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Je suis retournée auprès de l’homme qui me frappait une semaine après l’avoir quitté

Voici pourquoi il est si difficile pour les femmes de partir pour de bon.
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Cette photo date d’après mon départ définitif. Je suis heureuse, libre et en sécurité.
Photo publiée avec l’aimable autorisation de Lauren Wellbank
Cette photo date d’après mon départ définitif. Je suis heureuse, libre et en sécurité.

La première fois qu'il m'a frappée, nous étions en voiture. Sans aucun signe avant-coureur, je me suis pris sa main dans la figure. Pendant un instant, nous sommes restés muets, sous le choc. Je me suis touché les lèvres pour voir si je saignais et mes doigts se sont teintés de rouge. Nous les avons fixés avec épouvante.

«Oh, putain!» Sa voix était plus aiguë qu'à l'ordinaire, paniquée. «C'était pour déconner, je te jure.» Il s'est mis à rire. «Je ne voulais pas te frapper.»

J'avais du mal à respirer.

«Je te jure. Je voulais juste te faire marcher», a-t-il répété. Mes mains tremblaient et mon cœur battait la chamade. «Jamais je te frapperais.»

J'ai hoché la tête. J'étais incapable de parler.

Il a relancé la conversation que nous avions avant l'incident. De temps en temps, il se tournait vers moi et s'excusait à nouveau. Chaque fois qu'il riait, ma tension baissait d'un cran. Mon rythme cardiaque est peu à peu revenu à la normale, et j'ai recommencé à discuter. Le temps que nous arrivions à l'endroit où nous nous rendions, ma lèvre avait cessé de saigner. J'ai commencé à adopter son point de vue: c'était un accident, une erreur, une gaffe.

La fois suivante, nous étions dans ma chambre. Nous étions en pleine dispute et, soudain, je me suis retrouvée par terre.

Nous nous disputions beaucoup à cette période. Il suffisait que je réponde de travers à une question pour qu'il se mette à donner des coups de poing dans les murs et à briser des verres, et je me recroquevillais sur le canapé en essayant de comprendre ce qui avait pu déclencher ça.

Durant les mois qui avaient séparé l'incident de la voiture de celui de ma chambre, je m'étais peu à peu coupée de la plupart de mes amis et de ma famille.

L'évolution de ma relation de couple m'effrayait, j'étais déboussolée par la rapidité avec laquelle tout avait changé, humiliée de me retrouver dans cette situation, et je ne savais pas comment exprimer tout cela.

Je sais que beaucoup de gens se disent: «Je ne laisserais jamais personne me traiter de cette façon.» Ou: «Je ne comprendrai jamais comment une femme peut se retrouver dans ce genre de relation.» Je m'efforce d'expliquer ce que j'ai vécu. Il n'était pas toujours comme ça. Il y avait de bons côtés. En dehors de nos disputes, tout allait bien. Il était drôle, gentil et attentif.

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Pendant ces bons moments, j'en venais à me demander si tout ça était vraiment arrivé. Les jours suivant une grave dispute, il était plus gentil, plus amusant et plus attentif que jamais. Il me promettait monts et merveilles.

Ça n'arriverait plus jamais.

Il n'avait pas voulu faire ça.

Il ne me ferait plus jamais de mal.

Il avait juste pété les plombs.

Promis.

Pendant quelque temps, tout allait pour le mieux. Il reconnaissait tacitement à quel point il avait déconné. Il était pleinement conscient que la situation était grave et que nous avions frôlé la rupture définitive.

S'il recommençait, je le quitterais: l'avertissement était clair. Et puis le cercle vicieux recommençait. Tout allait bien jusqu'à ce que les choses s'enveniment, et ainsi de suite.

Finalement, une dispute stupide pour une broutille a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. J'ai compris que je ne pourrais jamais être heureuse avec quelqu'un qui réagissait à la moindre contrariété par un déchaînement de violence. J'espérais qu'il comprendrait, qu'il verrait les choses de mon point de vue. Personne n'a envie de vivre ça.

Cette photo floue de moi dans la salle de conférence d'un hôtel pendant un voyage d'affaires est la seule que je conserve de l'époque où nous étions ensemble.
Photo publiée avec l'aimable autorisation de Lauren Wellbank
Cette photo floue de moi dans la salle de conférence d'un hôtel pendant un voyage d'affaires est la seule que je conserve de l'époque où nous étions ensemble.

Je me trompais. Quand je lui ai annoncé que je voulais qu'il parte, c'est comme si quelque chose s'était brisé en lui. Il est devenu plus furieux et plus violent qu'il ne l'avait jamais été. J'ai bien cru qu'il allait me tuer.

Le matin suivant, j'ai débarqué chez mes parents, tremblante et couverte de bleus. J'avais cru que franchir la porte de chez moi ce jour-là serait l'étape la plus difficile. En réalité, le plus dur a été d'expliquer ce qui c'était passé dans ma vie les mois précédents. Chaque fois que je racontais mon histoire — à ma mère, ma sœur, ma tante, mes amies proches —, c'était une véritable épreuve.

Dans leurs yeux, je ne voyais pas celle que j'avais toujours cru être, une femme forte et indépendante qui avait acheté sa première maison toute seule à l'âge de 23 ans, mais une femme faible et terrifiée.

Elle ressemblait à quelqu'un qui a passé des mois à prendre une série de décisions dangereuses et stupides, et je la détestais.

À l'époque, je ne savais pas qu'une Américaine sur quatre est victime de violences de la part de son conjoint. Je ne savais pas non plus que les femmes tentent de quitter ce genre de partenaire sept fois en moyenne avant d'y parvenir.

Plein de raisons poussent les femmes à retourner auprès de leur agresseur: des problèmes financiers, un manque de soutien de la part de leurs amis et de leur famille, et même la crainte des représailles.

Près de la moitié des femmes tuées aux États-Unis de 2003 à 2014 l'ont été par leur conjoint, dont 75% après l'avoir quitté.

Une semaine après être retournée chez mes parents, je me suis retrouvée assise à une table de restaurant en face de mon agresseur. Il m'avait envoyé des dizaines de courriels et de textos. Tous les jours, il faisait livrer un nouveau bouquet de mes fleurs favorites au bureau. Dans tous ses messages, il me suppliait de lui donner une chance de me dire à quel point il était désolé. Il ne pouvait pas vivre avec l'idée de m'avoir autant fait souffrir.

Si j'acceptais juste de le retrouver quelque part pour parler, il s'expliquerait. Et c'est ce qu'il a fait: il m'a dit qu'il avait eu peur de me perdre, voilà tout. Cela n'arriverait plus jamais. Il avait enfin compris que si rien ne changeait, je le quitterais pour de bon.

«Donne-moi juste une dernière chance de te le prouver», a-t-il imploré. «J'ai changé.»

Pouvais-je vraiment abandonner tout ce que nous avions partagé s'il y avait encore un espoir que tout redevienne comme avant? Et même mieux qu'avant, comme il le promettait.

Tout ce que j'avais à faire, c'était de lui donner une dernière chance. Qu'est-ce qu'une dernière chance quand on aime quelqu'un?

Vu de l'extérieur, c'est difficile à comprendre, mais tout ne se résume pas à un coup de poing. La violence conjugale est graduelle. Comme un homard dans une marmite, on ne se rend compte du danger que lorsque l'on est déjà plongée dans l'eau bouillante.

Quand on reçoit le premier coup, la situation est déjà critique. On ne s'en était pas rendu compte.

Alors on se persuade que c'était la première et la dernière fois, mais ça recommence. À ce moment-là, on est déjà trop effrayée et gênée pour demander de l'aide, parce que l'on a le sentiment d'être entrée dans la marmite et d'avoir allumé le gaz soi-même.

On se sent seule et terrifiée, et on a l'impression que l'on ne s'en sortira jamais. Pourtant, c'est possible, mais il faut parfois plusieurs tentatives. On revient parce que le monde extérieur nous paraît froid et hostile. Ou parce que l'on se sent plus en sécurité quand on sait où est la marmite. Moi, je suis revenue parce que je l'ai cru quand il m'a dit que l'eau était bonne.

C'était faux.

Cette photo date de la période charnière où je l'ai quitté une première fois avant de revenir vers lui.
Photo publiée avec l'aimable autorisation de Lauren Wellbank
Cette photo date de la période charnière où je l'ai quitté une première fois avant de revenir vers lui.

Pendant quelques semaines, tout s'est passé à merveille. Et puis, comme il fallait s'y attendre, tout a déraillé à nouveau.

La seconde fois que j'ai dit ce qui m'arrivait, ça a été encore plus pénible. Finis, les regards compatissants. Cette fois, j'étais responsable de ce qui m'était arrivé. Le policier que j'ai vu a secoué la tête d'un air réprobateur, mon patron a détourné le regard quand je lui ai expliqué pourquoi j'avais besoin de quelques jours de congé, et j'ai vu la déception se peindre sur le visage de mes proches quand je leur ai dit: «J'ai cru qu'il allait changer, mais je me suis trompée, et voilà.»

Comme je l'écrivais, il faut sept tentatives en moyenne avant de partir pour de bon. Heureusement pour moi, il ne m'en a fallu que deux. J'étais terrifiée et j'avais le cœur brisé, mais, avec l'aide de ma famille et de mes amis, je m'en suis sortie définitivement.

Avec le recul, il est facile de voir l'engrenage dans lequel j'étais prise, mais, à l'époque, ce n'était pas aussi clair. Cela m'embarrasse de l'admettre parce que, franchement, qui se laisse traiter de cette façon? Qui se retrouve dans ce genre de relation toxique?

Apparemment, quelqu'un comme moi.

Et peut-être même quelqu'un comme vous, ou une personne de votre entourage. Une Américaine sur quatre est concernée, ce qui veut dire vos amies, vos sœurs, votre comptable, et même la femme qui vit dans le superbe appartement à l'étage au-dessus. C'est effrayant de constater à quel point c'est commun.

Pourtant, personne n'en parle, alors que c'est vital. Couvrir les violences conjugales d'un voile de honte et de silence protège les agresseurs, et empêche les victimes de demander de l'aide. Mon histoire était humiliante, et elle le reste encore des années plus tard, mais si mon témoignage peut aider ne serait-ce qu'une seule autre personne à s'en sortir alors je n'ai pas honte de la crier sur tous les toits.

J'ai été cette statistique. Je suis partie, revenue, et partie à nouveau, pour de bon. Vous pouvez y arriver, vous aussi.

Ce blogue, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

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