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Et pourquoi pas une petite promenade dans un village du Groenland?

À 74°35' Nord, le village groenlandais de Kullorsuaq se situe à plus de 1000 kilomètres au-delà du cercle polaire dans la région de Thulé: situé sur une île de granit, il est particulièrement isolé, à 1h30 d'hélicoptère - quand le temps le permet - 8 heures de bateau, 4 jours de traîneau ou deux semaines de ski de la première bourgade, Upernarvik, distante de près de 200 km.
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Kullorsuaq, 440 habitants, au tout nord du Grand Nord à 4 jours de traîneau de la bourgade la plus proche: un lieu improbable où un Français aventureux a acquis une maison. Visite guidée.

À 74°35' Nord, le village groenlandais de Kullorsuaq se situe à plus de 1000 kilomètres au-delà du cercle polaire dans la région de Thulé: situé sur une île de granit, il est particulièrement isolé, à 1h30 d'hélicoptère - quand le temps le permet - 8 heures de bateau, 4 jours de traîneau ou deux semaines de ski de la première bourgade, Upernarvik, distante de près de 200 km. Il y fait nuit totale entre décembre et mars, plein jour entre mai et juillet, le thermomètre oscille entre + 10° et - 35°, la mer gèle six mois par an et ne dépasse pas les 5° au plus chaud de l'été. Pas un arbre n'y pousse, même pas un modeste buisson, aucune culture n'y est possible et le cimetière - les tombes sont surélevées tant la terre reste gelée en permanence - est garni le fleurs en plastique. Bref, cet étrange Kullorsuaq du bout du bout du monde se mérite. D'autant plus que ses maisons sont toutes pleines de couleur et que tous ses 440 habitants sont particulièrement chaleureux.

Un vrai bordel

Le - très rare - visiteur qui découvre le village le fait généralement l'été par la mer, le bateau se faufilant entre d'innombrables icebergs. Après une vue imprenable sur la calotte glacière léchant la baie de Melville, après avoir aperçu une falaise de granit en forme de doigt levé (Kullorsuaq signifie « le grand pouce »), il entrevoit des taches jaunes, rouges, bleues, vertes, roses, mauves... : les maisons sont toutes peintes, héritage désuet de l'ancienne administration danoise (depuis 2009 le Groenland est autonome), car ces couleurs étaient fonctionnelles: le rouge pour l'administration, le bleu l'énergie, le jaune la santé. A Kullorsuaq le magasin est rouge, l'église blanche, l'école bleue. De quoi ne pas se perdre en hiver, quand tout est blanc de neige et noir de nuit.

Débarquant sur un ponton de pierre, le visiteur est immédiatement frappé par le désordre apparent du village, un vrai bordel: tout traîne partout, caisses en bois, tuyaux rouillés, clous tordus, cuisinières hors d'usage, conteneurs cabossés, carcasses d'animaux, motoneiges dépareillées, poussettes d'enfant, cranes séchés d'ours, bidons plastiques ébréchés, etc... Un désordre qui disparaît à la première tombée de neige et qui est le grenier de tout un chacun. Comme il n'y a rien sur cette ile, on garde tout. Avec attention, car ce tout est précieux, ne serait-ce que pour dépanner, réparer, construire. Un micro-ondes, un harpon, une maison.

Pantalons en peau d'ours

Si les villageois se retrouvent plusieurs fois par jour au seul magasin aux horaires très variables, ce n'est pas seulement pour s'y approvisionner en conserves de légumes (rien ne pousse), en cartouches de chasse (question de survie), en canettes de sodas (l'alcool est prohibé), en cordes de guitare (on chante beaucoup), mais aussi pour avoir des nouvelles des uns les autres, car la vie collective, même si l'on y aime l'individualité, reste essentielle. Si tous disposent d'un, voire de plusieurs portables (le Groenland compte 85 000 téléphones mobiles pour 55 000 habitants) et ont à 80% un profil Facebook, ces Inuit millénaires restent de très-très-très grands chasseurs de phoque, de narvals, d'ours, et une fois leur trophée durement obtenu, ils partagent les morceaux, certains ayant une prédilection pour le foie cru riche en vitamines, les yeux que l'on gobe, la graisse que l'on conserve, et comme ici aussi tout se garde, les boyaux font les cordages, les peaux d'ours deviennent pantalons et les peaux de phoque chaussures.

Autre curiosité de Kullorsuaq, l'eau: il n'y en a pas. Enfin pas d'eau courante, d'eau chaude, d'eau d'évacuation. Les habitants s'alimentent en eau dans la maison commune (où se trouvent les douches et les machines à laver) et dans cinq endroits dispersés ça et là, petites fontaines d'eau tiède (la canalisation venant d'un lac proche est chauffée pour ne pas geler...ce qui arrive parfois en hiver) où l'on remplit de lourds bidons. L'eau salie est aussitôt jetée par la fenêtre ! Quant aux WC, ce sont de simples sièges dans un recoin de la maison renfermant un sac-poubelle jaune qu'un « Mr caca » vient retirer plusieurs fois par semaine, le contenu étant en principe incinéré...voire jeté à la mer.

Nikoula, l'ambassadeur mondial

C'est dans ce village peu ordinaire qu'un Français s'est acheté une maison qu'il a (un peu) retapé avec, plus ou moins, l'aide des habitants, notamment ses « potes » Adam et Olle (qu'il a fait venir l'an passé en France, en pleine canicule !) . Mais Nicolas Dubreuil - Nikoula pour les autochtones - n'est pas non plus un résidant ordinaire. Chef de très nombreuses expéditions polaires, arctiques et antarctiques, amoureux épris du monde des glaces, cet ancien prof d'informatique qui manie allégrement la langue Inuite locale, a posé une partie de ses skis et crampons dans B849, une masure rouge sur pilotis, car ici une habitation posée sur le sol réchaufferait la terre qui alors ne serait plus d'aplomb. Il y vit, patiemment puis joyeusement adopté par le village, plusieurs mois par an, et participe activement à la vie locale: il est de tous les jeux de bingo, de toutes les chasses, de toutes les cérémonies.

Conscient du fossé qui sépare un mode de vie traditionnel que les anciens pratiquent toujours et les enjeux d'un monde devenu industriel et qui touche les ados en particulier (le taux de suicides des jeunes y est des plus élevés), Nikoula soutient les habitants à la fois pour perpétuer la tradition, les villageois reconstituant les objets et jouets de leur enfance et les aide à faire face aux nouveaux défis du Groenland puisqu'on y a trouvé - et bientôt exploité - des gisements importants de pétrole et de minerais. En faisant connaître son village, Nikoula est devenu l'ambassadeur mondial de Kullorsuaq.

Dans un livre illustré par ses propres photos ( « Kullorsuaq », éditions de la Martinière, 144 pages), Nicolas Dubreuil détaille avec humour et tendresse la vie rude et fraternelle de son village. À lire au chaud . Une visite guidée qui mérite le détour.

Photos (prises en été, par +4°) de Jérome Stern

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