels... ou pas. D'où l'importance d'y jeter un coup d'œil. Enfin, pourquoi ne pas se pencher sur l'intervention et la non-intervention des pouvoirs politiques dans ce type de litiges impliquant les forces policières? D'ailleurs, la gestion des défis générés par les changements démographiques et des tensions qui en résultent est d'abord et avant tout l'œuvre des pouvoirs politiques.. on semble l'oublier.

En bref, en posant les bonnes questions, on éviterait de se méprendre avec des chiffres peu révélateurs qui laissent place à des interprétations erronées. L'enquête de CBC a recueilli d'excellents témoignages d'intervenants, mais l'ensemble de ses travaux dépeint un portrait qui en masque un autre. Quoiqu'il en soit, cette enquête a le mérite d'aborder un enjeu d'importance dans une ère de marginalisations sociales et religieuses problématiques, mais emprunte une avenue plutôt contestable, nous renseigner sur le sujet.

Références

[1] Jaccoud, Mylène, 2003. « Les frontières "ethniques" au sein de la police ». Criminologie, vol. 36, n° 2, p. 69-87.

[2] Brodeur, J.-P., 1991. « Access to justice and equality of treatment ». Montréal : Centre international de criminologie comparée.

[3] Jaywardene, C.H.S., & Talbot, C.K., 1990. « Police recruitment of ethnic minorities ». Ottawa : Canadian Police College.

[4] Jain, H. C., Singh, P. and Agocs, C. (2000). «Recruitment, selection and promotion of visible-minority and aboriginal police officers in selected Canadian police services». Canadian Public Administration, 43: 46-74

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