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Quand les souvenirs s’enfuient

Pourquoi étais-je si effrayée à l'idée de revoir ma grand-mère extraordinaire? Parce que j'avais peur qu'elle ne me reconnaisse pas.
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Je suis repartie en me disant que peut-être certain jour, c'était à moi qu'elle pensait en embrassant ces petites têtes en plastique.
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Je suis repartie en me disant que peut-être certain jour, c'était à moi qu'elle pensait en embrassant ces petites têtes en plastique.

Une des raisons qui m'a ramené sur la Côte-Nord était de revoir une dernière fois ma grand-mère. Bien que je la savais encore vivante, je n'étais pas certaine que ceci était possible. C'était un voyage qui loin de me réjouir, m'effrayait.

Pourtant, il n'y a pas de doute j'adorais cette femme. Elle incarnait pour moi ce qu'il y a de plus beau dans la maternité. Puisque j'étais la première de ses petits-enfants, j'avais l'impression d'être spéciale à ses yeux. J'avais bénéficié de tant d'amour et d'attention de sa part. Chacun des regards qu'elle avait posés sur moi semblait admiratif, comme si j'avais été une des sept merveilles du monde. Aujourd'hui, âgée de presque cinquante ans, je suis consciente que chacun de ses cinq enfants et de ses dix petits-enfants aurait pu dire la même.

Elle respirait toujours, ses yeux étaient toujours ouverts, mais doucement elle nous avait quittés.

Alors pourquoi étais-je si effrayée à l'idée de revoir cette femme extraordinaire? Parce que j'avais peur qu'elle ne me reconnaisse pas. Un terrible mal la rongeait depuis plus de 5 ans et l'avait tranquillement privé de ses souvenirs. Elle respirait toujours, ses yeux étaient toujours ouverts, mais doucement elle nous avait quittés.

J'ai mis trois jours avant de me rendre dans sa nouvelle maison, chambre 131 dans l'ancien foyer de personnes âgées où sa propre mère a fini ses jours. En sortant de l'ascenseur, elle était là, avec les autres patients, tous dans un état semblable au sien. Ils étaient tous assis dans des chaises adaptées, attendant sagement leur repas. On aurait dit de grands enfants dans un centre de la petite enfance.

Elle était de dos, mais j'ai reconnu ses cheveux blancs. Je me suis dirigée vers elle, le cœur battant plus fort et je n'ai pas pu retenir mes larmes. Je me suis placée devant elle et j'ai dit : « Memé, c'est Josée ». Elle m'a regardé et ses lèvres ont bougé pour former des mots que je ne comprenais pas. J'espérais que c'était mon nom, dans sa bouche cela semblait toujours un mot gentil. Je me suis penchée plus près pour entendre : « Pleures pas », comme si elle essayait encore une fois de me consoler. « Je pleure parce que je suis contente de te voir ».

Je me suis raccrochée à cela sans trop y croire, mais parce que j'en avais besoin.

Je l'ai serré dans mes bras et j'ai remarqué un petit sourire au coin de sa bouche. Ce n'était pas grand-chose, je l'ai peut-être inventé pour me rassurer. Une des préposées a dit : « Madame Turbide, vous avez de la belle visite, c'est votre petite-fille ». Elle a regardé les deux poupées sur ses genoux, ses nouveaux bébés dont elle ne se sépare plus, puis m'a regardé à nouveau et elle a eu un autre petit sourire. « Elle vous reconnait ». Je me suis raccrochée à cela sans trop y croire, mais parce que j'en avais besoin.

Ce n'est pas anodin de finir sa vie en caressant des poupées, son cerveau s'est raccroché à la maternité parce que c'est ce qui la définissait le mieux. Je suis repartie en me disant que peut-être certain jour, c'était à moi qu'elle pensait en embrassant ces petites têtes en plastique.

Moi je ne t'oublierai pas.

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