Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Art contemporain: des prix démentiels

Leurs prix ne cessent d'augmenter, ils sont réservés à une élite rare, toujours prête à surenchérir, et dépassent de sept fois la cote de leurs prédécesseurs classiques. Si ces artistes rassemblent les collectionneurs les plus passionnés, d'autres leur reprochent... leur manque de maturité.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
AFP

Jamais les prix de l'art contemporain n'ont atteint de tels sommets, dépassant, et de beaucoup, les cotes de Watteau, Monnet ou Chagall. Qui connaît Thomas Schütte, Glenn Ligon, Zhou Chuya, Louis Eisner, tous nés après-guerre, aux oeuvres non encore matures, mais déjà millionnaires? Et si la bulle se mettait en place?

Le Popeye de Jeff Koons s'est vendu à 282 millions de dollars, l'acheteur est Steve Wynn, propriétaire de casinos.

C'est un record qu'adorent célébrer les médias et les professionnels du marché de l'art: en deux soirées, Christie's vient d'adjuger à la mi-mai à New York pour 975 millions de dollars (725 millions d'euros) d'oeuvres contemporaines quand sa rivale Sotheby's... ne vend au même moment dans la même ville « seulement » pour 386 millions de dollars de tableaux et sculptures. Une fois de plus le record, d'à peine six mois de 691,5 millions de dollars (monnaie de référence dans le marché de l'art) qui lui-même avait battu de près de 200 millions le score d'un semestre précédent, a été pulvérisé. Des chiffres à comparer aux 620 millions de dollars que réalise tout l'ensemble de Drouot ... par an ! Autant dire que le marché ne cesse de s'emballer, essentiellement pour les oeuvres modernes (Picasso, Bacon, Mirô) et surtout contemporaines. Pour les spécialistes, sont considérés comme contemporains, les artistes nés après 1945. Pour le prix d'une toile de Martin Kippenberger (né en 1953), 18.645.000 dollars, on peut s'offrir trois belles huiles de Renoir, cinq toiles de Fragonard ou dix oeuvres de Courbet....

Oeuvre de Jean-Michel Basquiat, évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars

Beaucoup de hauts, quelques bas

Le marché de l'art mondial a drainé, selon le site spécialisés Arprice.com plus de 12 milliards de dollars de chiffre d'affaires, un marché qui pour l'art contemporain se révèle plus que rémunérateur: l'indice Artprice affiche en effet un gain de 102% en dix ans , sept fois plus que la peinture classique. Le même tableau de Basquiat a été adjugé 912.975 dollars en juin 2010 pour être à nouveau adjugé 1.973.190 dollars en février 2013, soit plus d'un million de plus-value en 32 mois... et une autre toile du même Basquiat vient d'être acquise - discrètement, de gré à gré cette fois - autour de 90 millions de dollars par un membre de la famille royale du Qatar, doublant ainsi le record de l'artiste (15,4% des recettes de l'art contemporain en 2013 à lui seul) déjà fort élevé à 48,8 millions de dollars!

Une photographie de Cindy Sherman vient d'être revendue 3,9 millions de dollars: elle avait été adjugée en 1998 pour, déjà une somme élevée à l'époque, 96.000 dollars! Une des particularités de ce marché est, faut-il le rappeler, non mature, puisque l'on ne juge l'impact artistique et historique d'un peintre que bien longtemps après montré son travail. Ce yo-yo s'avère être de plus en plus actif avec des ventes et reventes rapides, notamment de la part des acheteurs orientaux, la plupart étant tout juste ouverts à cette forme d'art. Et si la majorité des étiquettes grimpe allègrement, certains artistes voient leur cote baisser, voire s'effondrer: Celle millionnaire de Damien Hirst qui a connu une hausse notable dans les années 2000 a dégringolé de 70% depuis 2008 pour aujourd'hui se stabiliser avec une décote de 30%. En Chine où nombre de nouvelles fortunes se tournent désormais aussi vers l'art local ancien plus inclus dans la culture traditionnelle, on enregistre un recul de 22% de l'art conceptuel, même si pour les spécialistes il ne s'agit que d'un réajustement technique, le marché chinois dépassant aujourd'hui une peu le marché américain, beaucoup le britannique, énormément le français.

Oeuvre de Keith Haring vendue 4,869 millions de dollars.

L'ego des millionnaires

Pour les professionnels (qui soutiennent naturellement leur corporation, elle aussi soumise à la mondialisation et au gigantisme), les prix démentiels de l'art contemporain ne correspondent pas à une dérive financière. D'abord parce que dans le monde entier, le nombre d'acheteurs potentiels, les millionnaires, ne cesse d'être plus nombreux; rien qu'en Chine, il y en a dix à vingt nouveaux chaque semaine. Et aussi parce que le monde de la finance regorge de liquidités dont banques, fonds d'investissement, entreprises et millionnaires ne savent que faire.

On compte dans le monde plus de 100 millions de collectionneurs d'art contemporain, dont plusieurs dizaines de milliers très fortunés, toujours prêts à surenchérir. Car l'art contemporain est aujourd'hui un signe extérieur de réussite, au même titre que la taille d'un yacht ou le nombre de villas, notamment pour les nouveaux très-très riches qui souvent n'ont pas le recul culturel nécessaire pour apprécier un tableau ancien.

Ensuite, il s'ouvre un nouveau musée chaque semaine, notamment en Asie et au Moyen-Orient (par exemple l'Arabie saoudite, en retard en la matière comparé au Qatar ou aux Émirats, vient de débloquer 1,7 milliard de dollars avec 14 musées dont les fondations sont déjà hors-sol), là où l'argent coule à flots: les richissimes financiers de ces institutions raflent tout ce qui passe en vente, notamment en gré à gré. Ainsi, Christie's a réalisé pour 1,2 milliard de ces ventes discrètes, en augmentation de 20%.

Ensuite toujours, comme les oeuvres classiques et impressionnistes de qualité sont pour l'immense majorité déjà dans les musées, donc rarement à vendre, les acheteurs se ruent sur l'art d'aujourd'hui, en tablant sur une éventuelle et rapide plus-value. D'ailleurs beaucoup d'acquéreurs, une fois initiés, se montrent sélectifs: avec 35% en moyenne, le nombre d'invendus en salle des ventes reste stable.

Enfin, et c'est là l'aspect économique de ce marché, l'art est un "actif réel", un bien qui a une valeur intrinsèque. Et ce par opposition à "l'actif papier" plus ou moins fiscalisé, par exemple des fonds adossés à des actifs dont la valeur peut s'écrouler, notamment les emprunts d'Etat, ou dépendant d'organismes financiers qui, on l'a vu, peuvent s'avérer en cessation de paiement. Or les plus riches aujourd'hui, tirant la leçon de la crise financière toujours en cours, se tournent vers ces "actifs réels", immobilier, joaillerie, or, terrains agricoles... et art, histoire aussi de diversifier et de fructifier leur patrimoine. Et si possible,en tablant sur un futur gain.

Les professionnels, logiquement, défendent leur activité, et pour la plupart ne croient pas à la spéculation. Ils semblent oublier que comme en Bourse, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Même les arbres peints sur un tableau.

Une oeuvre de Rose-Marie Trockel vendue à 4,981 millions de dollars.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Claude Monet - "L'Ile aux Orties" : 8,1 millions de dollars

Les œuvres les plus chères de 2013

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.