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Rouler avec pas de casque, conduire avec pas de tête

Les décès de cyclistes se succèdent à un rythme inquiétant à Montréal. La Ville, le MTQ et certains médias continuent de nous faire porter le fardeau de notre sécurité. Une cycliste meurt: c'était sa faute, elle ne portait pas de casque.
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Par un bel après-midi du mois d'août, Justine Charland St-Amour rentrait chez elle. Coin d'Iberville et Rosemont, elle s'arrête à un feu rouge entre le trottoir et un camion. Le feu passe au vert. Le camion tourne à droite. Elle passe sous ses roues. Une vie fauchée pour rien. Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles prennent bien soin de mentionner que : « la victime ne portait pas de casque ».

30 avril 2016, un garçon se promène en tricycle sur un trottoir de Rosemont. Un pick-up sort en trombe de la ruelle. Le petit n'a aucune chance. Il entre à l'hôpital entre la vie et la mort. TVA Nouvelles prend bien soin de nous dire que le petit « semblait ne pas porter de casque au moment de l'impact ».

Dans les deux cas, aucune question sur le comportement des conducteurs. Le chauffeur du camion a-t-il fait son angle mort? Celui du pick-up a-t-il fait son stop à la sortie de la ruelle? À quelle vitesse arrivait-il? Rien. On sait si le cycliste roulait avec pas de casque. On ignore si le conducteur roulait avec pas de tête.

8 mai 2014, une cycliste de 33 ans passe sous les roues d'un camion au coin de Saint-Urbain et de Maisonneuve. Le camion a fait un virage à droite. Elle portait un casque. Elle se retrouve dans un état critique à l'hôpital.

Deux semaines plus tôt, le 28 avril 2014, Mathilde Blais s'engage dans le tunnel sous la voie ferrée sur la rue Saint-Denis. Un camion-grue la coince contre le mur de béton du viaduc. Mathilde est écrasée. Le rapport du coroner glace le sang : « Évidement du contenu cérébral avec de nombreuses fractures du massif facial et de la base du crâne », « fracture du thorax et du bassin », « hémorragies internes ». Mathilde portait un casque.

De 2011 à 2014, 59 piétons et cyclistes ont été tués dans les rues de Montréal. 1797 ont été blessés. C'est plus qu'un décès par mois. Plus d'un blessé par jour.

L'article de La Presse raconte l'accident : « La jeune orthophoniste n'a eu aucune chance, ce matin du 28 avril. Pour la 43e fois en 2014, elle a enfourché un BIXI pour se rendre au travail. Comme les matins précédents, elle s'est enfoncée dans le tunnel Saint-Denis, sous la rue des Carrières. Un camion-remorque l'y a suivie. Le poids lourd s'est d'abord éloigné de la cycliste, explique le coroner Dionne dans son rapport. Mais il s'est ensuite rapproché afin de libérer la voie de gauche. Le côté droit de sa remorque a heurté la cycliste. La mort a été instantanée. Mathilde Blais s'est retrouvée dans une sorte d'étau, entre le mur de béton du viaduc, à sa droite, et la remorque du camion, à sa gauche. À l'extrême gauche de la chaussée, une voie entière était vide. » Le camion aurait pu éviter la cycliste. Il ne l'a pas fait. Roulait-il avec pas de tête?

Les décès de cyclistes se succèdent à un rythme inquiétant à Montréal. Au point où nous sommes plusieurs à nous demander si nous serons le prochain. Et pourtant, la Ville, le ministère des Transports et les médias continuent de nous faire entièrement porter le fardeau de notre sécurité. Une cycliste meurt : c'était sa faute, elle ne portait pas de casque, ou elle n'aurait pas dû se trouver là.

Pas un mot sur les camions, sur l'aménagement des rues, sur les comportements des automobilistes. Pas un mot sur le volume de circulation dans nos rues. Et on ne parle même pas ici des piétons qui se font happer, dont une grande partie sont des personnes âgées. De 2011 à 2014, 59 piétons et cyclistes ont été tués dans les rues de Montréal. 1797 ont été blessés. C'est plus qu'un décès par mois. Plus d'un blessé par jour. Ce qui étonne, c'est la complaisance ahurissante de certains médias et des autorités devant un tel bilan, et l'absence de mesures décisives pour l'améliorer.

Les données de la direction de la santé publique sont claires : ces accidents se produisent en grande majorité sur les grandes artères à heure de grande circulation. Il y a une corrélation presque parfaite entre le volume de circulation et le nombre d'accidents. La meilleure manière de renforcer la sécurité des cyclistes et des piétons est de réduire la circulation et de sécuriser nos rues, en réduisant la vitesse notamment. Il faut aussi sortir de notre complaisance devant un tel bilan. Comme s'il était normal qu'une personne par mois décède dans nos rues. Les vies des cyclistes et des piétons ont elles moins de valeur que le sacro-saint droit à la libre circulation des automobiles?

Certains ont suggéré que les grandes artères soient interdites aux vélos. Pourquoi ne pas plutôt créer des vélorues réservées exclusivement aux cyclistes? Pour protéger la liberté des automobilistes?

C'est pour mettre fin à ce carnage que le mouvement #visionzero a été lancé. Au Canada, la ville d'Edmonton a adopté il y a un an la Vision Zéro pour réduire le nombre de victimes parmi les piétons et cyclistes. À Toronto, le maire John Tory s'est donné l'objectif de zéro décès en cinq ans. À Montréal, pendant ce temps, on réglemente les pit-bulls...

Certains ont suggéré que les grandes artères soient interdites aux vélos. Encore deux poids, deux mesures. On pénaliserait les victimes en leur interdisant l'accès aux rues. Pourquoi ne pas plutôt créer des vélorues réservées exclusivement aux cyclistes? Pour protéger la liberté des automobilistes? Mais qu'en est-il du droit de circuler en sécurité dans notre ville?

Il est temps de nous sortir la tête de dans le sable : les camions et la circulation automobile fauchent des vies à Montréal. Nous ne sommes pas en sécurité dans nos rues, peu importe que nous portions des casques ou des armures. La réalité froide des choses est qu'un piéton ou un cycliste n'a aucune chance contre une tonne et demie de tôle. Je suis conducteur. Je le sais et je fais attention. Tant que nous continuerons de blâmer les victimes, rien ne changera. Montréal doit dès maintenant se joindre au mouvement #visionzero et s'engager à ramener à 0 le nombre de décès d'ici 2020.

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