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Et si les Pussy Riot n'étaient qu'un mythe?

L'affaire des Pussy Riot est délicate, plus ambigüe qu'elle ne nous a généralement été présentée. Peut-être parce qu'il est plus facile de se représenter les faits sous une forme manichéenne (entre les ''gentils'' opposants politiques et un ''méchant'' pouvoir corrompu et anti-démocratique), en calquant la façon dont les démocraties occidentales ont tendance à voir le monde sur des événements difficile à interpréter.
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Avant leur arrestation le 14 mars 2012, difficile de trouver mention des Pussy Riot dans les médias français. La ''prière punk'' du 21 février 2012 qui leur vaut cette arrestation n'était pourtant pas leur première performance: parmi les plus mémorables, une interprétation en janvier de "Poutine a fait dans son froc" devant le Kremlin et un concert en décembre devant le commissariat où l'opposant Alexeï Navalny était détenu.

Car c'est bien plus leur détention que leurs performances musicales qui ont fait du groupe le symbole de la lutte contre l'oppression du régime russe aux yeux de l'étranger. Alors que les contestations soulevées par la candidature de Vladimir Poutine aux élections présidentielles de mars ont semblé marquer un renouveau de l'opposition politique en Russie, le procès des Pussy Riot en a incarné la continuité après l'élection (ou doit-on dire la ré-élection?) de celui-ci.

En effet, les membres du groupe risquaient jusqu'à sept ans de prison, accusées d'hooliganisme pour une performance qualifiée de ''subversive'', ''agressive'', mais surtout de ''drôle'', (c'est-à-dire inoffensive). La plupart des articles que l'on trouve sur le sujet mettent en valeur l'iniquité du procès ou le comportement héroïque des accusées. Ces mères de familles se battraient à coup de performances artistiques (quoi de plus pacifique et noble?) pour la liberté, la défense des droits LGBT et des femmes. Leurs paroles du 21 février n'invitaient-elles pas la Vierge Marie à devenir féministe? Leur nom (''pussy'' veut dire ''chatte'' en anglais) serait lui-même une façon de reprendre le pouvoir sur leur destin, de la même manière que certains homosexuels se sont réappropriés l'insulte ''pédé''.

Ainsi, les soutiens officiels aux Pussy Riot n'ont cessé de se multiplier dans le monde: actions d'anonymes, personnalités artistiques (Madonna, Björk, Elfriede Jelinek, etc) et politiques se sont engagées pour la libération des Pussy Riot. Peut-être à tel point que Vladimir Poutine en a appelé à l'indulgence envers le groupe au début du mois d'août. Alexeï Navalny a résumé cette déclaration sur son blog: "Que pouvait-il dire d'autre ?".

Pourtant, un autre son de cloche n'a pas tardé à se faire entendre sur la toile. Les origines du groupe, et le passé de ses membres remettent en question leur image. Les Pussy Riot sont issues d'un groupe politique anarchiste, Voina (''guerre'' en russe), dont les actions (auxquelles elles ont participées) ne seraient probablement pas du goût de tous leurs soutiens. Parmi les plus subversives, une orgie (dont une participante était enceinte) dans un musée d'histoire naturelle et la masturbation avec un poulet (par la suite volé) d'une militante dans un supermarché. Aussi, s'il est vrai que Voina a simulé en 2008 la pendaison d'activistes gays dans un Auchan de Moscou en protestation aux discriminations dont ils sont l'objet, les qualifier de défenseurs des droits LGBT, et plus généralement de féministes, est sujet à controverse. En 2010, dans une interview du Courrier International, les penseurs de Voina ne s'étaient d'ailleurs pas cachés du caractère provocateur et violent de leurs actions.

Or, cette carence dans la présentation de l'histoire et du profil des Pussy Riot a permis à certains acteurs de faire gagner en légitimité leur discours. Par exemple, la plupart des posts de blogs francophones qui cherchent à nuancer l'image des Pussy Riot citent dans leurs sources cette tribune d'Alexandre Latsa. Cependant, les opinions de ce consultant dans un cabinet de conseil à Moscou ont déjà fait l'objet d'un article du Figaro en février dernier: il se serait assigné la mission de redresser l'image, déformée par les médias, de la Russie, et par la même occasion de Vladimir Poutine, véritable "De Gaulle" russe. Quitte à affirmer "En Russie, où il existe une offre politique très large, la démocratie est plus vivante qu'en France où tout se résume à un combat entre Sarkozy et Hollande". La tribune elle-même est hébergée par RiaNovosti, agence de presse sous la tutelle du ministère de la presse et de l'information russe.

Vadim Nikitin, journaliste et spécialiste de la Russie, a récemment avancé dans le New York Times l'hypothèse selon laquelle il existerait de mauvaises raisons de soutenir les Pussy Riot. Si leur doctrine s'oppose à une forme de pouvoir que les démocraties occidentales réprouvent, il ne s'agit pas de la réduire à cette seule caractéristique. Vladim Nikitin établit un parallèle avec les opposants russes que le gouvernement américain avait soutenu pendant la Guerre Froide (comme Alexander Solzhenitsyn ou Eduard Limonov), alors qu'ils n'en étaient pas pour autant des adorateurs de la Constitution américaine. Or, si Voina et les Pussy Riot éprouvent une haine particulière contre Vladimir Poutine, ces anarchistes s'opposent également à toute forme de système étatique (démocraties occidentales incluses). De plus, la liberté sexuelle qu'ils défendent n'est pas la même que celle des militants LGBT ou féministes occidentaux: une fois de plus, ils ne s'en cachent pas. Il suffit de faire un tour sur leur site Internet, ou parmi les différentes déclarations qu'ils ont déjà pu faire à la presse pour s'en rendre compte.

L'affaire des Pussy Riot est délicate, plus ambigüe qu'elle ne nous a généralement été présentée. Peut-être parce qu'il est plus facile de se représenter les faits sous une forme manichéenne (entre les ''gentils'' opposants politiques et un ''méchant'' pouvoir corrompu et anti-démocratique), en calquant la façon dont les démocraties occidentales ont tendance à voir le monde sur des événements difficile à interpréter.

Le procès des Pussy Riot

Le procès des Pussy Riot

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