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Barbarie humaine, combat sans fin!

Toutes les sociétés sont à risque de barbarie, même les nôtres, même le Canada. Imaginons à l'aube du XXIIe siècle un dérèglement climatique excessif avec des dizaines, peut-être même des centaines de millions de réfugiés aux portes du Canada, est-on sûr qu'on agira intelligemment?
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Tous les jours nous sommes informés de monstrueux massacres qui nous laissent abasourdis; comment de telles abominations peuvent-elles advenir au XXIe siècle? Certes les gens meurent également dans les combats entre pro-russes et nationalistes ukrainiens, mais on sent intuitivement qu'il n'y a rien de commun entre ces victimes et les 150 étudiants chrétiens que les islamistes ont abattus avec un horrible sadisme au Kenya. Les morts s'additionnent aux morts jusqu'à la nausée!

Il semble que depuis l'aube des temps historiques, l'homme n'a jamais cessé de marquer dans sa chaire son inhumanité.

Pourquoi une telle barbarie?

On rend compte habituellement de ces épisodes de fièvres barbares par l'Histoire et la géographie, le choc des intérêts ou des visions menant aux conflits ouverts entre « Eux » et « Nous » (défini comme le lien unissant soit l'ethnie, la classe sociale, la nation, la religion ou l'idéologie). Je ne crois pas que derrière ces causes proximales, serait embusqué un mal démoniaque comme le veulent les théologiens. La main invisible qui prédispose l'humanité à tant de tragédies récurrentes n'est ni religieuse ni métaphysique, elle se situe plutôt du coté de la biologie évolutionnaire qui a mené à l'espèce homo sapiens et à sa manière de faire société.

Je m'explique à coup de serpe puisque limité dans le format de ce journal et requiert de ce fait l'indulgence du lecteur.

Les sociétés humaines sont ainsi faites

Toute société est nécessairement composée d'une immense majorité de conformistes et d'une infime poignée d'innovateur/iconoclaste; elle exploserait ou dépérirait au cas ou l'un ou l'autre des deux termes venait à changer drastiquement.

Imaginons d'abord une société composée très majoritairement d'esprits rétifs au prêt à penser, impossible à embrigader, de brillants innovateurs remodelant sans cesse les savoirs et les savoir-faire. Une société d'individualistes avec un tel niveau de bouillonnement intellectuel - philosophique, scientifique et artistique - ne pourrait pas perdurer sans qu'une majorité de ces génies soit confinée à des tâches subalternes. Comment pourraient-ils s'y plier? Si tous les généraux de Napoléon se définissaient à l'instar de l'empereur, peu portés à l'obéissance, comment celui-ci aurait-il pu déployer son génie militaire? Aldous Huxley dans son livre de fiction dystopique A brave new world décrit brièvement pourquoi une société composée uniquement d'alphas, la caste suprêmement intelligente, s'effondrerait rapidement. Comme on le devine aisément, un innovateur est par définition un iconoclaste, un transgresseur, un blasphémateur, bref, un individualiste à l'image du surhomme de Nietzche. Peuvent-ils être une multitude? Peu probable!

Envisageons maintenant une société composée uniquement de conformistes. Son mode de fonctionnement serait axé sur la seule reproduction du même, en un mot, rituels et statu quo. Par-dessus tout, on ne peut attendre aucune indépendance de pensée des conformistes. Cette société finirait par être balayée lorsque son environnement physique, social ou politique changerait. Et de façon absolument inévitable, tout environnement change. La loi d'airain, c'est le changement ou périr. On peut rétorquer qu'il existe pourtant des groupes qui maintiennent leurs traditions intactes sans ajouts ni retranchements par exemple les communautés amish ou hassidiques, communautés figées dans le temps, la loi de dieu donnée une fois pour toutes ayant préséance sur la loi des Hommes. Mais ces groupes en fait trichent, ils profitent des innovations de l'environnement, par exemple les traitements médicaux et de plus leur sécurité générale est prise en charge par l'État. De fait, il n'existe aucun exemple de société un tant soit peu complexe qui ne bouge jamais.

Permettez-moi une comparaison un peu osée, disons que toute société fonctionne comme un réacteur nucléaire. Les neutrons qui font éclater les noyaux pour produire de l'énergie doivent demeurer en nombre réduit grâce à l'eau lourde qui ralentit le plus grand nombre, sinon tous les noyaux éclateraient d'un coup et la centrale nucléaire se transformerait instantanément en bombe atomique.

Dans la réalité évidemment toutes les sociétés s'appuient, et sur les « conformistes » et sur les « innovateurs ». Le biologiste Mark Pagel, fellow de la Royal Society, souligne que nous partageons 99,6% de nos gènes avec les chimpanzés; il a fallu une toute petite variation du génome pour produire les différences que l'on sait entre eux et nous. Mark Pagel établit un parallèle avec la variation innovatrice aujourd'hui à l'œuvre dans la société. Une petite variation dans la façon de se soigner (vaccinations) ou dans la façon de communiquer (iPhone, Facebook) sera reprise très rapidement par des millions de copieurs et entrainera d'importants changements sociétaux de comportement. Les innovateurs sont comme les neutrons, une société ne peut pas en tolérer un trop grand nombre si elle veut maintenir un niveau minimal de stabilité.

Les conformistes sont prédisposés à la soumission aux maîtres, les iconoclastes à la transgression et au refus de l'embrigadement.

Il s'est produit ainsi depuis l'émergence des hominidés il y a des millions d'années une double pression sélective, l'une immensément majoritaire vers la soumission à l'autorité (religieuse, politique ou intellectuelle), l'autre très minoritaire vers la transgression. D'un coté, les immenses foules qu'on embobine facilement, de l'autre les Soljenitsyne, Galilée, Pasteur, Einstein, Jésus, Mahomet, de Gaulle, Hitler, Staline, Pol Pot, qui éclairent ou au contraire nous emmènent dans des abîmes sans fond.

Comment se fait-il que nous autres, l'immense majorité, soyons portés à être des conformistes et pourquoi si peu de personnes pensent-elles réellement par elles-mêmes, indifférente au quant-dira-t-on? La biologie évolutionnaire nous fournit une réponse. Durant sa longue et lente transformation, le petit d'hominidé avait d'autant plus de chances de survivre qu'il écoutait religieusement ses parents et les personnes en autorité sur ce qu'il fallait faire et ne pas faire. Peu de désobéissants survivaient, la nature ne faisant aucun cadeau. De plus, l'expérience montrait qu'on survivait mieux en groupe qu'isolément, ce qui a conforté durant les millions d'années de notre évolution notre désir de ne pas être trop différent des autres et à obéir aux ordres. Voilà pourquoi nous traînons avec nous cette détestable mentalité de troupeau, qui, lorsque nous sommes en foule, désarme le peu d'esprit critique et de sens moral dont nous sommes dotés.

Sur ce sujet, les résultats de la célèbre expérience menée par le professeur Philip Zimbardo à l'université de Stanford en 1971 (effet Lucifer) font froid dans le dos quand on réalise qui nous sommes vraiment.

Des étudiants furent répartis en deux groupes, un de prisonniers, l'autre de gardiens. Les prisonniers et les gardes s'adaptèrent rapidement aux rôles qu'on leur avait assignés, dépassant les limites de ce qui avait été prévu et conduisant à des situations réellement dangereuses et psychologiquement dommageables. « L'une des conclusions de l'étude fut qu'un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques. Malgré la dégradation des conditions et la perte de contrôle de l'expérience, une seule personne sur les cinquante participants de l'étude s'opposa à la poursuite de l'expérience pour des raisons morales », selon Wikipédia.

Ajoutons que l'homo sapiens plus proche en cela du chimpanzé que du bonobo cherchera naturellement, soit à dominer, soit devra se soumettre au plus fort. La façon de faire société de l'homme au-delà d'un seuil minimal de complexité, s'est toujours moulée sur un principe de hiérarchie, d'où la révérence à l'égard des autorités même lorsqu'elles ordonnent des comportements monstrueux.

On ne peut expliquer autrement pourquoi des millions de personnes ont obéi sans beaucoup d'hésitations à tous les dictateurs et monstres que l'histoire a répertoriés (Hitler's Willing Executionners, Daniel J. Goldhagen 1996).

Si la proportion de personnes pensant par eux-mêmes avait été nettement plus importante en Allemagne que celle des conformistes, aucun psychopathe n'aurait pu les manipuler. Elles auraient été capables de résister à l'ivresse qui emporte les foules en marche et suspend toute fonction cognitive au profit de l'émotion aveugle et hystérique. Sans aller aussi loin dans l'horreur, prenons un cas plus près de nous, moins tragique, mais tragique malgré tout. Lorsque Georges Bush fit voter en octobre 2001 un mois après l'attaque du 11 septembre, le Patriot Act qui lui permettait quasiment de déclarer la guerre à qui il voulait, aucun grand journal américain ne s'est battu férocement contre cette décision, par peur d'être en décalage avec le sentiment populaire hystérique du moment. Même le New York Times qui s'enorgueillit de sa tradition journalistique fut contraint des années après de faire son mea culpa en avouant qu'il avait manqué de l'éthique la plus élémentaire pour n'avoir pas mis en doute le bien-fondé des affirmations des autorités américaines. Ça ressemble étrangement à l'effet Lucifer de Philip Zimbardo, et pourtant, il y a des journalistes intelligents et des intellectuels brillants au NYT.

La barbarie surgit donc à la jonction de cinq phénomènes:

- des temps incertains et particulièrement difficiles.

- des masses en mal de conformité à un sacré qui les rassure, prêtes à l'embrigadement.

- une extrême paucité d'esprits indépendants, rétifs à toute soumission.

- des leaders psychopathes avec un thème sacré (Hitler, la race aryenne; Abou Bakr al-Baghdadi, le califat, etc.) se présentant comme des sauveurs, s'emparent du pouvoir légalement ou par la force.

- l'absence de structures démocratiques fortes s'appuyant sur de véritables contre-pouvoirs.

La conclusion serre le cœur.

Toutes les sociétés sont à risque de barbarie, même les nôtres, même le Canada. Imaginons à l'aube du XXIIe siècle un dérèglement climatique excessif avec des dizaines, peut-être même des centaines de millions de réfugiés aux portes du Canada, est-on sûr qu'on agira intelligemment? Même l'optimisme d'un Steven Pinker (The Better Angels of Our Nature, 2011) n'y résisterait pas.

Pour ma part, je ne vois rien d'autre comme barrières au barbarisme que l'élucidation du réel par la science, l'obligation de refuser en tout temps le prêt-à-penser, la promotion d'une éthique de la résistance, et le renforcement dans toutes les démocraties de véritables contre-pouvoirs.

Comme disait le philosophe Jankélévitch « Ce qui est fait reste à faire ».

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