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Célébrer les 150 ans du Canada dans un climat d'hypocrisie et d'inconscience collective

Préoccupés à se définir culturellement eux-mêmes par ce qu'ils sont ou ne sont pas, les Québécois en oublient parfois leurs origines. Quels souvenirs avons-nous de l'histoire des relations avec les Premiers Peuples ?
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« Les Canadiens sont des hypocrites ! ». Ce qui m'a le plus étonné des propos lancés par mon étudiant de maîtrise est qu'Andrei n'avait pas tout à fait tort. Venu au Canada pour les études, il s'est inscrit à mon cours de service social auprès des populations autochtones. Au moment de recueillir les objectifs d'apprentissage et les attentes de chacun, je constate un intérêt prépondérant des étudiants internationaux et des étudiants autochtones pour ce cours. Les citoyens canadiens ne s'intéressent-ils pas au sort des Premiers Peuples ? « Du surchauffé ! », diront certains. « Leur réalité est si complexe, ils sont désengagés au plan socioéconomique, et de toute façon, ils ne veulent pas se prendre en charge ». Get. Over. It ! ». Paradoxalement, alors que les discours législatifs et sociopolitiques de tolérance semblent marquer la décennie, ce genre de préjugés discriminatoires envers les Autochtones demeurent omniprésents. Parmi certains au jugement sévère, combien ont déjà mis les pieds dans une communauté ? Combien cherchent à comprendre leur histoire, à apprendre leur langue, à visiter leur territoire, à pratiquer leurs riches traditions ? Il s'avère souvent plus facile de discréditer ce qui est périphérique à nos repères culturels. Nommons-le comme on veut : xénophobie, préconception, ethnocentrisme. Attention, je ne fais pas de généralisation, mais cette inconscience collective face aux réalités que vivent les Autochtones semble parfois contagieuse.

Préoccupés à se définir culturellement eux-mêmes par ce qu'ils sont ou ne sont pas, les Québécois en oublient parfois leurs origines. Quels souvenirs avons-nous de l'histoire des relations avec les Premiers Peuples ? Il importe par exemple de savoir que sans les accords de traités avec les Autochtones, le Canada ne pourrait pas fêter ses 150 ans de Confédération. Le pays ne serait pas reconnu conformément à la Constitution.

Il importe par exemple de savoir que sans les accords de traités avec les Autochtones, le Canada ne pourrait pas fêter ses 150 ans de Confédération. Le pays ne serait pas reconnu conformément à la Constitution.

Les archives de l'histoire canadienne renferment plus de 100 ans de colonialisme. Plus de sept générations de parents et de grands-parents autochtones se sont vues usurper leurs droits naturels à prendre soin de leurs enfants. Vous imaginez le traumatisme de communautés entières privées de sa jeunesse ? Ce qui a sans équivoque affecté la transmission intergénérationnelle des valeurs autochtones et rendu aujourd'hui difficile pour plusieurs jeunes en quête identitaire de trouver refuge dans leur appartenance culturelle.

À ce jour, plus d'enfants autochtones sont retirés de leurs foyers et placés en milieux substituts (souvent allochtones) par les instances de protection de la jeunesse qu'il ne fut le cas à l'époque tristement glorieuse des pensionnats dans les années 1940. Si rien ne change, les données sont appelées à s'accroître drastiquement et même à tripler d'ici 2035. Je vous entends penser à voix haute. Le stéréotype de la « mère autochtone inapte et négligente » vous envahit l'esprit ? Rebutez-le. Les motifs explicatifs de ces placements s'enracinent dans des causes structurelles; notamment dans les traumatismes vécus, les iniquités systémiques qui perdurent au sein des institutions et la réalité socioéconomique des familles qui doivent composer avec bien peu de ressources.

En 1996, la Commission royale sur les Peuples autochtones dénonçait les iniquités systémiques au sein de la société et proposait 400 recommandations réparties sur un plan d'action de 20 ans. Où en sommes-nous 20 ans plus tard ? En 2008, l'État a reconnu les torts causés aux familles autochtones par le biais de son implication dans l'entreprise coloniale. Ceci a mené à la Commission de vérité et réconciliation. De nombreux témoignages de survivants des pensionnats ont été recueillis et en 2015 un rapport comprenant 94 appels à l'action a été produit. Puis en 2016, en respect de ses promesses électorales, le gouvernement libéral a donné feu vert à l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le processus suit son cours malgré les nombreuses critiques.

Ces commissions d'enquête donnent une voix essentielle à ceux qui en ont trop peu. Ces démarches sont donc impératives et prometteuses. Néanmoins, elles ne seront pas une panacée si elles servent principalement à mousser le leadership politique. Elles doivent donc finalement proposer des retombées concrètes pour les communautés concernées.

Malgré les intentions louables d'Ottawa, ce qui me gangrène le plus la conscience est que je ne sais toujours pas comment expliquer à mes deux fils qu'ils grandissent dans un pays, pourtant classé en tête de file par l'ONU pour sa qualité de vie, qui continue de discriminer 165 000 enfants autochtones. À ce jour, Ottawa a investi plus de 707 000$ en frais de justice pour débattre de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. En 2016, le Tribunal a tenu le gouvernement fédéral responsable de discrimination raciale envers les enfants des Premières Nations en n'offrant pas des services équitables dans les communautés. À la question : maman, pourquoi tous les enfants canadiens n'ont-ils pas accès aux mêmes droits ? Je demeure muette !

Si des gens comme Andrei ne remettent pas en question les préjugés endémiques qu'ils entendent, si des réformes de services ne sont pas mises en œuvre, si le Canada ne s'engage pas à réduire le fossé d'iniquités systémiques qui continue de se creuser entre les familles autochtones et les familles allochtones, et si le fédéral n'autorise pas l'accès aux archives de l'histoire, alors comment peut-on prétendre à une réconciliation et promouvoir la guérison ? Les colliers de wampums ont été fort malmenés. En tant qu'allochtone, je ne peux occulter ma réserve à célébrer avec honneur à l'aube des 150 ans du Canada. Le pays a toutefois l'occasion de construire des alliances renouvelées avec les Premiers Peuples. Le moment est opportun et vivement attendu.

« This country is bound by the chains of racism ! » - Cindy Blackstock, T.S. et activiste pour les droits des enfants et familles des Premières Nations.

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Mai 2017

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