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La littérature de la migrance au Québec : un bug dans l'imaginaire ?

Injecter plus d'argent pour les traductions des auteurs issus de l'ailleurs ? Injecter plus d'argent dans des maisons d'édition spécialisé dans la francophonie du sud, et donc celle de la migrance ? Convaincre les décideurs de franchir le pas, sans qu'ils aient peur d'être ostracisés dans leur propre environnement ?
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De prime abord, rappelons l'apport intrinsèque de la littérature de la migrance à la littérature québécoise avec des chercheurs tels que Simon Harel, Robert Berrouet Oriol ou encore Pierre Nepveu qui ont démontré par leurs travaux cette appartenance évidente à une identité québécoise nouvelle, plurielle, mais surtout francophone. Il y eut de ce fait plusieurs noms qui ont jalonné cette arène de la littérature de la migrance au Québec, et ce, depuis les années soixante - entre autres, Naim Kattan, Nadia Ghalem, Sergio Kakis, Émile Olivier, Danny Laferriére, Joël Desrosiers et bien d'autres noms.

Cela dit, l'inclusion effective de cette diversité, ces dernières années, nous incite à interpeller la conscience collective sur l'apport de cette diversité littéraire au Québec dont on parle quotidiennement, mais qui n'en demeure pas moins invisible dans les arènes littéraires, institutionnelles de la belle province. Le Québec avait bel et bien adopté la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 20 octobre 2005, avec une entrée en vigueur le 18 mars 2007. Pourtant, l'adoption en terme de mise en pratique et de la valorisation de cette diversité reste très discutable si on se réfère au nombre de publications d'ouvrages et en terme de visibilité dans les salons du livre. Plein d'arguments fanfarons continuent de planer sur l'adoption effective des auteurs issus de la migrance, devant des médias insouciants et des maisons d'édition pour le moins qu'on puisse dire assez sélectifs. De ce fait, l'enjeu, ne se passe-t-il pas derrière les bureaux feutrés des décideurs et leur interprétation du fait culturel au Québec, qui trahit un certain déphasage générationnel, et qui ne se départit pas de cette tendance à l'exception culturelle bien fignolée, bien défendu, et souvent passé sous silence ?

D'abord, un livre qui interpelle sur la question de la diversité, celui de Jérôme Pruneau : il est temps de dire les choses, un extrait de ce livre n'en reste pas moins une dénonciation évidente des mauvaises gestions:

« Sur les 5 derniers Galas de l'ADISQ (2010 à 2014), aucun artiste dit de la diversité n'a reçu de prix sur les 57 prix attribués. Quant aux nominations, seuls 8 artistes de minorités visibles ont été nominés sur l'ensemble des nominations au nombre de... 282. »

Et de par la littérature, Patrice Desbiens, l'auteur franco-ontarien avait comparé son destin de franco-ontarien à celui de l'homme invisible, ayant une identité trop mince au Québec. Le fait est latent. Le tout n'est pas dans le talent, argument biaisé des détenteurs des vérités absolues, mais dans certaines considérations qui émergent pour faire valoir le talent comme unique levier au triomphe. À titre d'exemple, lorsqu'il s'agit d'auditions théâtrales, il y a la problématique de « l'accent » qui émerge. L'affaire Black face dernièrement jette de l'huile sur le feu en instituant un débat vigoureux sur la place des comédiens issus des communautés sur les planches. En littérature, il y a l'argument de « la sensibilité littéraire qui va de pair avec la sensibilité québécoise ». Il y a aussi l'argument des subventions chez les éditeurs pour justifier les choix difficiles, souvent paradoxaux. Bref, lorsqu'on atteste que plus de deux cents maisons d'éditions québécoises se prêtent au service du livre et de la littérature québécoise, il y a lieu de se demander pour quelle raison le paysage reste pratiquement déficient du côté de la présence des Maisons d'édition, exclusivement dédiées aux Québécois issus de la Migrance, à l'image de « Actes Sud », cette maison d'édition française qui a bien réussi à canaliser les énergies, et propulser bien des talents francophones en littérature au-devant de la scène.

Le projet « les mille et une soirées littéraires » mandaté par l'organisme E-Passerelle, inauguré à la Maison des écrivains depuis janvier 2015 - et consistant à inviter une fois par mois des auteurs néo-québécois issus de la migrance, a drainé un certain enthousiasme de la part de certains acteurs politico-culturels. Et pourtant, bien des médias de la place ont fait la sourde oreille devant de telles rencontres. Bref, après la huitième rencontre que cet organisme a instituée juste récemment, le constat de ces auteurs demeure le même : Il faut crever l'abcès ! mais comment? Ce pot vide et hermétique, et qui n'a pas de narines pour respirer, il faudrait le perforer ? Oui, mais à quel point ? Il n'y a pas de nuance. Le constat est unanime. La réception des écrits des gens de lettres issus des communautés culturelles est souvent nulle, il égale la galère de joindre un journaliste de la presse québécoise pour venir couvrir un événement sur la littérature de la migrance, il égale le manque d'intérêt des salons du livre à sonder ce débat avec les sociologues de la migrance, tout en s'éloignant des arguments itératifs et stéréotypés du genre, « il y a un modèle, c'est Danny Laferriére, faites comme lui ». L'enjeu est bien plus grand que cela. La plupart des auteurs issus de la migrance ont besoin de reconnaissance dans un cadre commun, celui de l'assignation à une sphère littéraire québécoise inclusive dans le cadre de la diversité des expressions culturelles, et non monochrome à la grâce des Dieux et des muses. Rien qu'au salon du livre de Montréal, édition 2015, aucune conférence spécifique à la migrance, aucune conférence sur les enjeux politiques du Moyen-Orient qui ont drainé une nouvelle littérature dans le monde, presque aucun auteur de la migrance invité au milieu de cette mer de blancheur émérite, pas vraiment de thèmes sensibles à la migrance, à l'apatride, à l'entre-deux rives !

Comment faire alors?

Injecter plus d'argent pour les traductions des auteurs issus de l'ailleurs ? Injecter plus d'argent dans des maisons d'édition spécialisé dans la francophonie du sud, et donc celle de la migrance ? Convaincre les décideurs de franchir le pas, sans qu'ils aient peur d'être ostracisés dans leur propre environnement ?

Il est plus que souhaitable que les fleurons de la littérature québécoise puissent ramener des Prix Goncourt, des Medicis, des Femina, etc. Hélas, jusqu'à maintenant, ça ne se fait pas, et il est temps de se poser les questions sur les vraies raisons ! La littérature québécoise n'est pas juste Danny Laferriére ou Marie Laberge, elle est l'ensemble des francophones qui adoptent le Québec comme terre d'accueil et qui adoptent la langue française. Et dans la mesure où cette littérature québécoise ne s'exporte pas très bien dans le monde, il faudrait investir dans son potentiel diversifié, et inclure tous ses composants pour briller ailleurs, avec les mentors et avec la relève ! le Bug en question n'en sera qu'illusion devant un Québec qui, depuis longtemps, avait fait le choix de la diversité. En somme, rappelons Éric Emmanuel Shmitt : "Je ne rêve pas d'être apatride, je rêve que le monde le devienne"

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