Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Personne ne fera taire le poète

Écrire, c'est peindre les yeux fermés. Écrire, c'est tremper son pinceau dans l'encre, dans du café, dans des larmes, dans la boue, dans du foutre, dans du sang.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Aux ennemis de la liberté qui veulent nous empêcher d'écrire.

Il y a des écrivains qui libèrent et ceux qui emprisonnent. Quand j'étouffe, gagné par le chagrin ou le doute, il me suffit de lire quelques feuillets de Don Quichotte, Ainsi parlait Zarathoustra, Cent ans de solitude ou Voyage au bout de la nuit et me voilà soulagé, revivifié, comme ce tournesol oublié par le jour qui reçoit soudainement au crépuscule sa dose de lumière. En revanche, le fait d'ouvrir le livre d'un auteur, dont je sais d'emblée qu'il a un style étriqué, me procurera une sensation de déprime.

L'écriture doit être l'exercice qui libère l'esprit. Elle est le contraire de la contrainte. Si l'écrivain se soumet à celle-ci, il produira des textes ampoulés et boiteux. Le lecteur le sentira dès les premières lignes. Rebuté, il fermera non seulement le livre, mais également son cœur.

L'écrivain qui pratique l'autocensure est un semi-écrivain. Il affectionne les lieux communs. Il prend toutes les précautions pour ne pas blesser ses lecteurs. Il aime les caresser dans le sens du conformisme. Il adapte ses paroles en fonction de son auditoire. Sacrifiant son éthique, il n'hésite pas à fouler aux pieds la plus fondamentale des valeurs : la liberté. Ce faisant, il assassine la vérité. À cet égard, il doit être banni de la « communauté des poètes ».

L'écrivain ne doit pas écrire pour plaire. Il ne doit surtout pas avoir peur de déplaire. Il doit jouir totalement de la liberté que lui procurent sa plume, la solitude, la paix des forêts. Il ne doit obéir à personne, sauf à ses mots, à sa musique intérieure, à son intuition, à ses révoltes. Son métier est d'esquisser les contours vagues de l'être. Son rôle est de déchirer le voile du silence. Son art est de composer la complainte de ses longues nuits blanches ou obscures.

L'écrivain est un agitateur des mots. Il est le gardien de la libre pensée. Rien ni personne ne peut le faire taire. Il a le droit de secouer les endormis, de heurter les belles âmes, de choquer les bonnes consciences.

Écrire, c'est peindre les yeux fermés. Écrire, c'est tremper son pinceau dans l'encre, dans du café, dans des larmes, dans la boue, dans du foutre, dans du sang. C'est selon l'alchimie du moment. C'est selon le rythme du pouls. Si l'on trouve l'homme beau, qu'on le fasse comme le David de Michel-Ange. Si on le découvre violent, qu'on s'inspire de Caligula et d'Ubu Roi.

L'homme est un caméléon. Il peut être lourd, léger, misérable, lucide, sadique, doux, enfant, fou. Les adjectifs s'opposent et se neutralisent en lui pour enfin démontrer qu'il est d'une insignifiance et d'une légèreté qui frisent la bouffonnerie. L'écriture consiste précisément à capter ces humeurs changeantes, à les fixer sur des toiles complexes, à les faire passer dans des labyrinthes glauques.

L'art naît de l'incessante danse de l'être humain sur ses ruines. Celui-ci rêve d'incarner Dieu, mais finit toujours par habiter le Diable. Étrange dilemme d'un animal qui échappe à la logique. Étrange marche d'un mortel qui se prend pour l'éternité. Étrange machine qui complique les idées et les choses.

La quête de l'écrivain doit être l'art et non la raison. C'est l'esthétique qui précède le discours. C'est le discours qui s'efface devant le flot des images. L'art qui blesse et non la raison qui dicte. L'art qui fascine et non la raison qui calcule. L'art qui taquine et non la raison qui affecte.

Écrire, ce n'est pas convaincre. Écrire, ce n'est pas prêcher. Écrire, c'est rejeter la tyrannie de la pensée unique. Écrire, c'est tenter de comprendre. Comprendre, c'est chercher des réponses à des questions qui n'en ont pas forcément. Comprendre, c'est essayer de capter la vérité qui fuit. En Haïti, on dit que la vérité est comme la fumée, elle finit toujours par trouver une issue. La vérité de l'écrivain ne doit pas être un slogan que l'on fixe au fronton des Églises et des Cours de justice. La vérité de l'écrivain est une idée inachevée, sans cesse recomposée et sans arrêt remise en cause, comme ce forgeron qui s'obstine à rendre parfait un bijou fétiche, refusant d'admettre que la perfection est mirage.

Écrire, c'est interroger son cœur qui bat. Écrire, c'est se murmurer des mélodies fragiles. Écrire, c'est dessiner les fantômes qui hantent l'enfant que l'on n'a jamais cessé d'être. Écrire, c'est planter un scalpel dans sa chair pour en sentir la douleur. Écrire, c'est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo. Écrire, c'est saisir les failles de l'histoire qui triche. Écrire, c'est noyer le mensonge dans le fleuve absurde de la vie. Écrire, c'est insuffler de la chaleur dans le cœur glacé des hommes.

Écrire, c'est répandre la lumière sur les yeux aveugles du monde.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.