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Papa n'est pas ces hommes-là

Aujourd'hui, papa a réalisé qu'il est et sera toujours le seul à pouvoir me considérer comme sa petite fille.
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Aujourd'hui, papa a réalisé qu'il est et sera toujours le seul à pouvoir me considérer comme sa petite fille.

Aujourd'hui, papa a réalisé que les autres hommes me voyaient comme une femme.

Tandis que pour d'autres,

Je n'étais pas grand-chose.

Voire,

Rien d'autre qu'une chose.

Aujourd'hui, papa a mal. Parce que sa petite fille a été et est celle à qui l'on peut dire des choses pas très jolies.

Beaucoup moins jolies que l'est sa petite fille.

Pour papa, je suis toujours jolie. Même quand j'ai une grippe, même quand j'ai la gastro, même le matin quand je sors de ma chambre dans mon pyjama de garçon avec mes cheveux qui se battent entre eux. Papa, il m'a toujours trouvé jolie, peu importe la façon dont je m'habillais. Que je porte du rose ou du noir, que je sois maquillée ou non, que je mette une jupe ou un pantalon. Quand je mets du rouge à lèvres, je suis jolie, quand je porte un T-shirt qui laisse apparaître mon nombril, je suis jolie, quand je m'étais coupée les cheveux aussi courts que mon cousin, j'étais jolie, quand je souris aussi, quand je fais la tête, aussi. Papa, il a toujours été fier de montrer des photos de moi à ses amis, pour ensuite me dire qu'untel lui avait dit que j'étais aussi jolie qu'il le pensait.

Papa m'aime comme la prunelle de ses yeux. Alors, il tient à moi. Beaucoup. Et il fait toujours en sorte de me protéger de tout.

Mais aujourd'hui, papa se sent impuissant face à ce tout.

Il se souvient d'un jour où nous nous promenions ensemble au centre-ville, je devais avoir quatorze ans, peut-être quinze. Une voiture est passée à notre hauteur, le conducteur a klaxonné et m'a sifflé avant de poursuivre sa route. Pour moi, cela faisait partie des choses qui arrivaient dans la vie. Pour papa, c'était un sombre connard. Mais mon innocence lui semblait être plus importante que tout.

Aujourd'hui, il s'en veut. Mais après tout, comment pouvait-il imaginer que sa petite fille, l'enfant qu'il avait pris dans ses bras à la maternité pour la première fois et qu'il avait aimé avant même qu'il vienne au monde, puisse un jour être regardée à travers des yeux aussi immondes, parfois trop imbibés de sang, d'alcool, de drogues, de dégoût?

Comment pouvait-il penser à tout ça, lui qui ne me voyait que comme son bébé?

Comment pouvait-il penser, le jour où je me suis coupée les cheveux, que des idiots me reprocheraient de vouloir ressembler à un garçon?

Comment pouvait-il penser, le jour où il m'a souhaité tout le bonheur du monde avec ma petite amie de l'époque, que d'autres filles refuseraient d'avoir un quelconque contact avec moi de peur que je les drague, et que d'autres garçons s'imagineraient mettre en place un de leurs fantasmes avec moi?

Comment pouvait-il penser, le jour où j'ai commencé à grandir et à ressembler à une femme, qu'un cuisinier de son âge me demanderait la cuisson de mon steak en me regardant dans les seins?

Comment un père, qui ne voit sa fille que comme sa fille, naïvement et innocemment, pouvait s'imaginer qu'elle serait un jour obligée de supporter des situations honteuses et dérangeantes?

Aujourd'hui, papa s'en veut. Mais aujourd'hui, c'est moi qui m'excuse. Je suis désolée, papa, pour ces personnes-là. Parce qu'il faut l'être. Il faut ressentir beaucoup de peine pour eux, tu sais. Tu te demandes comment peuvent-ils être aussi monstrueux envers une femme, alors qu'ils ont des mères, peut-être même des sœurs ou des filles. Ce que je pense, papa, c'est que s'ils sont bien différents de toi, il y a malheureusement une chose qui doit vous, nous, rapprocher : on pense toujours qu'une telle chose ne nous arrivera pas.

Je sais que tu es quelqu'un de bon, papa. Je sais que tu ne fais pas de différences entre les hommes et les femmes. Et pour ça, je te respecte infiniment et te remercie. Mais tout le monde ne réagit pas comme toi.

Je ne pensais pas, quand j'étais plus jeune, que l'on m'arrêterait dans la rue sans raison, simplement pour me demander si j'avais un petit copain ou simplement pour me dire que j'avais un joli visage, un joli cul. Je ne pensais pas que l'on me regarderait à travers mon corps et non pas à travers ce que je suis. Je ne pensais pas que j'essuierais des «salopes», des «sales putes», des «j'vais te baiser» selon ma tenue vestimentaire ou ma façon d'être. Je ne pensais pas, quand j'avais quatorze ans, dans cette rue avec toi, que ce conducteur malpoli ne serait que le premier d'une longue liste.

Je ne pensais pas que des hommes étaient suffisamment inhumains et bestiaux pour profiter de mes faiblesses, de ma vulnérabilité, de ma naïveté, de ma gentillesse que tu chérissais tant. «C'est ce qui fait la belle personne que tu es», me disais-tu.

J'y tenais, moi aussi, papa. J'aimais autant mon innocence que toi. Mais je n'ai plus le droit de l'être. Parce que d'autres hommes, bien plus mauvais que toi, bien moins courageux que toi, ont décidé que je ne serais rien d'autre qu'un objet s'ils le désiraient.

Je ne dis pas que l'on doit vivre avec, s'en contenter, et faire en sorte de l'éviter. Bien au contraire.

Je dis juste que le monde est tel que maman le dépeint.

Ne t'arrête jamais de me voir comme ta petite fille, papa. Mais, à l'image de la femme que tu aimes au point d'en faire la personne la plus respectable et forte à tes yeux, aide-moi à devenir quelqu'un que les crocodiles ne pourront pas atteindre. Je t'aiderai à ouvrir les yeux sans avoir peur.

Papa, nous sommes tellement dans mon cas.

Nous sommes la moitié de l'humanité.

Nous sommes toutes les petites filles de quelqu'un.

Nous serons toutes les potentielles choses de quelqu'un d'autre.

Mais les choses changent. Et tu fais partie de cette évolution, papa.

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Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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