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Le système bancaire parallèle: un rôle central dans le déclenchement de la crise financière

La récente crise financière est à l'origine d'une prise de conscience globale de la complexité du système bancaire. L'incapacité des autorités de régulation et des grandes banques à réagir pour endiguer l'effondrement de l'économie révèle la méconnaissance et le manque de contrôle du système de financement.
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Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

La récente crise financière est à l'origine d'une prise de conscience globale de la complexité du système bancaire. L'incapacité des autorités de régulation et des grandes banques à réagir pour endiguer l'effondrement de l'économie révèle, aux yeux de tous, la méconnaissance et le manque de contrôle du système de financement. Cette zone d'ombre au cœur du système bancaire est appelée "shadow banking".

Le "système bancaire de l'ombre" devient alors rapidement le premier responsable, sans visage, de la crise financière puis économique. On le rencontre aussi bien dans les textes officiels que dans les articles économiques, sans jamais en connaître finalement la nature. Ainsi aucun acteur ne s'accorde sur une définition similaire du "shadow banking" et finalement la zone d'ombre s'obscurci au détriment d'une meilleure compréhension des mécanismes de financement de l'économie.

Notre étude se fonde sur les révélations mises au grand jour par l'explosion de la bulle et un travail de synthèse des différentes analyses financières afin de déterminer la nature réelle et le fonctionnement du shadow banking.

systeme bancaire parallele

Qu'appelle-t-on Shadow Banking?

Le shadow banking est un terme imaginé en 2007 par l'économiste américain Paul McCulley pour décrire des sociétés ad hoc (appelées véhicules de titrisation) mises en place par les banques pour accroître leurs capacités de financement. Dans un second temps le terme a été élargi pour désigner l'ensemble des intermédiaires financiers non bancaire, réalisant les mêmes activités que les banques, sans avoir accès aux garanties publiques [1]. Enfin, plus largement il est défini comme l'ensemble des intermédiaires financiers non bancaires [2]. Selon la définition et le mode de calcul retenu, le système est évalué pour l'année 2010 aux États unis entre 10 et 24.000 milliards de dollars, et à plus de 60.000 milliards dans le monde pour 2011.

Il est important de retenir une définition précise du "shadow banking" afin d'en évaluer son ampleur. Mais quelle que soit la définition retenue il persiste certaines particularités communes à toutes les analyses.

Ainsi le shadow banking est un système initié par les grandes banques commerciales afin d'accroître leurs capacités de financements qui sont limitées par les régulateurs internationaux (notamment par le biais des règlementations Bâles I, II puis III). Ce système repose sur une innovation financière qui émerge à la fin des années 1960: le modèle "originate to distribute".

Ce modèle se développe en opposition au modèle bancaire historique "originate-to-hold" qui consiste pour les banques à conserver les crédits accordés au sein de leur bilan (système le plus largement répandu encore actuellement). Ce nouveau système permet aux banques d'émettre des crédits sans contraintes sur leurs fonds propres. Cette technique relève d'un arbitrage réglementaire qui permet de contourner le ratio de capitaux propres minimum imposé par les régulateurs (appelé ratio Cook il impose aux banques de détenir 8% des volumes de crédit en capitaux propres). Sans cette forte contrainte sur la comptabilité des banques, leur offre de crédit n'est limitée que par la demande!

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Les risques, grands oubliés du Shadow Banking

Les banques vont donc chercher à émettre le maximum de crédit sans considération pour le risque crédit (risque de défaut de l'emprunteur) ni le risque de bilan normalement limité par le ratio Cook.

Théoriquement le risque est redistribué aux fonds qui financent les véhicules de titrisation (le plus souvent des grands fonds monétaires comme les fonds de pension américains) ou garanti par des sociétés financières parallèles appelées rehausseurs de crédit. Dans ce système les actifs "titrisés" (regroupés en paquet d'actifs afin d'être assez liquides, c'est-à-dire échangeables sur les marchés) sont échangés par un tel nombre d'entités financières qu'il est quasiment impossible pour les régulateurs et même pour les banques de connaître le risque incorporé dans les actifs et surtout de savoir qui détient ce risque.

C'est ce flou analytique qui permet aux banques de redistribuer à des fonds de pension américains, normalement supposés détenir des actifs très peu risqués (majoritairement AAA), des actifs toxiques comme les subprimes. Ces actifs au cours de leur titrisation obtiennent des notes favorables de la part des agences de notation grâce à une multiplication des intermédiaires et des techniques de rehaussement de crédit.

Si la quantité d'actifs détenus est faible, le risque systémique reste très élevé. Les banques, les véhicules de titrisation et les rehausseurs de crédit utilisent largement leur taux d'endettement. Appelé aussi effet de levier (leverage effect), cette méthode consiste à financer ses activités par l'emprunt afin d'augmenter ses capacités de financement. Ainsi l'ensemble des acteurs de la chaine d'intermédiation du crédit participe à la fragilité du système de par leur fort endettement et leur insouciance face au risque détenu par les actifs échangés.

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Le Shadow Banking dans la crise

Avec la chute des prix de l'immobilier américain, ce sont les premiers véhicules de titrisation qui sont victimes de leur surendettement et font quasi instantanément faillite. Ces véhicules ont joué le rôle de courroie de transmission de la crise: leur effondrement a mis à mal de nombreuses autres institutions tels que les fonds monétaires ou autres gestionnaires d'actifs qui avaient investi dans les produits des véhicules, suscitant l'amalgame entre les véritables "shadow banks" et leurs investisseurs. Ces derniers, ne pouvant récupérer l'intégralité du capital investi, ont fait partiellement ou totalement défaut mettant à leur tour en difficulté d'autres entités.

D'autre part, les banques ont également pâti du système mis en place, car elles ont été contraintes de reprendre les actifs de leurs véhicules pour des questions de réputation en particulier. C'est cette réintermédiation des actifs aux bilans des banques qui a conduit Lehman Brother au dépôt de bilan. Cette dernière avait un levier de 30 (rapport des capitaux propres sur le total des actifs), soit un ratio de Cook de 3%, alors que la réglementation l'imposait à 8%.

Bien que le Conseil de Stabilité Financière semble aborder le sujet différemment dans ses récentes publications, en définissant le shadow banking comme l'ensemble des intermédiaires financiers non bancaires, ses conseils prudentiels se focalisent vers les activités et entités les plus risquées. En matière prudentielle, il est donc essentiel de ne pas se tromper de cible, et une attention particulière doit être adressée aux problématiques de levier et de transformation de maturité et de liquidité, sources de risque systémique.

Pour aller plus loin: Lire l'étude

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[1] Définition de la Federal Reserve Bank of New York

[2] Définition du Financial Stability Board

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