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Obama, le triomphe du charisme

Nous avons mis à jour nos estimations deux semaines avant l'élection, prédisant qu'Obama obtiendrait un minimum de 52.9% des votes. En effet, nous avons estimé la probabilité de le voir perdre le vote populaire à 1 chance sur 455.
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Qui aurait deviné que le président Obama serait réélu? Obama a remporté la majorité des voix et a gagné une victoire retentissante dans le Collège électoral. Pourtant, jusqu'au jour de l'élection, de nombreux sondages montraient qu'Obama et Romney étaient au coude-à-coude ; la plus connue des organisations de sondage, Gallup, a fait une prédiction finale le jour de l'élection: Romney aurait un pourcentage de vote supérieur à Obama. N'oublions pas qu'Obama a vraiment mal abordé le premier débat, ce qui a donné à Romney un avantage dans les sondages. Obama a rattrapé son léger retard dans les deux débats suivants, après avoir donné à Romney une leçon de rhétorique. Néanmoins, de nombreux commentateurs et bien évidemment, des électeurs, pensaient que Romney, dans les sondages, avait le vent en poupe. Au fur et à mesure que l'élection se rapprocha, il a montré qu'il avait la carrure pour être président. Puis, l'ouragan Sandy a rendu les choses à nouveau incertaines. Je pense que la croyance populaire, comme reflétée dans la presse mondiale les jours précédant l'élection, mais également le jour de l'élection, suggérait que l'élection serait impossible à prévoir ; cela pouvait basculer des deux côtés et il y avait une réelle possibilité que nous nous réveillions le mercredi 7 novembre avec Romney comme président.

Tout le monde n'était pas d'accord avec ces estimations. Il y avait deux instituts de sondage en marge qui, utilisant des modèles statistiques sérieux, affirmaient qu'Obama gagnerait :

  • (a) Nate Silver (référez-vous à son blog FiveThirtyEight sur le New York times)
  • (b) le « Charismomètre » lausannois, un modèle statistique que j'ai développé avec mon collègue Philippe Jacquart qui est actuellement un chercheur post-doctorant à Wharton (Université de Pennsylvanie) et futur professeur à l'EM de Lyon. A mi-septembre, nous avions estimé qu'Obama obtiendrait au moins 53.76% des votes (et qu'il devrait remporter avec une marge identique le Collège Électoral).

Nous avons mis à jour nos estimations deux semaines avant l'élection, prédisant qu'Obama obtiendrait un minimum de 52.9% des votes ; dans nos dernières estimations, nous avons calculé qu'il serait très improbable qu'Obama perde le vote populaire face à Romney. En effet, nous avons estimé la probabilité de le voir perdre le vote populaire à 1 chance sur 455. Bien que nos estimations concernant la part minimum de votants pour Obama était optimiste (alors que j'écris, nous ne connaissons toujours pas les résultats finaux), nous avons prédit le résultat correctement, c'est-à-dire que le Président Obama serait réélu. Comment avons-nous su si tôt ce qu'il se passerait ?

Tout a commencé il y a bien longtemps, en 1996, quand j'ai commencé à travailler sur mon doctorat. Je me suis intéressé aux élections présidentielles après avoir décidé de me spécialiser en Leadership. J'étais fasciné par le charisme, un don rare que certains leaders possèdent et d'autres ne possèdent pas. Je voulais savoir ce que c'était, comment le mesurer, et bien plus important, comment le développer. Je me suis donc embarqué dans un projet de recherche à long-terme qui m'a mené au « Projet Charismomètre » quelques années plus tard. Pour faire court, j'ai travaillé avec plusieurs de mes doctorants, notamment Marika Fenley et Sue Liechti, afin d'essayer de mesurer quelque chose ressemblant au Boson de Higgs dans sa capacité à être indétectable, quelque chose que nous savions être présent mais difficile à voir et presque impossible à étudier dans des conditions de laboratoire. Nous avons finalement réussi à y parvenir (et maintenant, je peux honnêtement déclarer que mesurer le charisme est bien plus facile que mesurer le Boson de Higgs).

Le charisme est cette capacité presque alchimique que les leaders possèdent afin de fédérer leurs subordonnés autour d'une mission, d'une vision, d'une cause particulière. Cela dépend du leader ayant une influence symbolique ancrée dans des idéaux et des émotions. Cela touche aux valeurs et à la passion. En somme, il s'agit de ce qu'Aristote appelait l'ethos (avoir une perspective morale), le pathos (susciter les émotions des subordonnés), et le logos (utiliser une rhétorique puissant et prouver ses arguments). Nous mesurons le charisme en analysant les discours des leaders et comment ils utilisent ce qu'on appelle les tactiques du leader charismatique; nous avons identifié certaines de ces tactiques.

Dans le modèle que Philippe Jacquart et moi-même avons développé, qui était une des études principales de sa thèse, nous nous sommes d'abord intéressés aux modèles économétriques de prédiction des votes. Nous nous sommes focalisés sur celui de Ray Fair, de l'université de Yale, étant donné ses excellents antécédents en matière de prédiction du pourcentage de vote. Ce modèle est de façon surprenante très simple : les électeurs récompensent ou punissent un président en place (ou le parti au pouvoir) pour l'état de l'économie. Si les choses vont bien, comme mesuré par une forte croissance économique et une faible inflation, les électeurs récompensent le président (ou parti) au pouvoir avec un autre mandat. Si les choses vont mal, ils le puniront. Un autre point important est qu'un président en place possède un avantage sur le challenger ; le président en exercice est plus visible, plus reconnaissable et a plus d'opportunités d'être perçu comme « présidentiel ». Le modèle de Fair suggère également un désavantage pour le président en place ; si un parti a déjà été au pouvoir lors des deux derniers mandats, le président (ou parti) en place a plus de chance de perdre. Plus simplement, les électeurs n'aiment pas les partis dominant le paysage politique et sont susceptibles de ne pas réélire un parti au pouvoir depuis longtemps. Dès lors, le fait d'être aux commandes est une arme à double tranchant : cela joue en faveur du président en place uniquement si le ce dernier était précédé d'un président appartenant à l'autre parti politique (comme dans le cas d'Obama, le président en place, qui était précédé par un Républicain, George W. Bush).

Le modèle de Jacquart et Antonakis est construit depuis le modèle de Fair, en y ajoutant un peu de piquant : le Charisme. Le modèle de Fair ignore le fait que les candidats à la présidence sont des personnes différentes. Nous pensons que les différences individuelles, dans notre cas la différence de charisme entre les candidats, sont très importantes, particulièrement dans le cas où les électeurs ne sont pas sûrs des signaux reçus à propos de l'état de l'économie. Par exemple, à l'approche de l'élection, les signaux économiques étaient incertains : l'économie US était en croissance, mais la croissance était faible. L'inflation était basse, ce qui était un bon signal. Cependant, dû à la faible croissance économique, le taux de chômage n'a pas baissé comme les gens l'auraient souhaité. Donc, que font les électeurs dans une telle situation ? Blâment-ils Obama pour le fait que l'économie n'est pas dans un meilleur état ? Ou doivent-ils le récompenser car l'économie ne va pas si mal ?

Précisément dans ces situations, nos données suggèrent que le charisme fait pencher la balance en faveur du candidat le plus charismatique. Nous avons compris cela en analysant des données pour la période allant de 1916 à 2008, où nous avons observé que le charisme joue un rôle décisif lorsque les données économiques envoient des signaux contrastés aux votants. Dès lors, la suggestion du modèle de Fair que l'élection serait serrée (les signaux économiques étant contrastés) a mis au grand jour une banderole disant : "Le candidat avec le plus de charisme triomphera". Et c'est précisément ce qui s'est passé.

Pour les lecteurs désireux d'en savoir plus sur notre modèle, suivez le lien pour me voir l'expliquer en détails : la vidéo est disponible ici.

Pour les lecteurs intéressés à en savoir plus sur les tactiques du leader charismatique, veuillez vous référer à l'article que j'ai publié avec mes collègues dans le journal Harvard Business Review, disponible ici.

Après les résultats, la fête

La joie et les pleurs

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