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Ghomeshi: sado-masochisme ou prétexte pour violenter les femmes?

Vous conviendrez avec moi qu'il y a un monde entre accepter la fantaisie de menottes et petites morsures érotiques et se faire étrangler et arracher les cheveux.
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Ce que j'ai entendu et lu autour du procès Ghomeshi m'a profondément déprimée. Ici et là, on a prétendu à mots à peine voilés que les plaignantes sont des chipies, salopes et menteuses. Ici et là, on a évoqué l'avocate de la défense comme étant une chipie, une salope et une voleuse (avec ses honoraires démesurés). On m'a invitée sur plusieurs tribunes à commenter moi aussi. J'ai dû refuser, trop prise par d'autres causes. Je n'en peux plus que les femmes, de tous bords tous côtés, se fassent toujours ramasser. Qu'elles soient toujours perdantes.

Bien sûr que j'ai un préjugé favorable envers les présumées victimes. J'ai la certitude qu'elles n'ont pas menti quant aux agressions alléguées, qu'elles se sont par la suite engluées dans une spirale confondante et surtout, j'estime, sans être juriste, qu'elles ont été mal dirigées, mal conseillées par leurs procureurs. La Couronne aurait voulu les offrir en pâture, qu'elle n'aurait pas fait mieux.

Bien sûr que l'évidente stratégie de la défense, de faire perdre toute crédibilité aux plaignantes, m'écoeure au plus haut point. Mais à quoi d'autre pouvait-on s'attendre? La défenderesse a fait son boulot, c'est pour cela que son client la paie. Et nonobstant mon écoeurement, elle l'a bien fait ce boulot et ses opposants n'ont pas été à la hauteur.

Je ne m'explique pas que les avocats des plaignantes n'aient jamais tenté de mettre en lumière la psycho-dynamique d'une victime d'agression: sa honte, sa confusion, sa vulnérabilité, son syndrome, soit de Stockholm qui la fait aimer son bourreau soit de Pygmalion qui la fait croire, plus ou moins consciemment, que son amour à elle va transformer le monstre.

Je ne comprends pas que la question du sado-masochisme, point d'ancrage de la défense de Ghomeshi, ne fut jamais soulevée, examinée, décortiquée pendant ce procès. Dès le départ, Jian Ghomeshi accusé d'agressions sexuelles a invoqué pour sa défense qu'il était friand de pratiques sado-maso et que ses présumées victimes étaient consentantes. Tout part de là et il me semble invraisemblable que les procureurs des plaignantes ne soient jamais revenus là-dessus.

Dans le sado-masochisme (BDSM*) il y a «échange fondé sur un contrat entre deux parties, utilisant la douleur, la contrainte, l'humiliation dans un but érogène.»

Dans le cas qui nous occupe, où était le contrat? Quel en était le libellé? Le contenu de l'entente verbale? Le «but érogène» était-il à sens unique? À quoi les plaignantes ont-elles consenti? Comment se déclinait «l'échange»? Qu'en était-il de la réciprocité sous-jacente à l'idée «d'échange»? Vous conviendrez avec moi qu'il y a un monde entre accepter la fantaisie de menottes et petites morsures érotiques et se faire étrangler et arracher les cheveux.

Permettez-moi de distinguer les catégories d'expression sado-masochiste.

La dysfonction ou déviance sado-maso

La personne aux prises avec cette déviance sexuelle ne fonctionne pas sans avoir recours à la souffrance (ressentie, prodiguée ou les deux). Elle est incapable d'obtenir de gratification ou de satisfaction érotique autrement qu'en ayant recours à la douleur. Le trouble, profondément lié à son histoire personnelle, l'a amenée à imbriquer érotisme et souffrance. Pour jouir, elle a besoin de punir ou d'être punie, de châtier ou d'être châtiée, d'avoir mal ou de faire mal. La plupart du temps, cette personne souffre et souhaiterait «guérir». Elle ira souvent consulter, de son plein gré, pour être aidée.

Les jeux sado-maso

C'est à cette catégorie qu'on pense habituellement lorsqu'on évoque les pratiques sado-maso. Très souvent, les personnes concernées en sont friandes sur une base occasionnelle ou sporadique. Avec un partenaire consentant, la plupart du temps à l'intérieur d'un couple, stable ou d'occasion, elles mettent à exécution des fantasmes et fantaisies sado-maso, de soumission-domination. Ici, nous sommes la plupart du temps en présence de personnes totalement consentantes, bien au fait des jeux auxquels elles se prêtent, dans la réciprocité. Le plus souvent, nous avons affaire à des individus capables d'excitation et de satisfaction sexuelles sans avoir obligatoirement recours aux pratiques sado-maso.

Simplifions en disant que pour la première catégorie de personnes, la réponse sexuelle ne peut se décliner sans l'apport des ingrédients BDSM alors que pour la seconde catégorie, la réponse sexuelle avec ingrédients BDSM constitue une fantaisie, une variation sur le thème.

Ghomeshi: le prétexte sado-maso?

Voilà un phénomène relativement nouveau qui débarque sur la place publique et qui, si on l'examine de près, a peut-être bien peu à voir avec la déviance sado-maso ou avec l'échange érotique sado-maso.

Nous sommes ici devant la manifestation d'attitudes et de comportements haineux consistant à humilier, dominer, inférioriser et brutaliser la femme par l'entremise de la sexualité. Le rapport sexuel devient le lieu d'exécution de la domination physique exercée sur les femmes. L'agresseur se croit au-dessus de tout et jamais il ne lui effleurerait l'esprit qu'il puisse avoir un problème. S'il est forcé de s'expliquer, lors d'une plainte pour agression par exemple, il aura tendance à mettre sa brutalité et ses gestes violents sur le compte de préférences sado-maso auxquelles la présumée victime aurait consenti.

Je voudrais souffler cette question à l'oreille du juge qui tranchera de la culpabilité ou de la non-culpabilité de Jian Ghomeshi: serait-il possible que l'allégation de préférence sado-maso soit en voie de devenir un prétexte justifiant l'injustifiable quand on est accusé de violences sexuelles à l'égard des femmes?

Le sado-masochisme, une sorte de fourre-tout blanchisseur de crimes violents? Qui l'eut cru...

*BDSM: «Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadomasochisme.» Échange fondé sur un contrat entre deux parties, utilisant la douleur, la contrainte, l'humiliation dans un but érogène. Au centre, les pratiques sadomasochistes

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST (Disponible seulement en anglais)

2002: Reva Seth

Jian Ghomeshi Case: A Timeline

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