En écoutant la puissante Céleste Godin à la soirée de poésie Gérald Leblanc du festival Acadie Rock, j'ai reçu une gifle. J'étais soudainement devenue une Québécoise qui se plaignait la bouche pleine. Les Acadiens de Moncton étaient aussi sous le choc : Céleste, qui a immigré il y a trois semaines à peine dans cette Acadie où l'offre culturelle est si abondante qu'il est difficile de choisir quel spectacle aller voir en ville, rappelait hier à ses compatriotes acadiens qu'ils étaient une bande de privilégiés. Elle se disait souffrir d'un « post-traumatisme culturel », elle, la « réfugiée linguistique » des Badlands, en Nouvelle-Écosse. Comme moi, elle avait vécu le Quinzou à Moncton la veille. Et malgré ce jour de « hangover national », la salle était pleine à craquer de jeunes et de moins jeunes.
Céleste arrive sur scène, impériale. Elle vient tout juste d'écrire ce poème, qu'elle se prépare à lancer au visage de son Acadie d'adoption. Dans l'ordre, ce poème, ce sera une gifle, une mise au point et un appel à l'autre. Je vous partage le début :
« Je suis debout sur l'autel du temple Aberdeen
En ce jour de hangover national
En plein milieu des rites annuels d'Acadie Rock
C'est à mon tour de faire des invocations
Et d'être prêtresse pour le peuple
J'voulais vous écrire un poème
Avec des incantations magiques
Et des métaphores mystiques
J'voulais vous ensorceler avec un charme
Qui vous mettrait sous le mien
J'voulais vous manipuler avec mes mots
Vous hypnotiser avec mon humour
Je voulais me mériter une initiation
À l'ordre des poètes du patrimoine
Mais ce soir, j'ai une promesse à préserver
Des obligations à obéir
J'ai fait mon serment d'allégeance
À la diaspora acadienne elle-même
Alors, au nom des Badlands et du peuple perdu
J'ai le devoir solennel
De vous livrer le message suivant :
Chers membres du public : vous êtes un paquet de privilégiés
On m'a dit que je ne devrais pas vous accuser
Que jamais vous ne me pardonnerez
Que dans un petit milieu faut pas être trop dangereuse
Que faut pas tuer sa carrière à coup de mitrailleuse
Mais fuck it
La vérité c'est un processus violent
Et j'me kamikazerai pour la cause n'importe quand. »
Rapidement, l'émotion nous a tous pris à la gorge. Des larmes partout : sur scène (merci Céleste pour la sincérité), dans les yeux de mon voisin et dans les miens aussi. Elle souhaite vivre là où « parler français n'est pas un acte révolutionnaire » où « on peut tomber en amour en français ». Et c'est à ce moment-là que ce vers du poème magnifiquement intitulé « Manifeste diasporeux », de Gabriel Robichaud, qui l'avait précédée sur scène, a pris tout son sens : « On est toujours le maudit français de quelqu'un d'autre. » Les Français sont les maudits Français des Québécois, les Québécois sont les maudits Français des Acadiens, les Acadiens du Nouveau-Brunswick sont les maudits Français des Acadiens de la Nouvelle-Écosse, etc. Toute une leçon que je venais de recevoir là!
Cet appel à l'autre, je l'ai entendu. Quand je suis en classe avec les élèves de mon école québécoise, je trouve qu'ils ignorent tout du Québec et de ses poètes. Et en assistant à cette soirée de poésie acadienne, c'est moi qui suis devenue cette élève indigne qui ne connait pas les poètes acadiens. Et qui, comme une néophyte, s'est délectée de cette langue qui roucoule, cette langue aux accents graves qui rappellent le chant de la mer. Qui se déchaîne oui, mais qui nous entoure d'amour surtout.
Et je me suis dit que je me ferais un devoir d'enseigner Gérald Leblanc l'an prochain.
Le Centre Culturel Aberdeen était auparavant une école secondaire. Suite à la fermeture de l'école, un groupe d'artistes de la communauté a commencé à installer leurs studios et leurs bureaux dans le bâtiment. En 1986, les occupants ont décidé de créer une organisation coopérative au nom de Centre culturel Aberdeen. Renouvelé et restauré pour sa nouvelle vocation, le bâtiment du Centre culturel Aberdeen abrite une vingtaine d'organisations actives dans le domaine des arts, de la culture et de l'éducation.
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