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Du portable à l'intégrable: 40 ans de surf dans l'écosystème numérique

Nés avec cinq sens, nous pouvons désormais en utiliser une demi-douzaine de plus. Par exemple le sens de l'orientation (grâce au GPS intégré, même dans des chaussures !) ; le sens de la localisation (avec une application smartphone ou tablette qui permet de repérer facilement sur une carte ou dans un endroit précis, la position des membres de sa "tribu" (famille, amis, membres d'un groupe...); le sens de l'ubiquité avec Facetime ou Skype, qui permettent de se parler et de se voir à distance où que nous soyons ; une mémoire infaillible grâce aux moteurs de recherche.
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A person touches a Nokia Lumia smartphone during a demonstration at the telecoms stand at the 2013 CeBIT technology trade fair on March 5, 2013 in Hanover, Germany. CeBIT will be open March 5-9. AFP PHOTO / CARSTEN KOALL (Photo credit should read CARSTEN KOALL/AFP/Getty Images)
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A person touches a Nokia Lumia smartphone during a demonstration at the telecoms stand at the 2013 CeBIT technology trade fair on March 5, 2013 in Hanover, Germany. CeBIT will be open March 5-9. AFP PHOTO / CARSTEN KOALL (Photo credit should read CARSTEN KOALL/AFP/Getty Images)

Joël de Rosnay est un des contributeurs du réseau TEDxParis.

TEDxParis est un événement sous licence TED et l'une des conférences éditées par l'agence Brightness. Retrouvez l'actualité des conférences sur brightness.fr.

Pour bien comprendre l'intégration du mobile au corps, ses impacts sur le travail, les loisirs, le commerce, la culture, ou la politique, il faut considérer Internet, non pas comme réseau de communication, mais comme un écosystème informationnel et numérique, résultant de la fusion des moyens de communication dans un environnement qui nous change pendant que nous agissons sur lui. Cette coévolution de l'humain et de l'écosystème numérique produit des femmes et des hommes "augmentés". Ils portent et utilisent en permanence des outils qui leur permettent de se démultiplier dans l'espace et le temps. Des outils "mettables" fixés dans les vêtements ou directement intégrés au corps, bien différents des encombrants téléphones mobiles, ordinateurs portables et autres "objets nomades" d'il y a trente ans. Aujourd'hui, nous commandons téléphones intelligents et tablettes "au doigt et à l'œil", au sens propre comme au figuré : il suffit d'effleurer une surface tactile pour déclencher une action. Plus étonnant : notre corps lui-même devient outil, surface tactile. Finis les boutons, joysticks ou souris, voici les interfaces gestuelles, virtuelles, mettables, ergonomiques. Par exemple, grâce à des tatouages électroniques équipés de puces flexibles et collés sur la peau, il devient possible de recevoir des informations provenant directement de son corps et de les renvoyer sur l'ordinateur du médecin.

Du portable au "mettable", puis à "l'intégrable"

Grâce à des outils récents, tels que les Google glass, par exemple, nouvelles lunettes-écrans communicantes, ou aux tableaux de bord santé personnalisés (des "apps" permettant de contrôler en permanence son état de santé), nous nous dotons de nouveaux sens. Nés avec cinq sens, nous pouvons désormais en utiliser une demi-douzaine de plus. Par exemple le sens de l'orientation (grâce au GPS intégré, même dans des chaussures!); le sens de la localisation (avec une application smartphone ou tablette qui permet de repérer facilement sur une carte ou dans un endroit précis, la position des membres de sa "tribu" (famille, amis, membres d'un groupe...); le sens de l'ubiquité avec Facetime ou Skype, qui permettent de se parler et de se voir à distance où que nous soyons ; une mémoire infaillible grâce aux moteurs de recherche.

Tandis que nous nous dotons de ces nouveaux sens, notre environnement immédiat (bureau, université, restaurant, aéroport, ville...) fait lui aussi apparaître de véritables "sens" par le biais d'étiquettes interactives (puces RFID et QR codes), ou de systèmes de reconnaissance faciale, de la parole ou des gestes. Un dialogue permanent avec cet environnement intelligent exige de savoir se déconnecter, se "débrancher" pour protéger sa sécurité, sa vie privée, empêcher la traçabilité, se prémunir contre la cybercriminalité et de savoir faire la différence entre monde professionnel et vie personnelle. En effet, la banalisation du Bring Your Own Device (BYOD), qui autorise les salariés à utiliser sur leur lieu de travail ou en déplacement leur matériel personnel (tablettes, disques durs, clés USB...), expose les entreprises à des risques supplémentaires de fuites d'informations sensibles, d'intrusion, de piratage, de téléchargement de fichiers infectés, d'attaques virales. Pourtant, peu mettent en place une véritable politique de sécurité, qui garantirait une utilisation en toute confiance du matériel de l'entreprise et des salariés sur le lieu de travail comme à domicile.

Des mutants hybrides bionumériques géolocalisés

Les hommes et femmes "augmentés" sont désormais dépassés par leurs enfants ou petits-enfants. Ces derniers vivent dans un univers différent. Comme des sortes d'extra-terrestres. On pourrait les appeler des MHBG, ou mutants hybrides bionumériques géolocalisés. Leur "mobile" ou téléphone intelligent est en fait une prothèse symbiotique, une extension de leurs sens, de leurs membres et des fonctions de leurs corps. C'est une des raisons pour laquelle ils passent des jours entiers à attendre dans la rue le dernier téléphone intelligent. Plutôt qu'une opération biologique pour devenir "augmenté", cet outil transmédia et omniprésent leur est symbiotiquement intégré. Connus aussi sous l'appellation - aujourd'hui dépassée, de NetGen ou Génération Y -, ces MHBG semblent vivre dans une autre dimension, dans un univers parallèle au nôtre, avec des valeurs et des usages distincts, tels que la gratification instantanée, le temps réel ou le life streaming (flux d'informations réunissant passé, présent, futur, et transitant, notamment par les moteurs de recherche, forums, chat ou réseaux sociaux).

Ils se qualifient même, entre eux, d'un nom étrange qui évoque celui d'une tribu: les IKWIWAIWIN (initiales de: I know what I want and I want it now !). Connectés les uns aux autres en permanence, ils rejettent les modèles de leurs aînés (parents, enseignants, professeurs, politiques...), de même que leurs références intellectuelles ou culturelles, en particulier ces lieux physiques, fermés, que sont les salles de classes, les amphis ou les musées. Ils veulent vivre et créer ensemble, en temps réel, sans frontières, partager leurs expériences et leurs émotions, liées à la découverte, à l'apprentissage, se laisser porter par les flux, par le life streaming, courant et vague de vie sur laquelle ils surfent. C'est aussi pour cela qu'ils ont le besoin de prendre en permanence le "pouls", ou d'écouter battre le "cœur" de cet organisme vivant dont ils font partie en tant que cellules. D'ou les 80 SMS en moyenne par jour, envoyés par un(e) ado français(e), les réponses instantanées sur le mur de Facebook, sur Twitter ou Instagram. Et évidemment les "like" (j'aime, l'icône du pouce levé).

Le billet de Joël de Rosnay se poursuit après la galerie

En quelques années, les MHBG sont passés de la société de l'information à la société de la recommandation. Ils sont en train d'inventer de nouveaux modèles comme l'économie collaborative. Où le "co" en français ("crowd" en anglais) prend le pas sur l'action isolée pour créer une co-économie (covoiturage, colocation, coéducation, coproduction, crowdsourcing, crowdfinancing...). De nouveaux réseaux en temps réel, au-delà des réseaux sociaux, de Facebook, Tweeter ou des SMS, dont on peut déjà évaluer certains impacts, économiques ou commerciaux. C'est l'ère de "économie positive". L'ensemble de cet écosystème numérique, ainsi que le life streaming, ont fait muter le portable de jadis en l'intégrable d'aujourd'hui. Alors que le téléphone portable nous isolait et nous transformait en "autistes numériques" (Jacques Attali), l'intégrable favorise la symbiose avec les autres et notre environnement.

À horizon 2040: à quoi ressemblera cet écosystème numérique ?

On peut déjà décrire cinq fusions fondamentales.

  • Une fusion de l'espace et du temps d'Internet. Sa dimension "spatiale" (toile, page, lien, adresse, site) va évoluer vers une troisième dimension engendrant un flux ininterrompu mêlant passé, présent et futur.
  • Une fusion du numérique et de l'énergétique, avec la création du smart grids (ou réseaux intelligents) et le développement d'EnerNet : un Internet de l'énergie en peer to peer .
  • Une fusion du numérique et du matériel, avec la réalité augmentée et le développement rapide de l'industrie 2.0 à partir d'imprimantes 3D, (qui ouvrira le champ à des innovations de produits et de services, à une plus grande agilité dans les processus de production et à de nouvelles coopérations).
  • Une fusion du numérique et du biologique avec la e-santé (la santé 2.0) : possibilité de partager en temps réel un tableau de bord santé avec son médecin et qui va radicalement modifier la stratégie de l'industrie pharmaceutique grâce à une "prévention quantifiable".
  • Enfin, une fusion du corps lui-même avec la totalité de l'écosystème numérique : après la "réalité augmentée" et "l'environnement cliquable", le Symbionet (ou Web 5.0) représente la prochaine étape de l'évolution d'Internet avec des interfaces directes entre cerveau et ordinateurs, transformant les humains en "neurones" d'un macro-organisme planétaire.

Incontestablement, ces évolutions vont bouleverser les relations politiques, économiques, industrielles, culturelles ou éducationnelles dans le monde. On observe déjà de telles transformations avec, par exemple, l'apparition de groupes citoyens qui tentent de mettre en œuvre une nouvelle forme de démocratie participative à partir du numérique. Ils sont en train de transformer la société pyramidale rigide en une société plus fluide, au pouvoir transversal mieux partagé. Il faudra cependant veiller à ce que l'hyperpersonnalisation des comportements et usages, produits ou services, ne conduisent pas à des formes d'isolement communautaristes en faisant naître de nouveaux conflits entre groupes ne partageant pas les mêmes valeurs. Pour éviter une fracture intergénérationnelle, il est essentiel de partager des valeurs communes - au-delà des outils et de l'écosystème numérique -, pour donner plus de sens à la vie, transformer progressivement les rapports de force et les relations conflictuelles en rapport de flux, favoriser l'échange et le partage, introduire plus de solidarité et d'empathie. Pour comprendre et construire ensemble le monde de demain

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