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L'enfant du cimetière marin

Au petit Aylan et à tous les enfants qui ont péri en Méditerranée.
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Au petit Aylan et à tous les enfants qui ont péri en Méditerranée.

Le cimetière marin*

lève ses bras de géant

par-dessus vagues et mouettes

Le ciel déverse

sa grêle

ses orages

sur les radeaux

sur les valises

chargées de poupées

et de souffrances

Kobané

Peshmergas

se souviennent

des demoiselles en treillis

défiant le déluge de bombes

la gâchette des fous

la poussière et le feu

la potence et le sabre

la farce des dieux

le sang du pétrole

Les passeurs excités

tamponnent les fronts

agrafent les papiers

avalent les dinars

dessinent la fuite

Par ici la Méditerranée

par là l'île de Kos

là-bas le train des morts

Tragédie jouée

sur des bouts de bois

devant des murs de brume

à trois pas de Venise

à dix chiens de Saint-Tropez

à quelques pigeons de Bruxelles

Banques et politiques se frôlent

dans un spectacle de luxure

de rots et de nombrils

parfum et lessive

vin et chair

brûlés en apéritif

Euripide hait Sophocle

Électre brave Antigone

Ulysse ne revient pas

maudit soit le progrès

Batailles contre vents et sel

les peaux sont rouges

d'avoir résisté aux tempêtes

elles se défont comme des vieux sacs

Les lèvres sont devenues cordes

d'avoir fait pousser les gerçures

Les yeux se sont fait boussoles

d'avoir trop vomi l'urine

Les jambes dansent le froid

les rêves tombent en papillons

sur les yeux clos des clandestins

comme un chapitre sordide

d'une civilisation qui se ferme

Théâtre d'algues et de serpents

barbelés de coquillages

collier de rats

guenilles et épaves

boîtes et caoutchouc

décors de sandales

dédale de chaussettes

Il faut obéir

aux képis

aux garde-côtes

aux loups renifleurs

aux étoiles bâtardes

aux menottes

aux mitraillettes

aux frontières

aux États

Kobané autrefois

Peshmergas derrière

l'île de Kos jadis

La Grèce peut-être

Londres est loin

Berlin hier

l'Amérique jamais

Le cimetière marin

lève ses bras de géant

par-dessus cadavres et mouettes

La mer gémit

les cheveux du soleil frémissent

le chasseur a tiré

sur un oiseau

d'à peine quelques plumes

Un enfant est tombé

noyé dans la boue

il est vêtu en Ottoman

vêtu de l'Arabie

vêtu de l'Europe

vêtu en cow-boy

vêtu en chacun-pour-soi

vêtu en Dieu-pour-personne

L'enfant est craché sur le sable

la brise lui a fermé les paupières

Ne le réveillez pas

hommes de peu de cœur

laissez-le rêver

d'anges et de princesses

* Titre d'un célèbre poème de Paul Valéry.

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