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Chant à la gloire des femmes

Ce texte est un extrait de ma pièce de théâtre. L'étoile, l'image par excellence de la femme rêvée, est sensée briller, mais dans le monde actuel où règnent les violences religieuses, politiques et économiques, elle pleure hélas.
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Et je revois ma mère le dos courbé comme un dôme, les talons gercés, le front plissé, un enfant mordant son sein et moi griffant ses joues.

Je la revois se débattre comme un roseau contre les tempêtes et donner des graines à ses coqs, à ses chatons, à ses moucherons.

Dans sa demeure en torchis, elle se prenait la tête à dix doigts et se remplissait une cruche de larmes qu'elle buvait quand elle avait faim, qu'elle brisait quand elle avait soif.

Elle avait l'art de pleurer et la décence de gémir tout bas quand dans le grenier il n'y avait que parois rancies, cendres et urine de rats.

Elle faisait des thés avec des feuilles de néfliers, des fleurs de citronniers et des pousses sauvages.

Elle faisait des galettes avec des glands, avec des racines, avec des écorces, avec le sel de sa sueur.

Elle dessinait des motifs sur des objets en terre cuite et nous contait des fables d'ogresses et de sorcières.

Avec un peigne édenté, elle se brossait la tignasse qu'elle lavait à l'eau de roche et au savon de Marseille.

Elle nouait un pagne couleur des champs autour des hanches et elle accrochait une broche à son sein qui allaitait les misères.

Ma mère était une lavandière qui essorait les tuniques de mon père dans les rivières croupissantes.

Ma mère était une muletière qui cueillait des fagots de bois des forêts hantées.

Ma mère était une mécanique qui avait une main sur le feu, l'autre dans l'eau, un pied dans la terre et l'autre dans le ciel.

Ma mère était belle et racée, triste comme un poème, brave comme la poussière, douce comme une divinité qui boite.

Ma mère réside dans la déchirure de l'humanité,

dans la faille du temps.

Ma mère appartient à la civilisation du silence.

Elle a la cicatrice dans l'âme et la plaie dans l'histoire.

Elle habite dans l'injustice éternelle,

elle habite dans la souffrance des dieux.

Ma mère habite à l'ombre des saisons,

ma mère a loué un coin au pied de la religion,

ma mère est enchaînée au pied de l'homme.

Le texte ci-dessus est un extrait de ma pièce de théâtre Toute femme est une étoile qui pleure qui sera jouée au Théâtre La Chapelle, à Montréal, du 29 novembre au 10 décembre 2016.

J'ai voulu combiner les mots « femme » et « étoile » dans une phrase poétique qui, pour reprendre la définition de Bachelard, signifie autre chose et fait rêver autrement. L'étoile, l'image par excellence de la femme rêvée, est sensée briller, mais dans le monde actuel où règnent les violences religieuses, politiques et économiques, elle pleure hélas. Cette étoile pleure en Chine et en Inde, car chaque jour des infanticides féminins y sont commis. Elle sanglote en Arabie saoudite et en Iran parce que la polygamie et la lapidation des femmes y sont régulièrement pratiquées. Elle gémit dans certains pays d'Afrique, car on y mutile encore la partie génitale des jeunes filles. Elle est humiliée en Algérie parce qu'elle est voilée de force et soumise par la police à des tests de virginité. Elle est rabaissée et prostituée en Occident, car son corps est jaugé, toisé, modelé, dénudé, affiché sur des panneaux publicitaires et des écrans de télé... Par ailleurs, tout en dépeignant des femmes du monde entier, je n'ai pas oublié la femme kabyle, plus précisément la mère, à qui je consacre un tableau.

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