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L'Arctique fond, la preuve, je l'ai traversé

Réchauffement oblige, les mers des pôles perdent des kilomètres carrés de glace. Le passage du Nord Ouest, du Groenland à la Sibérie via le Nord Canada et l'Alaska, lieu mythique pour les navigateurs, s'ouvre désormais (à peine) aux bateaux. Témoignage.
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Réchauffement oblige, les mers des pôles perdent des kilomètres carrés de glace. Le passage du Nord Ouest, du Groenland à la Sibérie via le Nord Canada et l'Alaska, lieu mythique pour les navigateurs, s'ouvre désormais (à peine) aux bateaux. Témoignage.

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En 1490, le navigateur vénitien Giovanni Caboto est le premier à croire en un passage maritime reliant l'Atlantique au Pacifique. Depuis, de nombreuses - et dramatiques - expéditions ont tenté de relier ces deux océans. Passage réussi dans le sens ouest-est pour le norvégien (également premier a atteindre le pôle Sud en 1911) Roald Admusen... en 1906 à l'aide d'un bateau de pêche et de deux hivernages sur place. Autant dire que cette traversée réalisée après des siècles de tentatives souvent meurtrières ne se présente pas comme une simple promenade. Car si l'Antarctique est une terre entourée de glaces assez régulières, l'Arctique est un amoncellement de glaces flottantes cernant des iles très nombreuses, parfois immenses comme le Groenland (la plus grande ile du monde) ou Baffin (grande comme l'Espagne), parfois petites comme Beechey ou Somerset. A noter qu'en Arctique, la plupart des noms locaux ont une origine britannique, car ce sont essentiellement les Anglais qui, notamment depuis l'expédition Franklin de 1845, ont à tout prix cherché un passage direct entre le royaume et ses colonies d'Amérique et d'Asie et découvert la majorité des lieux: on trouve ainsi, le Détroit de Lancaster, l'Ile du Prince de Galles, goulet de Simpson, Queen Maud Gulf ou Cambridge Bay...

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La banquise a perdu plus d'un million de km2

Ces cinquante dernières années, le Passage du Nord Ouest (PNO pour les marins) a vu passer très peu de bateaux, excepté quelques voiliers de navigateurs, tous hors-norme, parfois obligés d'hiverner sur place. Les villages Inuit très dispersés (une dizaine de moins de 400 habitants chaque) ravitaillés en pétrole, nourriture et vêtements restent particulièrement isolés, même si aujourd'hui, tous disposent d'Internet, de motos-neige et d'une supérette où l'on peut acheter, très cher, hamburgers surgelés, téléviseurs, fusils de chasse et bottes fourrées. Avec le réchauffement, incontestable, la banquise (eau de mer glacée généralement d'une épaisseur de plusieurs centimètres, à ne pas confondre avec l'iceberg, mastodonte parfois de plus de 150 m de haut et 500 m de long fait d'eau douce venue des glaciers) s'amenuise, dans des proportions impressionnantes. En quelques années, elle a perdu plus d'un million de km2, deux fois la superficie de la France, et ce, accompagné d'un net amincissement de la couche de glace. Et plus la banquise fond, plus l'océan Arctique se réchauffe, plus la fonte s'accélère. Pour nombre de glaciologues, la banquise arctique pourrait quasiment disparaître d'ici 2020-25. Ce qui signifie que prochainement, ce qui était un endroit hostile et un lieu impénétrable pourrait devenir une zone accorte et un passage franchissable.

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Deux semaines de gagné ?

C'est ce que quelques commerciaux avisés et quelques compagnies téméraires ont intégré, avec comme toujours une arrière-pensée économique. Le trajet maritime classique Asie-Europe passe par le canal de Panama (24 000 km) ou le canal de Suez (21 000 km); il n'est plus que de 15 500 km pour le PNO et même 14 200 km pour la Route du Nord Est (la RNE, découverte en 1879, longe la Sibérie et fait déjà l'objet de péages onéreux de la part de la Russie). Soit un gain de temps de deux semaines pour les immenses cargos de plusieurs centaines de mètres, de plus en plus nombreux soumis à l'engorgement du trafic dans les canaux et aux risques d'une piraterie en mer d'Oman. Cet été, le Nordic Orion, gros cargo commercial de 75 000 tonnes, long de 225 m et à la coque renforcée a livré 15 000 tonnes de charbon embarquées à Vancouver (Cote Pacifique du Canada) au port de Pori en Finlande en empruntant le PNO, économisant 1000 miles nautiques et 85 000 dollars de fuel. Pari gagné, mais pari risqué: déjà un petit pétrolier canadien s'est récemment échoué face à l'Ile du roi Guillaume laissant échapper une partie des 10 millions de litres de carburant, déjà un navire de croisière, Clipper Adventurer (ex bateau soviétique construit en 1976) a heurté le 27 août 2010 un haut fond près de Gjoahaven, les 128 passagers ayant dû abandonner le bateau. Heureusement, il n'y a pas eu de blessés, car dans chaque cas, les secours ont mis plusieurs jours pour venir sur zone.

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Une voie assez peu navigable

Cocorico, le premier navire de croisière français à réussir ce passage, le Soleal de la compagnie du Ponant basée à Marseille a eu plus de chance en septembre dernier, grâce notamment à une météo assez clémente, une technologie des plus avancées et la maitrise de son commandant, Etienne Garcia: le yacht de 140 m - sur lequel j'étais - a pu passer sans encombre le PNO, notamment en franchissant le Détroit de Bellot, goulet de 36 km de long, large de 1 km (et de seulement 380 m dans sa partie la plus étroite) au fort courant de 10 noeuds, entre la Baie de Brendford et le Détroit de Franklin, un passage mythique que l'on voit mal livré aux tankers géants, d'autant que nombre de zones arctiques restent mal ou pas cartographiées et que par-ci, par-là, émergent des bancs de sable ou affleurent des blocs rochers. Ainsi le Détroit du Prince de Galles, véritable passe de 200 km de long a une profondeur de 162 m au sud, mais se rétrécit pour n'atteindre que 7,18m, point le plus bas au nord, insuffisant pour la plupart des géants des mers. Et que malgré leur diminution évidente, les blocs de banquises restent nombreux, imprévisibles et soumis aux caprices de vents et des courants changeant sans cesse, au point que les cartes satellites de la marine canadienne s'avèrent vite caduques.

En quelques heures une mer libre de glace peut devenir banquise et prendre des navires au dépourvu, les forçant à une plus ou moins longue immobilisation que les quelque 18 anciens brise-glace canadiens peuvent ou ne peuvent pas déloger. C'est d'ailleurs ce que risquent les futures croisières déjà proposées en catalogue, par exemple le prochain voyage du Ponant en 2014 (complet depuis des mois !) qui pourrait ne pas rééditer l'exploit de 2013 et rester bloqué, voire à faire demi-tour. À part quelques petits bateaux - cette année une grosse centaine tout de même, hors voiliers - ce sont essentiellement des navires de croisière à taille humaine qui empruntent ou vont emprunter le PNO: les touristes apprécient le frisson qu'accompagne cette aventure encore totalement hors norme, pas les marins soumis aux impératifs commerciaux. Enfin, la glace ne se libère - que partiellement - de juillet à septembre, d'où un créneau limité. Malgré les effets certains du réchauffement, le risque est encore trop important, car cette voie est pour l'heure assez peu navigable et suffisamment hasardeuse pour qu'elle devienne fréquentée. Mais pour combien de temps?

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Texte et photos de Jérome Stern (l'homme qui a vu l'ours... et même plusieurs)

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