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Il n'y a pas de mots pour exprimer ce qui s'est passé à Kunduz

Je travaillais là depuis le mois de mai, et j'ai vu beaucoup de choses très dures, médicalement parlant. Mais c'est complètement différent quand il s'agit de vos collègues, de vos amis.
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C'était absolument terrifiant.

J'étais en train de dormir dans notre chambre sécurisée, à l'intérieur de l'hôpital. Vers une heure du matin, j'ai été réveillée par le bruit d'une grosse explosion dans les environs. Je n'ai pas compris tout de suite ce qui se passait. La semaine dernière, nous avions entendu des bombardements et des explosions, mais c'était toujours plus loin. Celle-ci était différente, proche et vraiment forte.

Après le premier mouvement de panique, tandis que la poussière retombait, nous avons tenté de comprendre ce qui se passait. C'est alors que nous avons de nouveau été bombardés.

Au bout de 20 à 30 minutes, j'ai entendu quelqu'un m'appeler. C'était l'un des infirmiers des urgences. Il est entré en vacillant, très gravement touché au bras. Il avait de nombreuses blessures et était couvert de sang.

À ce stade-là, mon cerveau n'arrivait plus à appréhender ce qui se passait. Pendant une seconde, je suis restée figé, en état de choc.

Il appelait à l'aide. Dans la chambre sécurisée, nous disposons d'un stock limité de produits de base, mais il n'y avait pas de morphine pour soulager sa douleur. On a fait ce qu'on pouvait.

Je ne sais pas exactement pendant combien de temps les bombardements se sont poursuivis, peut-être encore une demi-heure. Je suis sortie avec le responsable pour voir ce qui s'était passé.

L'hôpital était entièrement détruit, et en proie aux flammes. Je ne sais pas ce que j'ai ressenti alors. J'étais à nouveau en état de choc.

Nous sommes partis à la recherche de survivants. Quelques-uns s'étaient déjà réfugiés dans l'une des chambres sécurisées. Les blessés ont commencé à arriver, un par un, dont certains de nos collègues, et des membres du personnel soignant.

Nous avons essayé de pénétrer dans l'un des bâtiments en feu. Je ne peux pas décrire ce qu'on y a trouvé. Il n'y a pas de mots pour évoquer une telle horreur. Dans l'unité de soins intensifs, six patients étaient en train de brûler dans leurs lits.

Nous avons cherché nos collègues dans le bloc opératoire. C'était atroce. Il y avait un patient, mort, sur la table d'opération, au beau milieu des décombres. Le personnel était introuvable. Heureusement, nous avons appris plus tard qu'ils s'étaient enfuis et avaient trouvé un endroit sûr où se cacher.

Juste à côté, nous avons fait un point sur le service des admissions, heureusement épargné par les bombardements. Nous nous sommes rapidement assuré que tout le monde allait bien. Ceux qui avaient trouvé refuge dans un bunker sécurisé juste à côté étaient également indemnes.

Puis nous sommes retournés à l'accueil. Il était bondé. Il y avait des patients, des blessés, partout. Tout le monde appelait à l'aide.

C'était de la folie. Nous avons dû mettre en place une cellule de crise à l'accueil et faire le point sur le nombre de docteurs qui avaient survécu et qui étaient état de nous aider. Nous avons opéré l'un d'entre eux en urgence. Malheureusement, il est mort là, sur la table de l'accueil. Nous avons fait de notre mieux, mais ça n'a pas suffi.

Ça a été très dur. Nous avons vu nos collègues mourir. Notre pharmacien - à qui j'avais parlé, la veille encore, pour la gestion des stocks - est mort juste là, à l'accueil.

Au tout début, c'était vraiment le chaos. Il y avait assez de survivants parmi le personnel pour s'occuper des blessés qui n'étaient pas condamnés. Mais il y en avait trop pour qui nous ne pouvions rien. D'une certaine manière, tout nous paraissait clair. Nous nous contentions de soigner les gens qui avaient besoin de soins, sans prendre de décisions. Ce qui aurait été impossible dans cette ambiance terrifiante.

Certains de mes collègues étaient trop choqués et n'arrêtaient pas de pleurer. J'ai essayé d'encourager une partie du personnel à participer, afin qu'ils puissent se concentrer sur quelque chose, et les distraire de ces atrocités. Mais certains étaient vraiment trop choqués pour faire quoi que ce soit. Voir ses amis, des adultes, secoués de sanglots incontrôlables... c'est difficile.

Je travaillais là depuis le mois de mai, et j'ai vu beaucoup de choses très dures, médicalement parlant. Mais c'est complètement différent quand il s'agit de vos collègues, de vos amis.

C'était des gens qui travaillaient dur depuis des mois, et même en continu depuis une semaine. Ils n'étaient pas rentrés chez eux, n'étaient pas allés voir leur famille, ils n'avaient fait que travailler à l'hôpital, pour aider les gens... Et maintenant, ils sont morts. Ces gens étaient des amis, des proches. Je n'ai pas de mots pour évoquer ça. Les mots ne suffisent pas.

Cet hôpital a été mon lieu de travail et mon foyer pendant plusieurs mois. Oui, ce n'est qu'un bâtiment. Mais il représentait beaucoup plus que ça. C'était le centre de soins de Kunduz. Et maintenant, il a disparu.

Ce que je ressens depuis ce matin, au plus profond de mon cœur, c'est que tout ceci est inacceptable. Comment une chose pareille peut-elle arriver? Quel est l'intérêt de tout cela? Détruire un hôpital, éliminer tant de vies. Et tout ça, pour rien. Les mots me manquent.

Cet article, publié à l'origine sur le site de MSF puis sur le Huffington Post britannique, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.

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