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Bouche-à-oreille sur Internet: attention à la déformation du message

La portée et la transparence du Web ont permis aux marketeurs d'influencer et de contrôler le bouche-à-oreille comme jamais auparavant. La frontière entre le bouche-à-oreille naturel et celui, plus artificiel, qui consiste à transformer des blogueurs en porte-paroles est franchie.
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Ce billet est publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Nous avons analysé une campagne de marketing électronique visant à promouvoir un modèle de téléphone portable à travers des blogues. Nous en avons conclu qu'à la différence des campagnes de promotion classiques, le message peut être déformé en fonction des personnes d'influence choisies pour parler du produit et des communautés dont elles font partie.

Les spécialistes du marketing et les sociologues reconnaissent l'importance du bouche-à-oreille en tant que phénomène naturel depuis plus de 50 ans, affirmant par exemple que le bouche-à-oreille affecte la majorité des décisions d'achat. Cependant, ces théories et observations sur le bouche-à-oreille informel, spontané, ont été élaborées alors qu'Internet n'existait pas encore.

Or, l'accessibilité, la portée et la transparence du Web ont permis aux marketeurs d'influencer et de contrôler le bouche-à-oreille comme jamais auparavant. Il y a des façons plus ou moins actives pour atteindre leurs objectifs en ligne: "écouter" les conversations, les modérer, voire dialoguer avec les consommateurs, donner des produits à des personnes d'influence... On franchit une frontière entre le bouche-à-oreille naturel, très puissant car dénué de motif et celui, plus artificiel, qui consiste à transformer des blogueurs en porte-paroles.

Un phénomène grandissant, mais méconnu

Ce phénomène a pris tellement d'ampleur qu'aux États-Unis, la Federal Trade Commission a créé de nouvelles règles. Les blogueurs sont maintenant obligés de dire s'ils ont un lien avec une marque ou une société.

Cela n'a aucune conséquence légale en Europe, mais ça a donné le ton au niveau éthique, puisque les grandes entreprises sont membres de la Word of Mouth Marketing Association (WOMMA) qui, bien que basée aux États-Unis, compte des membres dans le monde entier. La pratique commence à être plus organisée et à ressembler à ce que l'on connaît dans d'autres domaines, celui des journalistes recevant des produits gratuits par exemple.

Cependant, peu de recherches ont été menées sur le bouche-à-oreille électronique, même depuis la parution d'un article que j'ai coécrit avec Robert Kozinets, Andrea Wojnicki et Sarah Wilner en 2010. Il y a eu des travaux quantitatifs, portant sur la façon dont le bouche-à-oreille numérique affecte les ventes, mais avant le nôtre il n'y avait eu aucun article qualitatif, cherchant à comprendre de quoi les gens parlent précisément et la façon dont ils en parlent ; ou comment les consommateurs réagissent face à des campagnes d'e-marketing.

Nous avons donc mené une enquête sur une campagne de promotion de téléphones portables qui a eu lieu dans six villes d'Amérique du Nord, et analysé les blogues de 83 des 90 personnes auxquelles on avait donné un téléphone sur une période de six mois afin d'évaluer l'effet à long terme de la campagne de Web marketing.

Nous nous sommes intéressés aux blogues parce que des études ont montré leur importance pour les campagnes de bouche-à-oreille. Des enquêtes réalisées en Europe indiquent ainsi que "les blogues sont la deuxième source d'information de confiance" (Nielsen Trust in Global Advertising Survey, Q3 2011).

Le marketing viral n'a rien d'un virus

En analysant les blogues de personnes auxquelles avait été donné un téléphone portable, nous avons montré que le bouche-à-oreille électronique ne se contente pas d'augmenter ou d'amplifier les messages des fabricants, ceux-ci étant systématiquement modifiés au cours de leur intégration.

En effet, les théories existantes avaient une vision tronquée du bouche-à-oreille. Le concept de marketing viral est basé sur une idée fausse, qui voudrait qu'un message injecté sur un marché se répande, intact, comme un virus.

Nous avons montré que ce n'est pas ce qui se passe: les blogueurs adaptent ce qu'ils disent à leur propre histoire et à la communauté dont ils font partie, ils transforment le message du marketeur pour l'adapter à leur propre identité (ou à celle du personnage qu'ils ont créé en ligne) ainsi qu'à leur auditoire, leur réseau.

Des résultats mitigés

Nous avons défini quatre stratégies possibles sur les médias sociaux (évaluer, embrasser, endosser, expliquer), chacune influencée par la narration du personnage, les normes existant au sein de sa communauté virtuelle, la forme de sa communication (blogue, Facebook, Twitter, etc.) et la nature de la campagne de promotion.

Ces stratégies sont marquées par une tension entre les normes communautaires et commerciales, et leur réussite dépend de la façon dont les blogueurs s'en accommodent. On peut ainsi prendre l'exemple de deux blogueuses : Judith, une infirmière en arrêt maladie qui arrive astucieusement à faire comprendre à ses lecteurs que ses 11 blogues, gérés très professionnellement, l'aident à joindre les deux bouts ; Alicia, une femme au foyer qui n'avait jusqu'alors jamais intégré de messages commerciaux dans son blogue et qui malgré sa transparence génère des réactions négatives lorsqu'elle parle du téléphone portable. Les internautes ne sont pas habitués à ce type de campagne promotionnelle sur son blogue consacré à sa dure vie de mère au foyer et cela peut avoir des conséquences néfastes pour la marque de téléphone.

Applications dans l'entreprise

Les implications managériales pour des entreprises désirant faire du bouche-à-oreille sur Internet sont de plusieurs ordres : comme l'illustre l'exemple d'Alicia, il vaut mieux trouver des porte-paroles à même d'intégrer un message commercial sans générer de tension. D'autre part, comme le type de message dépend des blogueurs, il faut les choisir en fonction de ce que l'on souhaite véhiculer (information technique ou sentiment personnel par exemple). Les services marketing doivent aussi s'engager à long terme avec les blogueurs et les titulaires de comptes sur Facebook ou Twitter. Il faut enfin privilégier les communautés virtuelles relativement ouvertes à de telles campagnes de promotion.

Pour aller plus loin:voir la recherche

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Spécialisé dans l'enseignement et la recherche en management, HEC Paris offre une gamme complète de formations. Créé en 1881 par la CCI de Paris, HEC rassemble 110 professeurs permanents, 4000 étudiants et 8500 cadres et dirigeants en formation chaque année.

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