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Je participe à dix marathons cette année et je continue à être la cible des grossophobes

Quand les pires commentaires viennent de ceux qui ont été aussi gros que moi, voire plus, et qui parfois le sont toujours, ça fait encore plus mal.
En 2018, il aura fallu 28 h 27 min à Latoya Shauntay Snell, en ne s'autorisant qu'une heure à peine de sommeil, pour boucler ses premiers cent kilomètres dans la fournaise de Fountain Hills, en Arizona. Dernière à franchir la ligne d'arrivée, elle était surprise que tant de gens soient restés pour l'attendre.
Courtoisie HOKA ONE ONE Media Team
En 2018, il aura fallu 28 h 27 min à Latoya Shauntay Snell, en ne s'autorisant qu'une heure à peine de sommeil, pour boucler ses premiers cent kilomètres dans la fournaise de Fountain Hills, en Arizona. Dernière à franchir la ligne d'arrivée, elle était surprise que tant de gens soient restés pour l'attendre.

L'an dernier, j'ai couru deux 50 km et quatre marathons, dont trois en l'espace de deux mois. Et, une semaine avant de prendre le départ du marathon de New York, j'ai terminé mon premier 100 km, la Javelina Jundred, dans le désert d'Arizona.

Cette année, je me suis inscrite à dix marathons et à un 50-miler (80 km) et j'ai l'intention de courir mon premier 100-miler. Pourtant, bien que j'aie remporté plus de 100 médailles et participé à près de 200 épreuves de course, cyclisme et course d'obstacles en cinq ans, la police du Net ne cesse de me rappeler que je dois perdre du poids. Je suis une coureuse de l'extrême, décomplexée, je mesure 1,60 m pour 100 kg, je viens de Brooklyn, je suis sponsorisée par la marque de chaussures de course OKA ONE ONE et je fais constamment l'objet de remarques sur mon poids.

Le 3 janvier, j'ai publié sur Instagram une vidéo de mon régime fitness. Le lendemain, elle a réapparu comme suggestion sur ma page "Explore", republiée par une personne suivie par plus de 50.000 personnes. Bien qu'elle ne m'ait pas identifiée dans le commentaire, cette personne exprimait son "inquiétude" car, bien qu'elle qualifie mon "entraînement avancé" de remarquable, elle avait "peur du choc" infligé à mon corps enrobé.

Peut-être cette personne s'est-elle dit que je serais, et devais être, réconfortée par la sympathie dont elle (et ses nombreux abonnés) faisait preuve à l'égard de mon "programme de remise en forme". Eh bien non. Pire, quand j'ai voulu m'entretenir en privé avec elle, elle m'a immédiatement bloquée.

Latoya à l'entraînement en janvier 2019.
Latoya à l'entraînement en janvier 2019.

Franchement, je ne sais pas ce qui m'a le plus amusée dans cette publication: le fait que des médecins Google et WebMD ignorant tout de mon programme de remise en forme entrepris il y a cinq ans soient en mesure de disserter sur mes habitudes alimentaires supposées, ou bien le nombre incalculable de gens suggérant qu'une femme ne devrait pas soulever de poids mais s'en tenir aux activités cardiovasculaires.

Au fil des ans, j'ai vu beaucoup de gens totalement déstabilisés en apprenant que si je m'entraînais ou participais à quantité d'événements, ce n'était pas uniquement pour perdre du poids. Et les commentaires désobligeants ne se cantonnent pas à internet. Il s'est écoulé à peine plus d'un an depuis les remarques grossophobes dont j'ai été victime au marathon de New York 2017. Mais les insultes ont commencé bien avant ça.

Quand j'ai commencé à faire de l'exercice, en mai 2013, je pesais plus de 265 livres et j'avais pas mal de problèmes, dont certains n'avaient rien à voir avec mon poids, qui limitaient ma mobilité et me causaient d'immenses souffrances. Mon médecin m'a exhortée à prendre ma santé en main et j'ai rapidement supposé qu'une perte de poids s'imposait. J'ai perdu 100 livres en un an.

Au départ, les amis, la famille et les curieux m'ont félicitée et m'ont dit que j'étais "un modèle". Sans même m'en apercevoir, mon objectif de remise en forme s'est transformé en volonté d'obtenir un corps soi-disant idéal qui plairait aux autres. Si je reconnais que perdre du poids m'a permis d'envisager une nouvelle façon de tirer profit de mon côté aventureux et de faire des choses que je n'aurais pas imaginées avant ce programme, contenter mon entourage est devenu une obsession.

Au moment de cette perte de poids, un ami anglais m'a incitée à m'inscrire à mon premier semi-marathon. Je n'avais jamais couru ne serait-ce que 5 km, mais j'ai eu envie d'essayer ce que je considérais, à ce moment-là, comme une expérience que je ne renouvellerais pas. J'avais tort. En plus de m'enseigner l'esprit de groupe, courir m'a fait éprouver un tout nouveau respect pour mon corps. Je suis rapidement devenue dingue de sport et j'ai commencé à partager mes progrès sur les réseaux sociaux. Rapidement, les commentaires négatifs sont apparus. Ce qui était étrange, c'est qu'ils me rappelaient ceux que je recevais quand je pesais plus de 265 livres.

À ce moment-là, j'étais stabilisée à 175 livres et rentrais facilement dans du 8. Pourtant, mes boîtes courriels étaient pleines de messages venant d'amis et de connaissances qui me posaient tous différentes versions de la même question: "Si tu cours, comment se fait-il que tu sois toujours grosse?"

Mes boîtes courriels étaient pleines de messages venant d'amis et de connaissances qui me posaient tous différentes versions de la même question: "Si tu cours, comment se fait-il que tu sois toujours grosse?"

À l'inverse, d'autres m'accusaient de m'être droguée pour avoir perdu tant de poids et se moquaient de ma petite carrure. Je me suis soudain retrouvée prise entre ceux qui pensaient que j'étais "trop grosse" et ceux qui estimaient que j'étais "trop maigre". J'avais beau avoir perdu plus de poids que prévu et me sentir bien, j'ai eu le sentiment que, quoi que je fasse et quel que soit mon poids, certains ne seraient pas satisfaits.

J'ai alors commencé à écouter d'autres conseils que ceux de mon médecin, à courir 50 à 60 km par semaine, passer 45 minutes à la salle de sport au moins quatre fois par semaine et manger à peine 1500 calories par jour. Tout cela, pendant des mois. J'ai vite souffert de troubles de mémoire, d'une grande fatigue et j'ai rapidement atteint un plateau. Le pire, c'est que je me détestais.

J'ai continué à ignorer mon besoin de nourriture et j'ai refusé de lever le pied sur les séances d'entraînement. Je n'ai pas voulu voir les signes de malnutrition et de déshydratation sévère. Et puis, en avril 2015, alors que je me rendais au travail, je me suis mise à transpirer abondamment alors qu'il gelait à pierre fendre ce jour-là. Plusieurs passagers m'ont demandé si j'allais bien en voyant mon tee-shirt trempé sous mon manteau. Après les avoir rassurés, j'ai fait comme si de rien n'était jusqu'à ce que je perde brusquement la vue, un moment plus tard, dans une rue bondée de Manhattan. J'ai réussi à aller jusque chez mon ancien employeur sur Lower East Side et je me suis évanouie en entrant dans le restaurant.

Je me suis convaincue que j'avais subi une crise de panique jusqu'à ce qu'un médecin me demande si je souffrais d'anorexie mentale. J'ai commencé par rigoler, puis le médecin m'a énuméré des symptômes que j'avais eus mais ignorés, comme la perte de cheveux et un pouls irrégulier. J'ai alors pris conscience que ma vanité et l'opinion des autres auraient pu me coûter la vie. Il a fallu des mois de conseils et d'automotivation positive pour que je sois enfin capable de reprendre du poids et que je finisse par accepter mon corps tel qu'il est aujourd'hui.

Latoya s'entraîne partout, aussi bien dans un stade que sur un tapis de course ou en pleine rue.
Latoya s'entraîne partout, aussi bien dans un stade que sur un tapis de course ou en pleine rue.

Quand j'ai repris du poids, j'ai commencé par paniquer mais mon thérapeute m'a aidée à me demander ce qui me faisait réellement peur. Après avoir été, des années durant, conditionnée à vouloir ressembler aux couvertures de magazine et immergée dans la culture du régime, j'étais moi-même devenue grossophobe. Je me suis mise à courir sur de plus longues distances et j'ai abandonné le désir de perdre du poids, préférant réorienter mon programme de remise en forme. J'ai alors rapidement remarqué que j'étais entourée d'athlètes de toutes formes, tailles et capacités. Le poids ne détermine pas forcément le courage ou l'aptitude physique.

Chez les coureurs, on dit souvent qu'on est coureur à partir du moment où on bouge son corps, quel que soit le rythme auquel on le fait. Il m'est également vite apparu évident que mon corps avait besoin de carburant, même pendant mes déplacements. Ce n'était pas pour autant que je devais manger tout ce qui me tombait sous la main, mais je devais être à l'écoute de ses besoins.

Hélas, ce n'est pas parce que j'ai changé de point de vue sur l'image corporelle que le monde a changé avec moi. Quand j'ai lancé mon blog, Running Fat Chef,en 2016, on m'a traitée de grossophobe, de raciste et on m'a accusée de culpabiliser les parents. On m'a même reproché d'être à l'origine du diabète de type un de mon fils de onze ans.

Les trolls "préoccupés", que j'ai surnommés les "Vengeurs de la recherche Google", comptaient parmi les pires parce qu'ils arrivaient toujours à dégoter un "fait" opportun pour réfuter mes propos ou mes actions. Une autre des techniques favorites de mes détracteurs consistait à déformer mes paroles pour les utiliser contre moi. Par exemple, si j'affirmais défendre la positivité corporelle, on m'accusait de "promouvoir l'obésité", ce dont on me taxe régulièrement.

En septembre dernier, Latoya s'est associée à la marque de chaussures de course HOKA ONE ONE pour évoquer les facettes de son programme de remise en forme et partager quelques-uns des e-mails odieux qu'elle reçoit régulièrement.
Courtoisie HOKA ONE ONE Media Team
En septembre dernier, Latoya s'est associée à la marque de chaussures de course HOKA ONE ONE pour évoquer les facettes de son programme de remise en forme et partager quelques-uns des e-mails odieux qu'elle reçoit régulièrement.

J'ai également appris que si l'on se plaint trop d'être victime de grossophobie, on est accusés de ne pas avoir la peau assez dure, de verser dans la victimisation et on nous conseille de "tendre l'autre joue". Laissez-moi vous dire que j'ai la figure rouge, gonflée et endolorie tellement je l'ai tendue.

Je n'ai ni l'envie ni le temps de me battre contre tous ceux qui tiennent à mon encontre des propos désobligeants, mais je refuse d'ignorer, de sourire et d'encourager cette attitude d'émeutiers pratiquée par le tribunal de l'opinion publique sur internet. Je préfère choisir mes batailles et camper sur mes positions. J'encourage d'ailleurs tout le monde à faire de même.

Internet offrant souvent un anonymat total, les gens se sentent autorisés à tenir des propos qu'ils ne tiendraient pas en personne. Que leurs commentaires soient le résultat d'un conditionnement visant à croire à des "formules de santé" dépassées telles que l'IMC ou qu'ils viennent d'individus aux prises avec leur grossophobie, je ne dois aucune explication à quiconque sur mon corps ou mon image corporelle. Pour moi, c'est aussi simple que ça: occupez-vous de vos affaires plutôt que de ma balance et mon assiette.

Je tente parfois d'avoir des conversations sensées avec certains de mes détracteurs et je leur demande pourquoi ils ont des idées aussi arrêtées sur mon poids ou ma façon de vivre. Si je peux avoir une discussion constructive avec quelqu'un sur un forum public tel que les commentaires d'Instagram, je me dis que ça pourrait servir à d'autres. Mais il arrive que ce soit tout simplement impossible et je dois me résoudre à bloquer certaines personnes.

Je ne dois aucune explication à quiconque sur mon corps ou mon image corporelle. Pour moi, c'est aussi simple que ça: occupez-vous de vos affaires plutôt que de ma balance et mon assiette.

Les trolls présents dans ma vie ne sévissent toutefois pas seulement en ligne. Il est arrivé qu'il s'agisse de collègues ou d'amis. Aujourd'hui, ce sont essentiellement des inconnus qui ne savent pas garder leur opinion pour eux. J'estime qu'il est déplacé de s'autoriser à juger ma santé ou mon corps et je ne céderai jamais à la pression pour que je livre des informations sur mon dossier médical ou ma vie privée. S'il n'y a pas moyen de leur faire comprendre à quel point leur comportement est intrusif et qu'ils doivent me laisser tranquille, je bats en retraite avant de perdre mon sang-froid.

Quand les commentaires les plus cruels viennent de ceux qui ont été aussi gros que moi, voire plus, et qui parfois le sont toujours, ça fait encore plus mal. Je suppose que ce n'est pas avec moi qu'ils ont un problème, mais plus certainement avec ce que je représente. Il n'empêche qu'obtenir des réactions négatives de personnes qui ont traversé ou traversent encore les mêmes épreuves me laisse un goût particulièrement amer.

Au lieu de m'en prendre à eux, je me rappelle qu'il appartient à chacun de décider du moment et de la façon dont il se sentira bien dans sa peau. Certains n'y arriveront peut-être jamais, et ce n'est pas grave. Aussi long et difficile que puisse être ce parcours, il n'est pas question que je sois le punching-ball qui va leur servir à travailler (ou éviter de travailler) sur le problème qu'ils ont avec leur corps ou leur image corporelle.

En ce moment, quand je me réveille le matin, je me demande comment donner le meilleur de moi-même. Je ne cherche plus à atteindre les objectifs physiques de quelqu'un d'autre, à susciter l'admiration de qui que ce soit. Je suis trop occupée à tenir à distance mes propres peurs. En me regardant dans le miroir, je veux être fière de l'athlète et de l'être humain que je suis devenue.

Latoya court le New York Road Runners Mini 10K en mai 2018.
Courtoisie New York Road Runners
Latoya court le New York Road Runners Mini 10K en mai 2018.

Il y six ans, je n'aurais jamais cru que je prendrais le fitness si sérieusement que j'y ferais carrière, surtout parce qu'on ne m'a jamais dit que je pouvais, et devais, aimer mon corps et toutes les choses incroyables qu'il est capable de faire, quels que soient sa forme et son état. Si je perds du poids, tant mieux, mais ce n'est plus là-dessus que je me concentre. Je me sens aujourd'hui si forte de cette nouvelle confiance que j'aimerais la voir contaminer les autres afin qu'ils se rendent compte du bien que ça fait.

Quant à ceux qui continuent à imaginer la taille de mes portions, ou mon poids, ou qui ne peuvent qu'être dégoûtés par mon bonheur, je leur souhaite d'être heureux. J'espère qu'un jour, pas trop lointain, ils seront capables de se pencher sur eux-mêmes et de s'occuper suffisamment de leur propre vie pour ne pas se mêler de la mienne. J'espère qu'ils apprendront à passer davantage de temps à s'aimer qu'à nous détester, mes semblables et moi. Avec un peu de chance, ils finiront par garder pour eux leurs commentaires non sollicités et non désirés.

En dehors de ses entraînements, Latoya est chef cuisinière indépendante, photographe et fondatrice de Running Fat Chef, un blog qui aborde, de manière très franche, les questions de fitness et d'alimentation et raconte son expérience en tant qu'athlète féminine de couleur taille XL. Elle collabore à des plateformes telles que Runner's World, Gear Junke et The Root. Elle est aussi coanimatrice de The Long Run, qui fait partie du podcast 300 Pounds and Running.

Ce blogue, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Catherine Biros pour Fast ForWord.

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