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«Jusqu'à quand des réserves au Canada?»: réponse à Denise Bombardier

Ce que vous écrivez est dangereux, parce qu'il simplifie des réalités infiniment complexes qui, visiblement, vous échappent.
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Réponse à la chronique «Jusqu'à quand des réserves au Canada?» de Denise Bombardier.

Madame,

Vous venez d'écrire un énième texte sur les Autochtones. Les faussetés et les demi-vérités qu'il contient me poussent à vous inviter à vous documenter sérieusement avant la rédaction de votre prochaine chronique sur ce sujet, de même qu'à diversifier vos sources d'informations. Quelles sont-elles, au fait, ces sources? Vous fréquentez régulièrement des Autochtones? Vous avec pris le temps de vous rendre sur ces réserves, qui expliquent, selon vous, l'entièreté des problèmes de pauvreté, d'exclusion et de violence? Vous lisez régulièrement des livres ou des articles sur les Premières Nations? Ils sont pourtant très nombreux et diversifiés à être publiés par des anthropologues, des historiens, des sociologues ou des philosophes. Il y a même des auteurs autochtones. Imaginez! Vous fréquentez des événements culturels relatifs aux univers autochtones? Vous avez entendu la poésie de Joséphine Bacon? Admiré l'art d'Eruoma Awashish? Vu le film Avant les rues, de Chloé Leriche, (présentement à l'affiche)?

J'ai sélectionné quelques extraits particulièrement dérangeants de votre chronique, afin d'en corriger les erreurs et de vous inviter à en préciser des objectifs que j'ai peine à comprendre.

1- «Isolés, à l'écart de toute civilisation, ils maintiennent la misère qui se transmet de génération en génération et ses habitants sont parmi les damnés de la terre.»

Vraiment, madame Bombardier? Mais quelle est donc cette civilisation à laquelle vous faites référence? La nôtre? Nos systèmes économiques qui fonctionnent si bien? Un stade d'avancement culturel supérieur? Opposer, en 2016, un mode de subsistance traditionnel à la «civilisation» est inexcusable.

2- «Trop souvent les chefs de bande se comportent en despotes et gèrent les millions payés par les taxes de comptes sur les dépenses encourues.»

Il y en a certainement, comme partout ailleurs. Parlons plutôt de nos Nathalie Normandeau et autres Gilles Vaillancourt. Le problème de la corruption n'est pas un problème spécifiquement autochtone. Y consacrer autant d'espace dans un texte sur les réserves relève de la mauvaise foi.

3- «C'est au nom de valeurs traditionnelles empreintes de nostalgie que la majorité des autochtones refusent de quitter leurs réserves installées sur de vastes territoires qui leur appartiennent, certes, mais où il est impossible d'être éduqué, soigné et de gagner sa vie.»

D'où vous vient cette information? Quelles sont ces valeurs empreintes de nostalgie dont vous parlez? La langue? Le lien au territoire? Ne sont-ce pas là des éléments fondamentaux de toute culture humaine?

Ne reprochez-vous pas vous-même aux Québécois de négliger leur langue, leur histoire et les valeurs qui les définissent (ou qui les définissaient à une certaine époque que vous évoquez vous-même avec nostalgie dans certaines de vos chroniques)? Vous devez savoir mieux que quiconque à quel point il est difficile de maintenir certaines traditions culturelles et linguistiques lorsque elles se retrouvent diluées dans le bouillon d'une culture dominante et dominatrice.

4- «L'isolement, la promiscuité, l'absence de ces services essentiels à toute communauté humaine font des réserves des lieux de désespoir.»

D'abord, il y a une soixantaine de communautés autochtones, juste au Québec. Chacune possède ses spécificités géographiques, démographiques, historiques et sociales. Certaines sont mieux desservies que d'autres. Beaucoup souffrent d'un manque de ressources économiques et humaines (quoi que vous puissiez avancer dans votre texte) mais dans la plupart on y trouve des écoles, des services sociaux et des établissements de santé où travaillent dans des conditions parfois extrêmes, des gens engagés, Autochtones et non-Autochtones.

5- «Oubliez le mythe de la chasse et de la pêche, ces activités qui permettaient de se nourrir dans le passé. Les autochtones d'aujourd'hui se nourrissent de "junk food", se saoulent jusqu'à plus soif et consomment des drogues qui arrivent par les avions des Blancs.»

Un instant, madame.

a) De nombreux Autochtones pratiquent toujours la chasse et la pêche en 2016. Ce n'est pas un mythe. Ce n'est plus l'unique moyen de subsistance, certes, mais la chasse, la pêche et la trappe constituent encore aujourd'hui, pour plusieurs familles, un complément important à l'alimentation. Les produits de ces activités sont d'ailleurs souvent redistribués auprès des familles dans le besoin.

b) Ce ne sont pas «les» Autochtones qui consomment de l'alcool et des drogues. Il y a «des» Autochtones qui en consomment. Sacrée nuance! Cette généralisation n'est pas digne de quelqu'un d'informé et d'éduqué. Et en passant : saviez-vous qu'au Canada, dans plusieurs régions, la proportion de buveurs est plus élevée chez les non-Autochtones comme vous et moi que chez les membres des Premières Nations? Il est vrai que les problèmes de toxicomanie et de dépendance sont majeurs dans plusieurs communautés, mais ils ne sauraient être réduits à l'identité autochtone et à un refus de «s'émanciper» des réserves.

6- «Une question lancinante s'impose. La culture autochtone n'a-t-elle pas échoué à prendre le tournant de la modernité qui, elle, a propulsé tout l'occident hors de la pauvreté en favorisant l'émergence de la classe moyenne?»

a) Quel raccourci honteux. Vous faites complètement abstraction de l'histoire coloniale du Canada et de l'Amérique du Nord. Les Autochtones n'ont pas choisi de vivre dans les réserves ou de participer à un régime fiscal différent. (Re)lisez la Loi sur les Indiens, celle sur les réserves ou encore le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (si vous manquez de temps, les 20 premières pages suffiront à vous aider à mieux comprendre les sources de ce que vous décriez).

b) Et il faudrait se brancher. D'une part vous accusez les Autochtones de ne pas vouloir évoluer vers cet eldorado économique occidental, et de l'autre, vous leur reprochez de ne plus vivre comme leurs ancêtres. Faudrait savoir ce qu'on veut. Ce que je comprends de votre texte, c'est que les Premières Nations sont tout simplement coupables de ne pas avoir disparu... C'est bien ça?

c) Vous faites un lien étonnant entre les abus physiques et sexuels, la violence familiale et les suicides répandus dans certaines communautés, et le refus d'aller de l'avant et d'entrer dans la prospérité économique. Ces problèmes ont des origines fort complexes qu'on ne saurait expliquer par une cause unique. Ceci est vrai pour n'importe quel peuple.

C'est bien beau la chronique et le texte d'opinion, mais vous n'avez pas le droit d'induire ainsi en erreur vos lecteurs, dont certains ont déjà la gâchette facile en ce qui concerne la haine de l'«Indien». Ce que vous écrivez est dangereux, parce qu'il simplifie et décontextualise des réalités infiniment complexes qui, visiblement, vous échappent.

J'espère que vous aurez la chance, dans un avenir rapproché, de vous asseoir avec un ou des membre(s) d'une Première Nation, qui partagera peut-être avec vous quelques bribes de sa vie dans une réserve. Peut-être cela ouvrira-t-il votre esprit et votre cœur? Je vous le souhaite. Vraiment.

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