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Ma mère n'est pas une profiteuse

J'ai grandi dans une famille monoparentale et ma mère travaillait sur des projets temporaires, souvent financés par le gouvernement fédéral, entrecoupés de périodes où elle recevait ce qui s'appelait à l'époque de l'assurance chômage. Nous n'étions pas riches, et ce qui faisait la différence entre la pauvreté et un niveau de vie acceptable, c'était l'assurance emploi. Nos pères, nos mères, n'étaient pas des paresseux ni des fraudeurs, et le filet de sécurité sociale a sauvegardé nos familles à plusieurs reprises.
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PC

Au printemps dernier, alors que je participais à l'émission de Michel Lacombe pour commenter le démantèlement des réglementations environnementales fédérales par le projet de loi C-38, je me suis retrouvé à dénoncer en direct la soi-disant réforme de l'assurance-emploi contenue dans ce même projet de loi. J'attendais de pied ferme le ministre James Moore, qui devait intervenir pour défendre la réforme, pour lui dire ma façon de penser. Il ne me laissa pas la chance de le faire...

Note: Ce texte est écrit à titre personnel

C'est que j'ai grandi dans une région, le Bas-Saint-Laurent, où l'assurance-emploi fait partie du modèle de développement économique régional en assurant un revenu d'appoint aux travailleurs saisonniers. Je sais que les gens de ma région ne sont pas des paresseux, des fraudeurs vivant au crochet de l'État. L'assurance-emploi permet à de nombreuses familles de demeurer au-dessus du seuil de la pauvreté. Elle permet également à plusieurs industries saisonnières de vivre.

En direct, en ondes, dans l'attente du ministre Moore, j'avais parlé de ma propre expérience. J'ai grandi dans une famille monoparentale et ma mère travaillait sur des projets temporaires, souvent financés par le gouvernement fédéral, entrecoupés de périodes où elle recevait ce qui s'appelait à l'époque de l'assurance chômage. C'était la même chose pour l'un de mes meilleurs amis dont le père était travailleur saisonnier. Nous n'étions pas riches, et ce qui faisait la différence entre la pauvreté et un niveau de vie acceptable, c'était l'assurance emploi. Nos pères, nos mères, n'étaient pas des paresseux ni des fraudeurs, et le filet de sécurité sociale a sauvegardé nos familles à plusieurs reprises.

Transportons-nous trente ans plus tard, aujourd'hui, dans le monde de Stephen Harper. Imaginons que je sois encore un enfant vivant avec ma mère. On cogne à la porte. Deux inspecteurs se présentent et posent des questions à ma mère. Celle-ci tente de répondre tant bien que mal. Deux semaines plus tard, elle reçoit une lettre lui indiquant que ses prestations lui seront coupées.

Elle accepte donc un emploi à Matane, à 100 kilomètres exactement, pour 30 % de moins que son emploi précédant. Ce nouvel emploi à plein temps ne nous permet pas de vivre au-dessus du seuil de la pauvreté, comme c'est déjà le cas pour 600 000 Canadiens. Après une année à voyager 200 km par jour - 50 000 km en un an ! - avec une vieille voiture, en été comme en hiver, dans les tempêtes de neige, et à devoir payer une gardienne pour me faire souper et faire mes devoirs, elle décide finalement de déménager à Matane. Elle m'annonce donc un soir que je vais perdre mon école, mes amis, et devoir recommencer ma vie ailleurs.

Puis, après quelques mois à Matane, son emploi se termine et on recommence le manège. À la fin, ma mère se fait couper complètement ses prestations par un fonctionnaire qui doit atteindre ses quotas de coupures, et nous faisons nos valises pour Montréal. Et c'est ainsi que peu à peu ma région se dépeuple.

Dans le monde froid et bureaucratique des fonctionnaires et du premier ministre, la réalité des familles et des régions n'est rien d'autre qu'une colonne de chiffres dans un tabulateur Excel. Les chômeurs sont au mieux des profiteurs vivant au crochet des autres travailleurs, au pire des fraudeurs.

J'ai vécu, moi, une enfance stable et heureuse parce que le régime d'assurance auquel, faut-il le rappeler, le gouvernement fédéral ne contribue plus depuis longtemps, nous protégeait et nous permettait de demeurer dans notre région. Puis, plus tard, ma famille a quitté le Bas-Saint-Laurent pour la région de Montréal, comme celles de plusieurs de mes amis qui s'étaient exilées au fil des ans. Encore aujourd'hui, je ressens ce départ comme un déracinement. Plusieurs familles ne pourront plus rester en région sous le nouveau régime et devront vivre ce déracinement.

Alors si le ministre Moore m'en avait laissé la chance, ou si je pouvais communiquer avec la ministre Finley, voici l'histoire que je leur raconterais. Et je terminerais en disant ceci: ma mère n'est pas une profiteuse ou une fraudeuse. Et les gens de ma région méritent plus de respect que cela. J'éprouve une grande fierté à les voir se mobiliser contre cette imbuvable réforme.

Si vous avez un peu de décence et de compassion pour les familles et les enfants de travailleurs saisonniers, retirez-la. Sinon les gens de ma région et d'ailleurs s'assureront que vous cherchiez vous aussi un autre emploi à plus de 100 km du Parlement.

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