Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Toi, mon tabarnak, je vais t'acheter. Combien tu coûtes?»

En est-on rendu à baisser les bras quand un des fondements de notre démocratie - la séparation du pouvoir exécutif et de la presse - est mis en péril?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Voilà ce qu'aurait lancé Pierre Karl Péladeau, à Pierre Céré, autre candidat au poste de chef du Parti québécois. En point de presse tout juste après le 4e débat du PQ à Rimouski dimanche, le candidat PKP n'a pas nié avoir tenu de tels propos. Démontrant des signes d'impatience devant les journalistes qui auraient bien voulu entendre Péladeau confirmer la chose, celui-ci s'est contenté de les rediriger vers le "pamphlétaire qui s'appelle Martin Patriquin", nom qu'il a prononcé en français, puis à l'anglaise, traduisant sans doute son mépris pour l'anglo du Macleans (du compétiteur canadien Rogers).

Si cela n'a certainement pas plu au magnat de presse de se voir qualifier par Céré de "Citizen Péladeau" (référence à un film Citizen Kane dont le personnage principal est un magnat de presse aux aspirations politiques) lors du dernier conseil général du PQ, on peut imaginer la rage qu'il a éprouvée en lisant le dernier article du journaliste du Macleans Martin Patriquin.

Dans un article intitulé Citizen Péladeau: What will the PQ do with their Péladeau moment?, Patriquin dresse le portrait d'un homme colérique, à l'esprit vengeur, qui s'en prend physiquement (il le prend au collet) à un certain Pierre Rodrigue, administrateur d'Astral Média, et ce, en plein événement mondain où sont assemblés les Lucien Bouchard, Bernard Landry et Jean Chrétien de ce monde. Cela s'ajoute bien sûr aux autres sautes d'humeur («en français»!!!) et au manque de savoir-vivre étalés sur la page Facebook du candidat.

À défaut d'entendre les Lisée et Drainville qui se sont soumis à la volonté d'un parti qui veut "vivre son moment Péladeau" et à 10 jours du vote du prochain chef du Parti québécois, il semble que les langues se délient et que quelques braves voix expriment leurs craintes.

C'est le cas de Pierre Céré qui, aux Coulisses du pouvoir, confiait son inquiétude, et d'un panel de journalistes à la dernière de Tout le monde en parle dimanche soir durant laquelle Guy A. Lepage lui-même avouait que s'il avait à faire un choix entre la propriété de l'héritage de son père et le poste de premier ministre, il laisserait tomber ses envies politiques.

À la question, donc, de Lepage "À votre avis, PKP peut-il demeurer actionnaire de contrôle de l'empire Québecor tout en étant député et chef du PQ et qui sait, peut-être premier ministre?", la réponse de la journaliste politique Chantal Hébert est on ne peut plus percutante:

« Y'a pas de réponse autre que de se départir d'un empire médiatique quand on devient chef de parti ou premier ministre. Pas besoin de passer un test de personnalité pour savoir si on est fin ou pas fin. Moi, je suis journaliste politique et je n'écrirais pas pour une entreprise de presse sur la politique dont le propriétaire est le chef d'un parti. C'est même pas le jour où il est premier ministre. C'est une situation impossible dans un environnement où c'est déjà difficile pour les journalistes de durer - parce qu'on est dans un marché précaire - l'idée que quelqu'un va se sentir libre d'écrire sur quelqu'un qui est chef d'un parti qui est aussi le propriétaire de son entreprise et donc, son boss, moi, je crois pas à ça. »

La journaliste Josée Blanchette du Devoir est également catégorique. Selon elle, on ne peut être propriétaire de 40% des médias et également premier ministre. Patrick Lagacé, de La Presse quant à lui, est heureux de ne pas devoir se poser la question.

Fait remarquable. Le 4e journaliste du panel, François Bugingo, ne répond pas à la question. "C'est heureux qu'on se pose la question maintenant" est le plus loin qu'il se donne le droit d'aller. "Je suis très content que la question se pose, il faut poser la question, il faut le faire maintenant", semble-t-il nous dire, mais bon sang, je ne répondrai pas à cette question. Pas plus que la journaliste Mélodie Lamoureux du Journal n'ose mentionner le très intéressant segment portant sur PKP dans son article de ce matin qui raconte en détail la dernière de TLMEP.

Ce n'est donc pas toute la gauche et tous les journalistes qui souffrent d'aveuglement volontaire ou qui participent au silence complice entourant la personne de PKP. En effet, ce mal semble affecter très spécifiquement les membres du Parti québécois pour qui Pierre Karl Péladeau ne semble souffrir d'aucun tort, d'écart de conduite ou de manque d'éthique. Il semble donc que ce sont les péquistes et les amis proches du power couple qui renient leurs valeurs démocratiques et font taire leurs craintes.

Car c'est bien de cela dont il s'agit: le Québec doit-il se protéger de la possibilité qu'un magnat de la presse puisse accéder à la plus haute fonction de premier ministre du Québec?

Les tentatives de la CAQ et du PLQ de débattre de la question et d'aboutir à une révision du code d'éthique des élus ont échoué. À défaut de s'entendre avec le PQ qui en toute circonstance, obéit à une règle du "deux poids, deux mesures", il semble qu'on s'en remette à la sagesse populaire.

En ne préservant pas l'étanchéité entre les élus et le 4e pouvoir, c'est pourtant tout l'héritage du Parti québécois de René Lévesque que l'on trahit. La réforme du financement des partis politiques de l'époque ne visait-elle pas précisément à créer un fossé entre le pouvoir des élus et celui d'une classe aux poches bien garnies? Entre le pouvoir des élus et l'influence de certains qui contrôlent, intimident, achètent les voix discordantes?

En est-on rendu à baisser les bras quand un des fondements à de notre démocratie - la séparation du pouvoir exécutif et de la presse - est mis en péril?

En se taisant, les défenseurs de Pierre Karl Péladeau sont non seulement aveuglés par leur désir d'indépendance (ou leur amitié sincère); ils sont complices d'un tort irréparable à notre démocratie. Alors qu'ils s'objectaient à la mise à jour du code d'éthique des élus sous prétexte qu'on ne peut s'objecter à ce qu'un simple député détienne 40% des médias québécois, voilà maintenant qu'ils sont confortables avec l'idée qu'une fois élu chef du Parti québécois, on ne peut revenir en arrière et changer les règles. "S'il est élu PM, c'est que les Québécois auront voté pour lui en toute connaissance de cause", clament certains qui se défilent d'avoir à poser un jugement déchirant ou un geste qui nuirait à leur amitié ou carrière. Bien sûr...

Mais c'est à travers des événements concrets (et des silences gênants) que l'on voit la solidité du sens moral et le véritable attachement des gens aux valeurs démocrates. Que l'on saisit ou non la fragilité de nos institutions et que l'on distingue leurs véritables défenseurs. Pour l'instant, on voit bien que pour les péquistes qui s'apprêtent à voter pour le "Citizen Péladeau" comme pour ceux qui se taisent, les manques de jugement et les silences sont pour le moins gênants.

Lire également l'article du Devoir

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Révéler l'adresse du premier ministre

7 bourdes de PKP en politique

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.