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À la lueur des siècles de lumière

Où se sauve la lumière des étoiles qui n'arrive pas jusqu'à nous ? Quelle quantité de lumière diffuse comble les interstices de l'espace intergalactique ?
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Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses lancée par le Huffington Post France. Celle-ci permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Où se sauve la lumière des étoiles qui n'arrive pas jusqu'à nous ? Quelle quantité de lumière diffuse comble les interstices de l'espace intergalactique ? Il est non seulement courant de ne pas connaître la réponse à ces questions, mais également commun de ne pas voir leur caractère éclairant. La difficulté de l'évaluation n'a en fait d'égale que sa valeur informative, celle de nous instruire sur le cosmos, ses origines, les premières étoiles, et la formation des galaxies.

C'est animé de cette curiosité scientifique que mon équipe du Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR) de l'École polytechnique a réalisé la première mesure fine de la densité du nuage de photons qui baigne l'Univers depuis sa formation. Utilisant à cette fin le réseau de télescopes HESS, auxquels contribuent le CNRS et le CEA, l'équipe a récemment publié ses résultats en couverture de la revue Astronomy & Astrophysics de février 2013.

Et la lumière fut

La lumière émise par les corps sidéraux de l'infra-rouge jusqu'à l'ultra-violet emplit l'Univers d'un océan de photons nommé "lumière extragalactique diffuse". Elle pénètre en vagues successives l'espace entre les galaxies et constitue un nuage ténu de photons, une trame progressivement constituée pendant les 138 millions de siècles qui nous contemplent.

Le principal obstacle à l'observation de cette lueur résulte de la luminosité ambiante de notre système solaire et de notre galaxie. Cela revient à vouloir observer les étoiles tout en étant aveuglé par un réverbère. Pour contourner le problème, les astrophysiciens s'appuient sur une méthode indirecte consistant à observer un rayonnement dit "gamma", dont l'énergie surpasse plus de 500 milliards de fois celle de la lumière visible. En effet ces étincelles très énergétiques issues de galaxies lointaines ont un attrait tout particulier pour la lumière extragalactique diffuse. Elles peuvent disparaitre à son contact en créant matière et antimatière, plus précisément des électrons et leurs antiparticules, les positrons.

Les rayons gamma sont suffisamment nombreux pour qu'une fraction traverse non seulement le brouillard dispersé dans les espaces intergalactiques, mais aussi la lumière parasite de notre proche banlieue spatiale. Cette dernière est en effet densément peuplée mais de faible taille par rapport aux distances que les gamma parcourent. La lumière diffuse extragalactique est un peu à la lumière de notre galaxie ce que la population provinciale est à la population francilienne : nettement moins dense, mais plus importante puisque répartie sur un plus grand espace.

Un éclair dans la nuit

Les rayons gamma terminent leur course au contact de notre atmosphère, se dissolvant en une gerbe lumineuse de particules subatomiques, qui peut être détectée par des réseaux de télescopes Cherenkov. Tel un éclair dans la nuit, surpassant tous nos éclairages artificiels.

Le High Energy Stereoscopic System (HESS) est un réseau de télescopes Cherenkov majoritairement franco-allemand qu'emploie le LLR. Situé en Namibie, dans une zone semi-aride à 1800 m d'altitude, l'observatoire tire parti d'une atmosphère libre de pollution lumineuse ou chimique.

HESS repère les rayons gamma de très haute énergie (de l'ordre d'un million de millions d'électron volts), tandis que ceux de plus basse énergie sont détectés directement dans l'espace par le Large Area Telescope (LAT) du satellite Fermi.

Des phares situés à plusieurs milliards d'années-lumière

Dans cette étude, nos recherches se sont portées sur des galaxies appelées blazars. Elles sont distantes de plusieurs milliards d'années-lumière et constituent des émetteurs particulièrement brillants de rayons gamma, comme des phares au milieu de la brume. En mesurant avec HESS les spectres à très haute énergie de ces blazars, il a été possible d'évaluer l'effet de l'interaction des rayons gamma avec la lumière extragalactique dans une sphère d'un rayon de 3 milliards d'années-lumière. La collaboration Fermi-LAT a fait de même dans l'Univers plus lointain, entre 5 et 10 milliards d'années-lumière.

Forts des observations de blazars, il nous est alors possible d'estimer l'importance de la lumière diffuse, à proportion de l'atténuation qu'elle produit en chemin. L'absorption par le brouillard cosmique présente la particularité de dépendre de l'énergie des rayons gamma : il est alors possible de déterminer son importance par la comparaison entre l'atténuation produite par des rayons gamma de faible énergie et celle de rayons hautement énergétique, sans qu'il soit nécessaire de connaître la quantité de gamma émis par la source.

La quantité de rayons gamma détectés par HESS ou Fermi-LAT est donc fonction de l'énergie de ces gamma et de l'intensité du brouillard diffus. Inversement, l'épaisseur de cette brume limite in fine l'espace observable à très haute énergie et définit son "horizon".

Avancer dans l'espace et reculer dans le temps

Ces mesures ont permis d'estimer, pour la première fois avec une précision de l'ordre de 20%, l'intensité de la lumière stellaire contenue dans l'Univers, dans la gamme des longueurs d'onde allant du proche infra-rouge à l'ultra-violet, en passant par le visible. Ces observations sont en bon accord avec les prédictions théoriques, montrant la capacité de la communauté scientifique à quantifier l'ensemble de la lumière émise sur près de 95% de la durée d'existence de l'Univers.

Une meilleure connaissance de cette lumière diffuse, véritable "mémoire" de l'Univers lumineux, révèle ainsi des informations capitales sur les processus cosmiques primordiaux. Caractériser son intensité permet de mieux comprendre la formation ainsi que l'évolution des corps stellaires et des galaxies à des époques reculées. La mise en adéquation de cette nouvelle donnée et des modèles cosmologiques décrivant la genèse des astres nous réserve sûrement encore des surprises.

Ces résultats permettent enfin de définir la taille de l'Univers observable en rayons gamma et d'envisager l'étude de mécanismes plus fondamentaux, liés par exemple à des phénomènes de physique dite "exotique", c'est-à-dire au-delà du modèle standard de la physique des particules. Se pose aussi la question du devenir des électrons et positrons qui sont créés lors de l'absorption des rayons gamma et qui pourraient nous informer sur le magnétisme de l'Univers.

Comme souvent, répondre à une unique question en amène beaucoup d'autres. Ces nouvelles problématiques seront très certainement étudiées par les prochaines générations d'instruments tels que HESS 2, ou la future collaboration mondiale Cherenkov Telescope Array.

Pour aller plus loin:voir l'article de recherche

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