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Je suis aveugle et ces huit jours ont changé ma vie

Pourquoi ne pas offrir à tous les non-voyants la possibilité de sortir boire un expresso ou faire ce dont ils ont envie? Ça ne me paraît pas trop demander.
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Prendre le bus pour aller boire un expresso dans son café préféré est une activité simple que pratiquent de nombreux Australiens. Même les non-voyants peuvent le faire. Il suffit d'attraper sa canne blanche ou de passer un harnais à son chien.

Vous pouvez vous diriger vers l'arrêt de bus, faire attention en montant les marches du véhicule, descendre à la bonne station, trouver le café et obtenir cette dose de caféine tant espérée. Mais que se passe-t-il si, en dépit d'un entraînement adéquat et de toutes les aides à la mobilité du monde, ce parcours simple vous semble irréalisable? Si le stress généré par ce trajet est si grand qu'il vous empêche d'essayer, car vous avez trop peur de vous perdre ou de vous blesser?

Je suis aveugle de naissance. Je ne vois rien du tout, même pas un semblant de lumière. Je suis mariée, mère de deux adolescents, j'ai ma propre entreprise, je fais du bénévolat près de chez moi, j'ai plein d'amis et une vie très riche. Cependant, il y a encore quelques années, voyager en solo engendrait chez moi une angoisse folle. Parfois, c'était complètement paralysant.

En décembre 2010, je suis tombée sur un documentaire qui racontait comment un garçon devenu aveugle à la suite d'un rétinoblastome utilisait le bruit de sa langue pour se déplacer dans son quartier. Il se servait de l'écho créé pour éviter les voitures, jouer aux jeux vidéo et même au basket. Même si je trouvais la chose fascinante, tout cela semblait très loin de moi.

Sur ce, Daniel Kish, spécialiste de la mobilité des non-voyants et président de World Access for the Blind, est arrivé. Daniel venait aider Ben, le garçon du documentaire, à affiner ses compétences en écholocalisation ("flash sonar").

L'écholocalisation permet à la personne de produire un son qui génère un écho. Ce retour lui donne toute une série d'informations sur son environnement. L'écho peut être très différent selon l'objet sur lequel il rebondit. Un mur renvoie ainsi un écho assez dense tandis qu'une haie donne un écho assez épars. Ça semble compliqué et pourtant c'est très simple.

Daniel a éveillé ma curiosité. Il avait l'air de quelqu'un d'intelligent, s'exprimait clairement, et pouvait se déplacer partout où il le souhaitait de manière autonome. J'ai voulu en savoir plus. Je l'ai contacté et c'est ainsi qu'a débuté une aventure qui l'a fait venir en Australie pour me donner une formation de huit jours. Huit jours qui ont -littéralement- changer ma vie.

Au bout de trois jours, j'ai pu satisfaire mon envie d'aller au café pour y commander un expresso. Nous sommes allés dans des endroits que je ne connaissais pas, en nous repérant grâce au son de nos langues. Pour rappel, Daniel avait fait le voyage de Los Angeles à Brisbane. Il ne connaissait pas les magasins, les stations de train et les parcs que nous avons visités, mais nous sommes parvenus à nous repérer dans ces lieux sans assistance.

Daniel m'a donné l'envie de me faire confiance et d'utiliser mes sens pour trouver ce dont j'avais besoin dans mon environnement. Il n'a pas passé son temps à m'apprendre comment suivre un itinéraire spécifique, d'un point A à un point B, mais à me servir de l'écholocalisation pour trouver des points de repère jusqu'à ma destination.

Si vous apprenez un chemin par cœur et que vous en déviez, vous êtes souvent incapable de le retrouver parce que vous vous êtes tellement concentré dessus que vous n'avez aucune idée de ce qui vous entoure. L'écholocalisation vous encourage à interroger l'environnement afin de trouver les réponses dont vous avez besoin pour atteindre votre destination.

Je m'en sers désormais tout le temps et sans y penser. C'est devenu aussi normal que de respirer. Même s'il m'arrive de ressentir un petit peu d'anxiété, je peux me déplacer où je le souhaite sans aide. Je fais parfois appel à un guide ou je demande de l'aide, mais uniquement si j'en ai envie. Cela dit, c'est devenu un choix. Je suis vraiment libre de me déplacer comme je le souhaite.

Je travaille désormais avec l'équipe de Daniel, que j'espère pouvoir faire venir en Australie pour offrir cette technique à d'autres. Des vies ont déjà été changées et même sauvées par cette technique révolutionnaire. Je veux pouvoir donner aux non-voyants la liberté de vivre comme ils l'ont choisi, de se déplacer dans leur environnement et dans leur vie de la manière qui leur correspond.

Pourquoi ne pas offrir à tous les non-voyants la possibilité de sortir boire un expresso ou faire ce dont ils ont envie? Ça ne me paraît pas trop demander.

Ce blog, publié à l'origine sur le Huffington Post australien, a été traduit par Laura Pertuy pour Fast for Word.

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