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Le gouvernement, le cartel du taxi et Taillefer ont été battus à leur propre jeu

Ce qui est spectaculaire, c'est de voir à quel point l'essence même de la loi 100, c'est-à-dire la préséance du permis de taxi (communément appelé le « médaillon ») sur toutes autres clauses, a été torpillée dans l'entente de dernière minute.
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Le débat entourant la mise en application de la loi 100 s'est terminé de façon surprenante la semaine dernière alors que le gouvernement du Québec annonçait une entente qui permettra au géant du transport urbain Uber de continuer à opérer à Montréal.

Les points de vue divergent sur les implications réelles de cette entente : d'un côté, le gouvernement se félicite d'avoir contraint la multinationale à des restrictions uniques au monde, un « spin » reprit abondamment par Alexandre Taillefer, le PDG de Taxelco, socialiste avoué et figure dominante de la lutte contre Uber au Québec. « C'est la première législation au monde qui oblige Uber à avoir une rémunération si importante, à percevoir et remettre la TPS et la TVQ. C'est quelque chose de spectaculaire », affirma Taillefer. De l'autre côté, Uber se dit en mesure de « travailler dans une industrie réglementée et à être un partenaire de l'innovation », d'affirmer Jean-Nicolas Guillemette, le DG d'Uber Québec.

Je suis d'accord avec Alexandre Taillefer que cet accord a quelque chose de spectaculaire. Non, cette entente n'a rien du précédent global que veulent laisser croire Taillefer et le gouvernement. Ce qui est spectaculaire, c'est de voir à quel point l'essence même de la loi 100, c'est-à-dire la préséance du permis de taxi (communément appelé le « médaillon ») sur toutes autres clauses, a été torpillée dans l'entente de dernière minute. C'est ce point précis qu'Uber combat partout dans le monde et non la remise des taxes sur les produits et services.

Uber Québec était d'accord dès les débuts des négociations pour percevoir les taxes au nom de ses partenaires-chauffeurs, des travailleurs autonomes dans tous les sens du terme. Ce n'est pas rien : une multinationale qui propose à un gouvernement de faire une exception à sa loi fiscale, et ce, à l'avantage des autorités. D'ailleurs, il est tout simplement sidérant de voir comment le gouvernement a contredit ses propres lois fiscales à plusieurs égards tout au long de ce débat : on voulait forcer des travailleurs autonomes à percevoir et verser la TPS et la TVQ, et ce, même s'ils gagnaient moins que 30 000 $ et forcer une entreprise étrangère à payer des impôts sur le revenu au Québec.

«Le débat entourant la loi 100 est intéressant parce qu'il cause un réalignement des forces politiques au Québec en forçant les intervenants à prendre des positions peu communes à leur orientation traditionnelle.»

Je suis tout simplement renversé par le fait qu'aucun membre d'organisations telles l'Ordre des CPA du Québec ou n'importe quel autre acteur pertinent au niveau fiscal n'aient jugé nécessaire de dénoncer les contradictions du discours populiste et de la fiscalité à la pièce pratiquée par le gouvernement Couillard dans ce dossier. C'est comme si le Barreau du Québec ne s'était pas porté à la défense de l'État de droit dans un débat public.

Le débat entourant la loi 100 est intéressant parce qu'il cause un réalignement des forces politiques au Québec en forçant les intervenants à prendre des positions peu communes à leur orientation traditionnelle. Par exemple, des groupes qu'on ne peut pas qualifier de « pro-business » ont ouvertement pris la défense d'Uber et du modèle qu'il propose. C'est le cas d'Équiterre et de différents autres acteurs qui militent pour la réduction des gaz à effet de serre. Ces derniers reconnaissent l'impact réel du modèle Uber dans le combat contre l'autosolisme, sans égard au fait qu'elles soient à essence, hybrides ou électriques.

«Le gouvernement, le cartel du taxi et Alexandre Taillefer ont été battus à leur propre jeu parce qu'ils ont été défaits sur de multiples fronts qu'ils pensaient avoir conquis.»

D'un autre côté, avec le projet de loi 100 original, le gouvernement Couillard (libéral et majoritaire je vous rappelle...) a ouvertement fait front commun avec des personnalités comme Amir Khadir de Québec solidaire, Martine Ouellet du Parti québécois et Guy Chevrette, ex-ministre péquiste et porte-parole du cartel du taxi au Québec. Ce n'est pas rien! Un gouvernement libéral majoritaire qui fait un pied de nez à sa base électorale pour céder aux demandes de groupes corporatistes qui s'opposent en tout point à son agenda économique. C'est précisément ce point qui a été habilement exploité par les quelques militants libéraux qui ont orchestré l'un des plus spectaculaires revirements législatifs de l'histoire politique du Québec moderne.

Le gouvernement, le cartel du taxi et Alexandre Taillefer ont été battus à leur propre jeu parce qu'ils ont été défaits sur de multiples fronts qu'ils pensaient avoir conquis. Par exemple, le gouvernement libéral a été battu dans son propre congrès politique alors que les membres du PLQ adoptaient à forte majorité une résolution qui endossait le modèle Uber. C'était le début de la fin pour le ministre des Transports d'alors, Jacques Daoust, un obstacle majeur à toute entente avec Uber. À noter que les ministres impliqués dans le projet de loi 100, Jacques Daoust et Dominique Anglade, étaient visés par une opération « grassroot » de militants libéraux (dont je faisais partie) qui visait à contester ouvertement les nominations des deux ministres dans leur propre comté lors de la prochaine élection provinciale de 2018. Peu importe la mécanique préconisée par ladite opération, le fait que des membres du PLQ contestaient ouvertement des ministres, est une histoire peu commune que les journalistes se sont arrachée propulsant ainsi le débat sur toutes les tribunes durant la semaine précédant le Congrès libéral de Drummondville.

À ce point-ci, tout était encore largement spéculatif. L'opération du groupe pouvait être éliminée rapidement par une défaite de la résolution « pro-Uber » sur le plancher du Congrès. Cet aspect a été largement sous-estimé dans le débat qui nous intéresse. C'est-à-dire à quel point l'entourage du premier ministre Couillard a échoué à 1 : Reconnaître la menace que cette résolution posait non seulement sur le projet de loi 100, mais sur toute l'action gouvernementale courante et 2 : D'utiliser tous les instruments du pouvoir pour s'assurer que cette résolution soit battue sur le plancher. Alors que des groupes d'intérêts dépensent des centaines de milliers (voir des millions) de dollars pour influencer des décisions gouvernementales, une poignée de militants avec 0 $ de budget ont réussi à déstabiliser le gouvernement et influencer le cours des événements entourant le débat sur la loi 100. Certains se plaisent à dire que les membres des partis politiques n'ont pas d'influence? Cette opération est la preuve que les membres peuvent rappeler à l'ordre un gouvernement qui ère dangereusement dans son agenda législatif.

«Uber est largement gagnante dans cette entente parce qu'elle peut opérer au jour 1 de la mise en application de la loi 100, et ce, sans louer ni acheter des permis de taxi.»

Autre front intéressant qui a été tenu pour acquis : Alexandre Taillefer et les taxis. La pièce maîtresse du plan d'affaire de l'ex-Dragon en ce qui concerne le transport urbain à Montréal (Téo Taxi) était le projet de loi 100. Que cette loi soit mise en application avec un amendement qui la dénature presque totalement est une défaite qui met en péril tout le modèle préconisé par Taillefer. Ce dernier misait sur le système de gestion de l'offre pour assurer la légitimité de son service de taxi électrique par opposition au « taxi illégal » proposé par Uber. Maintenant que la location d'un permis de taxi n'est plus nécessaire (merci à l'entente avec Uber), M. Taillefer sera forcé de compétitionner avec Uber à Montréal. D'abord pour la clientèle, mais aussi pour la main-d'œuvre.

Pourquoi sous-louer un permis de taxi à 500 $ par semaine ou travailler à des heures fixes dans le « champ de coton » Taxelco, alors que vous pouvez travailler en toute liberté avec Uber? M. Taillefer s'est identifié au camp des taxis pendant tout le débat entourant le projet de loi 100. Cette alliance pourrait causer sa perte alors que le cartel se lance dans une vaste opération de nuisance publique afin de protester contre l'entente Uber. Est-ce que M. Taillefer, via Téo Taxi, Hochelaga et Taxi Diamond va participer à une éventuelle grève du Taxi à Montréal? Il avait besoin d'une victoire rapide qui éliminait la concurrence avec le projet de loi 100 dans sa forme originale. Il sort de ce long débat en plus mauvaise posture qu'au départ par le simple fait qu'il est désormais largement connu que Téo Taxi est une entreprise financée à 80 % par des fonds publics. Il sera beaucoup plus difficile pour M. Taillefer de manœuvrer afin de lever un nouveau financement public alors que son modèle d'affaires est exposé à la critique.

Détrompez-vous, Uber est largement gagnante dans cette entente parce qu'elle peut opérer au jour 1 de la mise en application de la loi 100, et ce, sans louer ni acheter des permis de taxi. Tout le reste de l'entente est secondaire. Les consommateurs assumeront les frais additionnels qui, parions-le, seront très explicitement identifiés comme un dédommagement à l'industrie du taxi exigé par le gouvernement Couillard. À ce propos, il est intéressant de noter une étude récente coécrite par Steve Levitt, économiste de l'Université de Chicago et co-auteur du best-seller Freakonomics. Levitt démontre qu'après l'étude de plus de 54 millions de déplacements Uber dans 4 villes majeures américaines (données fournies par Uber), il y a un surplus consommateur de plus de 8 milliards $ US aux États-Unis pour le service.

En d'autres mots, les clients d'Uber sont prêts à payer beaucoup plus cher qu'actuellement pour continuer à utiliser le service. Voilà qui devrait inquiéter grandement M. Taillefer qui, rappelons-le, avait prédit qu'Uber serait rayée de la carte d'ici 5 ans. On lui souhaite bonne chance!

Ce billet de blogue a également été publié sur le site web du Prince Arthur Hérald.

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