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Une perspective critique sur l'urbanisation en Chine

En 2011, la Chine a connu sa transition urbaine: elle compte désormais plus de 50 % d'urbains, dans un pays qui en comptait à peine 20% en 1960. L'urbanisation est frappante par son caractère récent et rapide, ainsi que par l'ampleur du pays concerné, tant au vu de sa population que de son territoire. Selon des prévisions, le pays compterait plus de 220 villes millionnaires d'ici 2025.
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Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

En 2011, la Chine a connu sa transition urbaine: elle compte désormais plus de 50 % d'urbains, dans un pays qui en comptait à peine 20 % en 1960. L'urbanisation est frappante par son caractère récent et rapide, ainsi que par l'ampleur du pays concerné, tant au vu de sa population que de son territoire. Selon des prévisions, le pays compterait plus de 220 villes millionnaires d'ici 2025.

Les phénomènes liés à l'urbanisation en Chine intéressent aujourd'hui autant les médias que les chercheurs, spécialistes ou non du pays. Pourtant, le regard porté sur cette société, souvent biaisé par des principes normatifs ou des transpositions hâtives, tombe souvent dans le cliché simplificateur. Lors de mes études en mandarin et en sciences sociales suivies d'un doctorat, j'ai étudié les faits urbains au niveau local. À partir des données d'enquête recueillies à Pékin, j'ai développé une analyse approfondie des modes d'exercice du pouvoir urbain lors de l'organisation des Jeux olympiques dans un espace proche du quotidien: le quartier d'habitation.

L'analyse a mis en lumière des décalages avec les idées reçues dominantes, allant à l'encontre des simplifications: oppositions binaires (État-société, démocratie-régime autoritaire, libération-oppression...), principes normatifs (l'Occident est un modèle de réussite, la Chine n'a pas encore atteint ce niveau).

Simplification n°1: Malgré les ambitions de modernisation, l'urbanisation serait toujours inscrite dans un contexte autoritaire et corrompu.

Certes, on note une atténuation des analyses de type culturalistes (à la mode dans les années 1990) qui expliquaient l'autoritarisme par l'essence de la culture chinoise. Mais aujourd'hui, l'État chinois est toujours majoritairement considéré (implicitement ou non) comme une entité oppressant la société qui serait victime d'un pouvoir écrasant et ne demanderait qu'à s'en émanciper.

Dans cette conception encore assez binaire opposant État et société, où placer les institutions parapubliques présentes depuis les années 1950 telles que les comités de résidents, ayant un rôle ambigu entre agents de contrôle chargés de surveiller certaines pratiques de la population (nombre de naissances) et agents de services de proximité? De la même manière, où placer les délégués habitants volontaires pour surveiller les quartiers, mais profitant surtout de leurs fonctions pour "faire de l'exercice et discuter avec les voisins"? Ces "entre-deux" font-ils partie de l'État ou de la société?

Dans ma recherche, j'ai analysé les relations complexes que ces agents parapublics entretiennent à la fois avec les habitants du quartier et avec les administrations des niveaux supérieurs qui les supervisent. L'étude des interactions entre les acteurs des quartiers fait émerger des formes de contrôle multiples, des contraintes et des sentiments subjectifs; les employés des comités de résidents sont parfois les plus contrôlés de la situation.

Simplification n°2: Quant aux Chinois urbains, ils seraient tous devenus individualistes aux dépens du collectivisme des décennies précédentes.

Le cliché selon lequel les Chinois sont désormais obsédés par l'argent et par leurs propres intérêts s'est répandu massivement dans la littérature journalistique. Pourtant, non seulement on remarque une explosion des formes associatives liée au développement des loisirs, mais on note aussi que beaucoup font encore appel à l'État pour exiger des compensations dans de nombreux domaines. Cela n'empêche d'ailleurs pas la contestation sociale...

Simplification n°3: Dans la littérature scientifique sur la Chine actuelle, l'économie de marché ou l'accès à la propriété privée sont considérés comme des nouvelles formes de "libertés" au sein du régime "autoritaire".

Cette vision normative s'inspire de la thèse libérale individualiste considérant comme "positive" la libération de l'individu vis-à-vis des contraintes politiques et sociales. Dans la littérature scientifique, le prisme libéral de l'individualisme apparaît dans la manière dont l'économie de marché ou l'accès à la propriété privée sont considérés comme des formes de "micro-libertés" au sein du régime "autoritaire".

Ce paradigme est particulièrement saillant dans le cas des nouveaux quartiers d'habitat: les propriétaires feraient l'apprentissage de la démocratie directe en élisant leurs représentants, ce qui marquerait un premier processus de démocratisation. Et pourtant, les nouveaux quartiers ne semblent pas si "émancipateurs" que cela, ne serait-ce qu'à cause du poids financier ainsi que de l'ensemble des nouvelles responsabilitésqui pèsent sur les nouveaux propriétaires. De même, l'apprentissage de la démocratie locale va de pair avec l'affirmation d'un "entre-soi" limité à l'espace d'une résidence fermée sur l'extérieur, entérinant de ce fait d'importants risques de ségrégation socio-spatiale.

Simplification n°4: Les quartiers anciens, incarnant le mode de vie "traditionnel" pékinois, seraient menacés par la "modernité" écrasante des grands immeubles, au détriment de la vie locale pourtant si attrayante. En outre, l'expropriation autoritaire des habitants serait symptomatique de la nature non-démocratique du régime politique chinois. Enfin, la question du patrimoine pèserait peu au regard des intérêts des promoteurs immobiliers.

Ce type d'argument empêche de saisir la trajectoire de l'urbanisme chinois dans toutes ses dimensions. En effet, les problématiques du confort et de l'hygiénisme, la question du rôle des promoteurs immobiliers et de l'administration municipale locale nécessite un éclairage historique et local (propre à chaque ville): certes, les réformes vers l'économie de marché ont entériné des politiques de rénovation urbaine violentes et consacré le poids des promoteurs immobiliers dans l'urbanisme. En même temps, ces réformes visaient avant tout à résoudre la crise du logement urbain qui a perduré jusque dans les années 1980. Progressivement, le logement, caractérisé par l'inconfort et le surpeuplement, est devenu l'un des domaines les plus dynamiques des politiques urbaines. Quant aux anciens habitants, ils hésitent entre leur attachement à la sociabilité du quartier ancien et la perspective du déménagement vers le "confort moderne" en banlieue. Il est donc intéressant d'étudier la manière dont la norme des nouveaux appartements plus confortables est devenue majoritaire dans la société chinoise, tant du point de vue des groupes de promotion immobilière et des municipalités que du point de vue des habitants.

Cette thèse, ainsi que les nouvelles recherches en études chinoises, qui privilégient ce type d'approche critique, espèrent ainsi offrir des clés plus adaptées à la compréhension de la Chine, acteur majeur du monde contemporain, notamment des enjeux de son urbanisation et sesconséquences pour la stabilité sociale du pays, mais aussi pour la stabilité de ses relations avec ses partenaires. L'actualité récente le prouve, puisque durant sa visite d'État en Chine en avril 2013, le président français François Hollande a évoqué le "développement urbain durable".

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La recherche à Sciences Po regroupe plus de 200 chercheurs et forme annuellement plus de 600 jeunes chercheurs. Basées sur le droit, l'économie, l'histoire, la science politique et la sociologie, les recherches conduites à Sciences Po sont résolument pluridisciplinaires.

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