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Tout ce que les femmes perdent à vouloir être plus minces

Chaque fois que je me mets à rêvasser, je m'imagine plus légère. Et ce, quelles que soient les situations: tous mes fantasmes commencent de façon identique, avec une version de moi-même ayant 5, 10 ou 15 kilos de moins qu'en réalité.
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SANTE - Chaque fois que je me mets à rêvasser, je m'imagine plus légère. Et ce, quelles que soient les situations. Que je couche avec l'acteur Michael Fassbender, que je sois élue poète lauréat de l'univers ou que le groupe des Sleater-Kinney se reforme et me choisisse comme bassiste: tous mes fantasmes commencent de façon identique, avec une version de moi-même ayant 5, 10 ou 15 kilos de moins qu'en réalité. Vous pourriez dire que cela s'explique simplement par le fait que je veuille être très mince et vous auriez probablement raison.

J'ai été anorexique et boulimique pendant des nombreuses années. Jamais au point de devoir être hospitalisée mais je faisais peur à voir. Je n'avais plus mes règles pendant des mois parfois et j'entendais toujours ce murmure sournois répéter: "bonne à rien, tu ne sais pas te contrôler, grosse". La maigreur était comme une idole et m'affamer était ma religion: je comptais les calories comme j'avais auparavant prié le rosaire. J'avais un petit carnet noir que je cachais derrière la bibliothèque dans ma chambre. J'y inscrivais tous les soirs quatre informations: mon poids, ce que j'avais mangé, l'exercice que j'avais effectué et le nombre de fois que j'avais vomi. Dans les bons jours, quand j'avais fait des centaines d'abdos et respecté mon régime composé de carottes et de thé, je me sentais vertueuse, propre, remplie de lumière. Dans les mauvais jours, je me recroquevillais sur le sol de la salle de bain en sanglotant et me demandant pourquoi j'étais coincée là-dedans, dans ce corps que je détestais, dans cette enveloppe de chaire dont je voulais me débarrasser à tout prix.

Entretenir une relation me semblait impossible. Je ne voyais pas comment qui que ce soit puisse vouloir de moi dans mon état. Je passais donc beaucoup de temps seule, en guerre avec moi-même, m'infligeant cette violence dévastatrice silencieuse. Il y a un vers d'un poème que j'ai écrit à cette époque qui me revient parfois: "Je veux que mes côtes se voient comme les grands titres de journaux". J'imaginais que la minceur pourrait m'offrir une sorte de révélation, une sorte de magie qui m'apporterait succès, beauté et amour. Cela n'a jamais été le cas.

Si je vais mieux à plusieurs niveaux aujourd'hui, certaines choses restent brisées à jamais. Je me revois comme si c'était hier: alors que j'avais 16 ans, je me tenais de profil devant mon miroir en train de repousser mon estomac creux vers l'extérieur pour me convaincre que j'avais du ventre. Je restais là à regarder mon corps décharné, persuadée de voir quelqu'un d'énorme, gonflé et monstrueux me regarder à son tour. Comment voulez-vous compter sur vos sens après cela? Comment faire confiance à son esprit?

Il y a d'autres restes d'hallucinations et d'obsessions dont je n'arrive pas à me débarrasser. Je pourrais, par exemple, encore vous dire sans la moindre hésitation le nombre de calories contenues dans une poignée d'amandes ou dans deux TUCs. Il m'arrive encore de jeter des coups d'oeil dans les vitrines des magasins pour découvrir avec horreur dans le reflet la trop grande largeur de mes cuisses ou la taille impressionnante de mes joues: je suis en meilleure santé et je suis bien plus heureuse maintenant mais je ne peux pas m'empêcher de penser que j'étais mieux avant. Je ne parviens pas à me débarrasser de cette impression d'être enfermée dans un corps que je n'aimerai jamais.

Je ne pense pas être la seule dans ce cas-là, je pense même être un cas parmi beaucoup d'autres. J'ai rencontré des femmes de mon âge qui mangent ce qu'elles veulent et pour qui prendre un kilo pendant les fêtes de Noël n'a aucune importance. Mais je pense qu'elles font figure d'exception et ne représentent pas la norme. La norme aux Etats-Unis, si vous êtes une femme, est de vouloir être un peu plus mince et donc de toujours essayer de perdre du poids.

Ce n'est pas une coïncidence si ce fléau touche principalement les femmes (bien que je ne veuille pas sous-estimer le nombre grandissant d'hommes qui sont confrontés à des troubles du comportement alimentaire). En tant que femme, notre corps ne nous appartient pas totalement et nous ne sommes pas toujours capables d'éviter le fait que certains essaient de le juger, de le réclamer ou encore de le posséder. Ayant été érigées au rang d'emblème et d'objet du désir, nous faisons de notre mieux pour être à la hauteur des attentes à coups de séances de gym et de repas sautés. Dans certains pays les femmes passent des heures non pas à lire un livre, écouter de la musique ou à essayer de faire bouger les choses mais plutôt à se désespérer pour quelques centimètres de tour de taille.

Les démons que nous devons affronter sont donc évidemment les réalités politiques. Des femmes plus intelligentes que moi, comme les féministes Susan Bordo, Ellen Malson ou Naomi Wolf, ont commencer l'analyse dont nous avons besoin pour faire évoluer ces réalités. Mais je voudrais mettre la polémique de côté un instant et vous proposer un poème quelque peu élégiaque pour conclure:

Aux filles que je connais et à la fille que j'étais, et que je suis encore beaucoup, qui construisent des vies entières vouées à la solitude et au vide. A celles qui sont mortes, qui sont un peu mortes ou qui se sentent en situation d'échec malgré tout ce qu'elles font pour rester en vie. A la génération de femmes extraordinaires en colère, déterminées et brillantes qui se lèvent, font face au miroir et qui attendent si peu d'elles-mêmes.

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