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Réforme de la fiscalité: désolée, mais je n'achète pas tout

Vous croyez vraiment que vous vous en tirerez en introduisant de nouvelles taxes? Vous croyez vraiment que la croissance des dépenses va se maintenir à quelque chose de raisonnable? Il arrivera quoi après ça? Vous en serez rendus à augmenter les tarifs? Un beau trifecta ça, non?
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Le piège qui guette les gens qui veulent se faire une idée de la réforme Godbout/Leitao est très simple, mais efficace: réduire la réforme à « moins d'impôts, plus de taxes ». Ce serait une erreur. Dans un monde où il y a une certaine marge de manoeuvre, où le gouvernement engrange des surplus, où on a déjà rationalisé les dépenses et dépensé à la hauteur de nos moyens, je veux bien, mais... seulement voilà. Ce n'est pas le cas.

Encore une fois, on passe à côté de la vraie question: les Québécois qui travaillent (et ils diminuent en nombre absolu) peuvent-ils continuer à payer à l'ensemble un panier de services qui pèse 13 milliards $ de plus que celui de notre voisin (Bachand, LCN, mars 2015)?

La réponse est non. L'autre piège est celui de croire que le Rapport Godbout doit être adopté dans son entièreté. Faux. Pour en juger, il faut en saisir l'ensemble et comme nous le verrons plus loin, Godbout n'a non seulement ajouté des nouvelles taxes qui n'ont aucun rapport avec le coût des services dits « publics », mais il a largement débordé de son mandat.

Une série de nouvelles taxes qui s'ajoutent

Avec la logique (qui se défend) soutenant que les taxes et les tarifs sont moins nuisibles pour l'économie que les impôts, on aurait pu s'attendre à ce que la Commission Godbout propose de substituer une forme de financement des services publics par une autre. Exemple: baisser les impôts de tous, mais augmenter la participation des étudiants universitaires (les plus aisés) à leurs études, éliminer la contribution santé, mais permettre aux gens de contribuer à un abonnement annuel à leur clinique ou coopérative de santé (ce qui aurait permis de financer - enfin - la première ligne). Pour les deux domaines les plus importants du budget provincial, rien n'est suggéré. Curieux.

Bref, moins d'impôts, plus de tarifs? Ce n'est pas ce qu'il a fait.

Ce qu'il propose n'est pas une nouvelle tarification plus équitable (sauf garderies), mais plutôt une série d'ajouts de taxes qui n'ont rien à voir avec le coût des programmes ou services publics: +1,3 milliard de TVQ; +391 millions de taxes sur les primes d'assurance, +370 millions de nouvelles taxes sur le tabac et les boissons, et tenez-vous bien, une nouvelle taxe (écofiscale!!!) sur l'essence qui rapporterait au gouvernement 600 millions $.

Pour en ajouter encore davantage, puisque « la tarification de l'électricité est le seul domaine important où les prélèvements effectués au Québec sont moins élevés que dans les juridictions voisines », on se tournera cette fois-ci vers des tarifs plus élevés qui rapporteraient 705 millions $ de plus aux coffres de l'État.

Nous sommes donc très très loin ici d'une révision qui aurait provoqué un questionnement structurant. Un, quel est le panier de services que les Québécois peuvent se payer et deux, comment répartir la facture de ces services de façon à ne pas étouffer les gens de moins en moins nombreux qui travaillent et rapportent.

Pire, en augmentant la TVQ de 1%, en créant ainsi un écart de 3% entre les taxes à la consommation du Québec et celles de son voisin ontarien, en haussant de 5 cents le litre d'essence (!), quel foutu économiste peut intelligemment conclure que cela stimulera une croissance économique, dites-moi?

Débordement de mandat

En y regardant de plus près, la Commission Godbout a non seulement choisi de ne pas réinterroger la responsabilité citoyenne et un meilleur partage de la « facture publique », elle a ajouté de nouveaux programmes et de nouvelles dépenses!!! Comme si le « modèle québécois » n'était pas assez fourni et coûteux...

À titre d'exemple, en rehaussant le montant personnel de base à 18 000 $ au lieu de l'actuel 14 281 $, c'est 500 000 contribuables de plus qui ne paieront pas d'impôt. Coût: 225 millions de dollars. Encore une fois, ce sont les paliers inférieurs, donc ceux qui ne paient déjà que très peu d'impôt, qui seront avantagés. Cela me rappelle tristement l'épisode Yves Séguin qui jurait avoir diminué les impôts... de ceux qui n'en payaient pas. Bon pour la démocratie? Absolument pas. Quand on ne paie pas d'impôt, on se fout pas mal de la façon dont le gouvernement dépense l'argent des autres... Fait à remarquer, ce 18 000 $ se compare à 9 670 $ en Ontario. Pas de souci, au Québec, on est les meilleurs. Plus, plus, plus.

Retenez votre souffle. Ce n'est pas tout. Godbout ne peut résister à introduire de nouveaux programmes: bouclier fiscal (90M$), nouvelle prime aux travailleurs d'expérience (275 M$), bonification à la prime au travail (107 M$), ajout de 310 M$ au crédit d'impôt pour solidarité (il en aurait moins besoin s'il n'augmentait pas la TVQ).

Total: Environ 780 millions de beaux dollars en ajouts et en nouveaux programmes. Que voulez-vous, il est bien difficile de résister à la redistribution de la richesse... Vous voulez que je vous donne une idée, moi? Oubliez ces programmes et éliminez pour tout le monde (!!!) la contribution santé qui arrive à peu près au même montant (environ 700 millions $). Ça, ce serait révolutionnaire et enverrait un signal.

Luc Godbout n'avait pas à déborder de son mandat et à intégrer dans sa proposition de nouveaux programmes. À mon avis, endosser une telle approche discréditerait le gouvernement et ne serait rien de moins que suicidaire.

Conclusion: Coudonc, la Commission Robillard sert-elle à quelque chose?

J'ai démontré qu'il y avait plusieurs pièges lorsqu'on veut analyser la réforme Godbout: 1) celui de réduire l'enjeu à « moins d'impôts, plus de taxes », et 2) celui de s'obliger à croire qu'on doit tout prendre à défaut de quoi rien ne fonctionne et 3) celui de ne pas y voir un certain débordement idéologique des auteurs de la Commission Godbout par la création de nouveaux programmes de redistribution.

Les Québécois sont les plus taxés et imposés, nous le savons. Les Québécois exigent des services gratuits, universels et un niveau de services digne de leur très lourd fardeau fiscal. Notre fonction publique est choyée, exige encore davantage et des fonds de pension qu'aucun autre contribuable, jeune ou baby-boomer, ne peut espérer.

La Commission Robillard devait y voir. De nombreuses pistes sont énoncées, mais on sent le gouvernement frileux. Le dernier rapport? La moitié traite d'un processus de révision permanente des programmes. Après deux rapports externes, on ramène la réflexion dans le giron bureaucratique... comme si on n'avait pas encore appris que la nature même de la bête étatique est non seulement de survivre, mais d'engraisser. Cran d'arrêt? Faites-moi donc une liste de programmes qu'on a « arrêtés », voir? Je n'ai pas vu passer ça, désolée.

Baisse d'impôts? Je n'y crois juste pas. S'il y a baisse, ce sera encore une fois aux gens qui se situent dans les paliers inférieurs d'imposition. Pire, avec le NPD qu'on s'apprête à mettre au pouvoir au fédéral, il arrivera quoi lorsque ce même gouvernement augmentera les impôts de son côté?

Messieurs et dames du Conseil des ministres et du caucus libéral: vous n'y arriverez pas. La population active diminue, les taux de croissance seront faibles, tellement faibles qu'on frôlera des récessions par moments comme c'est le cas actuellement. Le contexte mondial rend vulnérables nos économies locales, les boomers vont dépenser leurs taxes en Floride à coups de 500 000 à 800 000 snowbirds qui dépensent plus d'un milliard de dollars dans le sud à la chaleur à chaque hiver.

Vous croyez vraiment que vous vous en tirerez en introduisant de nouvelles taxes? Vous croyez vraiment que la croissance des dépenses va se maintenir à quelque chose de raisonnable? Il arrivera quoi après ça? Vous en serez rendus à augmenter les tarifs? Un beau trifecta ça, non?

Enfin, le piège le plus important est celui-ci: celui de croire que le gouvernement fait ça pour augmenter la productivité et favoriser l'économie. Yé trop tard, chum! Rendus là, vous n'avez qu'une seule chose à faire: cogner à la porte de votre président du Conseil du trésor et exiger de lui des comptes concrets. La « machine », on la connaît. Les agences, on les connaît. Aucune réforme substantielle ne peut venir de l'intérieur. Qui coupe la branche sur laquelle il se nourrit, dites-moi?

Alors voilà, Monsieur Leitao. Allez voir votre collègue du Trésor et demandez-lui le 1 milliard et quelques que représente l'augmentation de 1% de TVQ. Raisonnez-vous également et tenez bien les brides des partisans d'un modèle québécois toujours plus dépensier. Ces gens-là, ils ont bien à coeur la dette, mais quand on leur demande d'épurer les systèmes, ils vous produiront encore plus de programmes et ils déchireront leurs chemises en criant « So, So, So », comme quoi il y a confusion autour du concept d'une véritable solidarité sociale.

Merci. C'était ma contribution à la Commission parlementaire sur la réforme de la fiscalité.

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