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Une «formule anti-Julie Snyder», vraiment?

Si Madame Snyder parle d'une «formule anti-Julie Snyder en avril 2015», on pourrait aisément parler d'une «formule pro-Julie Snyder» péquiste en avril 2014, non?
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Que sait-on de toute cette histoire gravitant autour d'un crédit d'impôt auquel Les Productions J n'auraient plus droit depuis le dernier budget Leitao du gouvernement Couillard? Rappelons d'abord l'intention du crédit d'impôt en question.

Selon la description du Crédit d'impôt remboursable pour la production cinématographique et télévisuelle québécoise (rf. Dépenses fiscales 2013, p. B-208)

Une société qui a un lien de dépendance avec un télédiffuseur ne peut bénéficier du crédit d'impôt pour la production cinématographique et télévisuelle québécoise que pour les productions qu'elle réalise pour une autre société que le télédiffuseur avec lequel elle a un lien de dépendance, et ce pourvu qu'elle maintienne historiquement un volume minimal de production indépendante.

Retenez l'expression "lien de dépendance avec un télédiffuseur", d'accord? En clair, une société de production télévisuelle (comme Productions J par exemple) ne peut servir de paravent à un diffuseur (comme TVA) pour bénéficier de crédits d'impôt auquel il n'a normalement pas droit.

Arrive février 2014.

Février 2014 - Assouplissement aux critères d'admissibilité 5 jours avant le déclenchement des élections

Un Bulletin d'information du Ministère des Finances du gouvernement Marois rappelle l'intention du crédit d'impôt:

Le crédit d'impôt remboursable pour la production cinématographique ou télévisuelle québécoise a été introduit en 1990 et depuis son instauration, sauf pour une période de cinq ans s'étendant de 1998 à 2003, l'accès à ce crédit d'impôt a été limité aux producteurs indépendants.

Ainsi, une société qui est titulaire d'une licence de radiodiffusion délivrée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-après appelée « télédiffuseur ») n'est pas admissible au crédit d'impôt.

Plus loin, toutefois, on mentionne des "assouplissements" aux crédits d'impôt remboursables:

Cette ouverture vise à permettre à une société de bénéficier du crédit d'impôt malgré son lien avec un télédiffuseur, mais ce, uniquement à l'égard des films admissibles qu'elle réalise pour des sociétés autres que le télédiffuseur avec lequel elle a un lien de dépendance.

Avril 2014 - Le journaliste de La PresseDenis Lessard fait connaître les "assouplissements"

Depuis des années, la SODEC fermait la porte aux télédiffuseurs pour que les crédits d'impôt soient réservés aux producteurs d'émissions. Parce qu'elle était liée à Pierre Karl Péladeau, propriétaire de TVA, Julie Snyder ne pouvait obtenir ce crédit d'impôt pour les coûts de réalisation de Productions J. (...)

Or, ces mesures "seront modifiées afin d'y remplacer le lien de dépendance par le critère des sociétés associées", écrit le ministère des Finances.

Plus encore "la nouvelle réglementation annule une période de latence de 24 mois et rend donc admissible dès aujourd'hui Productions J aux crédits d'impôt pour les productions admissibles", selon le bulletin CTVM, organe de l'industrie. Idem pour la productrice Karine Vanasse dont les longs métrages n'étaient pas admissibles au crédit d'impôt parce qu'elle est liée à la famille Rémillard, propriétaire de la station V.

Avril 2015 - Retour arrière, annulation des "assouplissements" aux critères d'admissibilité aux crédits d'impôt.

Le budget Leitao du gouvernement libéral de Philippe Couillard rétablit les règles qui prévalaient avant les dernières élections quant aux crédits d'impôt pour la production cinématographique et télévisuelle (Lire Denis Lessard).

En entrevue au Devoir, Julie Snyder se dit victime d'une vendetta, qualifie cette mesure de "discriminatoire", voire "sexiste". Selon Madame Snyder, cette mesure "menace la survie de sa compagnie". Finalement, elle menace de poursuivre le gouvernement.

Que doit-on comprendre?

  1. Le crédit d'impôt dont il est question ici est conçu pour, et réservé aux producteurs indépendants non liés à des télédiffuseurs.
  2. Afin d'assurer l'exclusion des télédiffuseurs, une société qui a un lien de dépendance envers un télédiffuseur n'est pas non plus admissible au crédit d'impôt pour les productions réalisées pour ce télédiffuseur.
  3. En février 2014, le gouvernement péquiste de Pauline Marois remplace le concept de "lien de dépendance" par celui de "sociétés liées", autrement dit par le "critère du contrôle effectif" de la société.
  4. Cet assouplissement a comme conséquence que Productions J pourra bénéficier de tels crédits (de même que la maison de production de Karine Vanasse "liée" à la famille Rémillard, propriétaire de V.
  5. En avril 2015, le gouvernement libéral Couillard rétablit le statu quo qui prévalait avant l'élection de 2014.

Malaise au Ministère de la Culture et chez les producteurs indépendants

Productions J est-elle vraiment une société indépendante et non liée au réseau TVA? Voilà la question! Selon la directrice générale de l'Association québécoise de la production médiatique de l'époque, Claire Samson, la société de Julie Snyder était " indépendante au sens des statuts et règlements de l'AQPM" en février 2014. À ce moment, toutefois, Mme Snyder n'était plus en couple avec M. Péladeau, tient-elle à préciser aujourd'hui au micro de Paul Arcand (lire ici). Le fait qu'aujourd'hui, le couple ait annoncé leur mariage change-t-il la donne?

Autre interrogation. Si Productions J était vraiment indépendante et "non liée" à TVA, pourquoi la SODEC s'était-elle objecté, en 2014, aux assouplissements prônés par le gouvernement de Pauline Marois? Selon Denis Lessard, des pressions importantes du gouvernement auraient été exercées sur le ministère des Finances pour que les changements se fassent rapidement. Comment expliquer, par ailleurs, que neuf des quinze interventions pour faire modifier le règlement aient été émises par Pierre Karl Péladeau et TVA? Était-ce des représentations et du lobbying pour Productions TVA ou couvraient-elles également les intérêts de Productions J?

Selon Denis Lessard: La Presse a obtenu l'avis produit par le ministère de la Culture, en janvier 2014, dans lequel les fonctionnaires recommandaient au ministère des Finances de ne pas changer les règles. Les producteurs indépendants estimaient avoir tout à craindre de voir un tel avantage accordé à des concurrents qui bénéficiaient d'une entrée directe auprès d'un diffuseur. Pour le ministère de la Culture, «le statu quo doit prévaloir parce que le modèle économique de l'industrie de la production audiovisuelle québécoise a généré un rapport de force très fragile entre les producteurs indépendants et les télédiffuseurs privés d'une part et leurs sociétés liées d'autre part».

«Nous sommes d'avis que tout assouplissement à la règle provoquerait la colère des producteurs indépendants», prévenait le Ministère, un avis clairement mis au rancart par le gouvernement Marois, qui décidait du contraire, un mois plus tard.

Ironiquement, en annexe, le mémoire fait la description des interventions faites auprès du gouvernement du Québec pour obtenir le changement qu'allait approuver Pauline Marois. Dans une liste d'une quinzaine d'interventions, on en retrouve neuf, sous forme de lettres ou de rencontres, émanant de Pierre Karl Péladeau ou de TVA entre février 2009 et septembre 2013.

Producteur indépendant vs concurrence déloyale

Sur son blogue, Denise Bombardier répond indirectement à la question fondamentale. Productions J est-elle une société de production indépendante?

En télévision, par exemple, la marge de manœuvre est mince. Les «vedettes» doivent choisir leur camp : entre TVA, la chaîne V et Radio-Canada. La compétition entre TVA et Radio-Canada demeure une réalité bien tangible. (...)

À preuve, l'automne dernier, dès que fut rendue publique la séparation du couple Snyder-Péladeau, Julie Snyder fut contactée par la télévision de Radio-Canada, intéressée par ses productions si populaires.

Il est donc clair que Julie Snyder, productrice indépendante, ne peut intéresser les chaînes compétitrices qu'à la condition de quitter ses productions à TVA, fleuron médiatique de l'empire Québécor.

Productions J aura beau produire pour France 2 et Télé-Québec, il semble que ni Radio-Canada ni Julie Snyder elle-même ne soient intéressés à faire des affaires ensemble. Conclusion: Productions J choisit "son camp" et jouit ainsi d'un avantage concurrentiel démesurément extraordinaire auprès de TVA. En d'autres termes, si on juge que Productions J est "liée" au télédiffuseur TVA, ce n'est pas dû à son prochain mariage avec Pierre Karl Péladeau, ni parce qu'elle est "victime" de l'engagement politique de Péladeau.

C'est purement et simplement parce que Julie Snyder et TVA ont choisi de s'avantager mutuellement au grand déplaisir des véritables producteurs indépendants.

Dans ce cas, il ne serait même pas exagéré de parler alors de "concurrence déloyale" vis-à-vis les plus petits producteurs indépendants, producteurs dont on a voulu, au moyen du crédit d'impôt, protéger le rapport de force contre de tels concurrents qui "bénéficiaient d'une entrée directe auprès d'un diffuseur".

Copinage politique?

Y a-t-il eu copinage politique entre Pauline Marois, Julie Snyder et Pierre Karl Péladeau pour assouplir des règles de crédits d'impôt qui défavorisaient Productions J? Cela me semble évident. Changement tout juste à la veille d'une élection, assouplissement à l'avantage de Productions J, disparition de la clause des 24 mois. C'est un peu trop. Si Madame Snyder parle d'une "formule anti-Julie Snyder en avril 2015", on pourrait aisément parler d'une "formule pro-Julie Snyder" péquiste en avril 2014, non?

Par son implication politique, son initiative des Jeannettes, son film "La Première" en honneur de Pauline Marois et quoi encore, Julie Snyder n'est pas seulement une productrice. Elle est devenue une figure politique en soi, indépendamment de Pierre Karl Péladeau, ne jouons pas la corde de la "femme victime des choix de son mari", s'il vous plaît...

En ce sens, Julie Snyder apprend peut-être à la dure que les "affaires" et la "politique" sont difficilement conciliables. Combien d'entrepreneurs taisent leur appartenance politique par souci de ne pas nuire à leurs affaires, à leurs employés et à leurs clients?

Non. Vous ne me ferez pas voir Julie Snyder comme une victime. Au contraire. À y voir de plus près, ce n'est pas l'action politique de Pierre Karl Péladeau qui nuit à son entreprise. C'est la sienne.

P.S. #1 - Personne ne croit que Productions J est menacée et que c'est une question de survie de son entreprise. À preuve, Star Académie et La Voix existaient avant les crédits d'impôt.

P.S. #2 - Il demeure que le gouvernement libéral a avantage à préciser le concept de "producteur lié". La maison de production de Marie-France Bazzo par exemple est-elle liée à Télé-Québec? La maison de Guy A. Lepage est-elle liée à Radio-Canada? Ces maisons de production bénéficient-elles de crédits d'impôt auxquels elles n'ont pas droit?

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