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Jeunes enseignants à vendre

Une enquête révèle que le quart des enseignants qui ont moins de 5 ans de pratique abandonne la profession.
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Dans le cadre des actuelles négociations entre les enseignants et le gouvernement du Québec, il est beaucoup question des services aux élèves, des régimes de retraite et des conditions de travail des enseignants. Ce sont certes des sujets importants qu'il faut aborder de front. Or, on ne parle pas beaucoup des jeunes enseignants qui peinent de plus en plus à se trouver une place dans le réseau. Cette situation est de plus en plus problématique et en amène plus d'un à envisager sérieusement à changer de profession.

Une enquête menée par le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) révèle que le quart des enseignants qui ont moins de 5 ans de pratique abandonne la profession. Cela constitue une hausse significative par rapport à 2003, où le taux de désertion était de 17%. Il y a donc là matière à se questionner sur les causes de ces nombreux abandons, de ces espoirs déçus.

D'abord, il est évident que le milieu universitaire a une certaine part de responsabilité. On nous y vend les perspectives d'emploi comme étant nombreuses et alléchantes. Or, la réalité est beaucoup moins rose qu'on le prétend. En dehors de Montréal, les véritables pénuries d'enseignants n'ont lieu qu'en juin lorsque les enseignants se décident à prendre en rafale leurs congés de maladie. Et, il faut l'avouer, c'est souvent le moment de l'année où les élèves sont les plus intenables, les plus énervés. Il n'y a rien de très emballant pour un jeune enseignant d'y faire ses premières armes comme suppléant.

De plus, il faut accompagner cette réalité à une formation souvent inadéquate qui vend le métier d'enseignant comme une profession où le pilier central est l'enseignement. À l'usage, on se rend compte que c'est malheureusement de moins en moins le cas. Les dédales administratifs, la paperasse à remplir et les nombreuses rencontres de tous genres pullulent désormais allègrement dans le quotidien des enseignants. Ainsi, un mordu de pédagogie pourra trouver ses espoirs déçus lorsqu'il se rendra compte qu'en bout de ligne, après avoir accordé du temps à toute la poutine hebdomadaire, il ne lui restera que bien peu de temps pour travailler sur ce en quoi il a été formé.

Certaines commissions scolaires ont aussi leur part de responsabilités dans cette désaffection des jeunes enseignants. Dans certaines régions du Québec, les mécanismes d'embauche sont si chaotiques, si aléatoires, qu'il est difficile de ne pas se décourager.

L'exemple de ma propre sœur est révélateur. Jeune enseignante compétente et passionnée, elle a terminé sa formation universitaire il y a quelques années. Elle a trimé dur. Après plusieurs journées de suppléances éparpillées, elle a fini par se faire offrir un tout petit pourcentage de tâches comme premier contrat, tout en comblant ses journées libres avec de la suppléance. Puis, elle accoucha de ma si mignonne nièce. À peine relevée de son accouchement (un peu plus d'un mois plus tard), elle se fit offrir un deuxième contrat, qu'elle accepta malgré la précocité de son retour: elle ne voulait pas laisser filer cette chance. Puis, elle eut un petit contrat de début d'année qu'elle croyait enfin être cet ultime dernier contrat qui lui permettrait d'accéder à la liste de priorité. Ce ne fut pas le cas. Il lui manquait finalement environ 80 jours de travail pour pouvoir accéder à la liste prioritaire d'embauche. Ces jours lui sont toujours manquants.

À tous les semestres, ma sœur voit de nouveaux enseignants arriver sur le marché et la dépasser en ayant un contrat alors qu'ils n'en n'ont jamais eu encore. Le système d'attribution de contrats est si mal organisé à cette commission scolaire que c'est aux enseignants de se vendre eux-mêmes, sans hiérarchie prédominante.

Ainsi, en début de chaque année scolaire, les enseignants sans contrat d'une même commission scolaire font la tournée des écoles pour aller porter leurs cartes d'affaires en vue d'être rappelés pour quelques journées de suppléance et, ultimement, pour un contrat intéressant. Cette façon de fonctionner multiplie les passe-droits, transformant quasi l'école publique en une entreprise privée où les ressources humaines sont choisies sur des facteurs autres que la compétence.

J'ai même déjà vu une nouvelle jeune enseignante faire la tournée des écoles en offrant des petites pâtisseries en compagnie de sa carte d'affaires pour mousser sa candidature. On travaille à faire disparaitre la corruption dans les structures gouvernementales et on accepte de telles façons de faire? Ce n'est pas sérieux!

On m'a déjà dit qu'en enseignement, il fallait savoir être à la bonne place au bon moment pour réussir à se placer rapidement. Cela ne devrait pas être ainsi! Il est inacceptable qu'à plusieurs endroits il n'y ait pas de structures cohérentes d'embauche, ni de suivi pour les nouveaux enseignants qui font leur arrivée dans le milieu.

Certains pseudo-commentateurs et bien-pensants de la société aiment bien se gargariser de sornettes en attribuant tous les torts du monde aux fonctionnaires du gouvernement, en les présentant comme une plaie d'Égypte qu'il faut enrayer à tout prix. Par contre, dans certains milieux (comme à la Commission scolaire de Montréal), s'il n'y avait pas ce soutien administratif permettant de mettre un peu d'ordre dans l'attribution des contrats d'enseignement, la situation serait encore bien pire. Ces personnes développent souvent des relations personnalisées avec les nouveaux enseignants et s'assurent que l'attribution de contrats se fait selon les règles de l'art. D'ailleurs, plusieurs régions du Québec devraient s'inspirer de ce type de fonctionnement. C'est à ne point en douter, dans le cas présent, de décentraliser vers les écoles le dossier des ressources humaines n'aurait rien de positif, cela augmenterait assurément les passe-droits et les situations déplorables.

Si la problématique présentée ici peut sembler être un détail pour Monsieur et Madame Tout-le-monde, elle est néanmoins cruciale pour l'avenir de notre système d'éducation. Tout autour de moi, je vois des jeunes enseignants passionnés finir par tomber au combat, désabusés et tannés de se battre pour réussir à travailler. Ils sont désormais nombreux à quitter la profession avant même d'y avoir laissé leur marque. Ils en sortent souvent avec un gout amer, leurs espoirs déçus, leur rêve déchu.

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