Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le p'tit William

D'ici quelques jours, des milliers de jeunes s'occuperont des gamins du Québec. Pour la première fois dans de multiples occasions. Ils vivront tous et toutes des dizaines d'histoires comme celles-ci.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

À la fin du secondaire, comme plusieurs autres jeunes lorsque la saison estivale se pointe le bout du nez, je suis devenu animateur de camp de jour municipal.

Ce qui est une excellente blague en soi puisqu'à ce jour, je n'avais jamais eu le tour avec les enfants. Je ne savais pas quoi faire avec ça, comment leur parler, comment bien réagir à leur coeur d'enfant qui est encore naïf et, souvent, étonnant de sensibilité. Et de méchanceté.

Voilà que la «formation» pour les animateurs et animatrices débute. Je croise un ami qui fait ça depuis 3 ans. Il me dit que «je m'inquiète pour rien» et que je n'ai qu'à leur donner un ballon, dire «jouez» et voilà le travail. Ouin, pas sûr de ça, moi.

À la fin de la formation qui inclut bien sûr le RCR et l'utilisation des couleurs pour allumer l'imaginaire des jeunes, on m'attribue mon groupe : les 9-10 ans. Ah bon ! Ma première année et on me donne non seulement le groupe le plus nombreux, mais celui qui se situe entre l'enfance et l'adolescence et qui commence à avoir des sautes d'humeur.

Super.

Puis, le coordonnateur me prend à l'écart pour m'expliquer quelque chose.

«Alors Jérôme, faut que je t'explique que tu auras une animatrice spécialisée dans ton groupe». Okay, ça implique quoi? «Ben, c'est qu'il y a un jeune, William, qui demande une surveillance étroite. Et Julie, ici, s'occupera juste de lui». Ah bon? Il a quoi? Un handicap? «Oui et non. C'est un hyperactif chronique qui a des épisodes de violence et qui a beaucoup de difficulté avec l'autorité».

Je me tourne vers Julie. Elle doit mesurer 3'7" et faire 62 lbs toute mouillée. Elle a un petit visage d'ange et porte un chandail de paille pour chanter les tounes de camp de vacances que vous connaissez. Oui, j'suis parti à rire.

«Ça ct'un bon plan, boss», dis-je à mon coordonnateur. La catastrophe est aussi évidente qu'une fonte des glaciers de l'Antarctique et il réagit exactement comme un dirigeant d'État qui fait «Quoi? Je comprends pas. Jamais entendu parler de ça». Ben non, pour lui, ce n'était pas une évidence que lui attribuer une p'tite fille grosse «de même» et qui a une voix de 10db sous tout le monde, c'était l'échec assuré.

«Tout ira bien», me dis-je. Jusqu'à ce que je dise à mes collègues que c'est moi qui a William, dans son groupe. Les expérimentés partent à rire en me souhaitant bonne chance. «Il ne peut pas être si pire que ça», me rassurais-je.

En passant, «William», c'est un nom fictif. Mais si «William» tombe là-dessus, il saura très bien de quoi je parle.

Le premier jour officiel du camp de jour, maintenant. Tout le monde accueille son groupe. Les jeunes me scannent de la tête aux pieds comme si j'étais une bête à étudier. Ou plutôt, pour évaluer mon niveau de patience et la possibilité que je me fâche s'ils ne m'écoutent pas. Alors que les autres animateurs portaient de la couleur joyeuse pour faire joujou, je suis plutôt du style «casquette pour pas avoir de coups de soleil» et «pantalons courts bruns avec bottes de marche».

«William n'est pas là, on dirait», ai-je chuchoté à l'animatrice spécialisée. «On dirait pas». Bon, ben la première journée sera plus facile que prévu.

Oh! mais il était là. Au lieu, sur le terrain municipal, je vois un p'tit bonhomme blond, gros comme rien, perché dans un arbre d'environ 30 mètres. Au bas de l'arbre, une dame crie avec les bras dans les airs.

«William, descends de là! Tu ne joueras pas au PlayStation ce soir!» Oh!

Julie se dirige vers la dame qui crie, paniquée, en disant «bon, ça y est». Je commence à animer le groupe: Ben dis donc, ils sont gentils et gentilles! Je me rappelle du petit Louis-Philippe qui veut devenir ingénieur, de la p'tite Sabrina qui veut devenir docteur et qui dit «merci» et «s'il-vous-plaît» même si la situation ne s'y prête pas.

Julie revient vers nous après un combat de 45 minutes. Non, William n'est toujours pas avec elle. Mais pour une raison que j'ignore, elle a de la peinture dans'face.

«Euh...» fut ma réaction.

«Tu savais que ça existait, des pistolets paint-ball qui fitent dans une poche de pantalon? Ben le p'tit maudit le sait, lui».

Super.

«Okay. Va te nettoyer et revient, je vais essayer de lui parler».

Lorsqu'elle est revenue, je l'ai présenté au groupe et j'ai dit aux gamins de l'écouter. «Oui, Jérôme»!...Mais ils ont été drillés à quoi, ces gamins? Je me suis dirigé vers William.

«Hey, bonhomme! Comment t'as fait pour grimper là?»

«VA CHIER!», me répond-il avec de petits oiseaux qui gazouillent.

«J'viens d'y aller, merci. Mais dis donc, es-tu capable de me montrer comment grimper? J'aimerais ça, être aussi bon que toi».

La mère, paniquée, fait toujours des tours sur elle-même en déblatérant n'importe quoi. Mais je pique sa curiosité lorsqu'elle voit que William hésite à me répondre.

Le gamin me fixe. D'un air de «j'pense que t'es un autre genre de challenge, toi».

Alors il prend la sage décision de sauter en bas de l'arbre. Ah oui, ah oui. Et il est tombé sur ses pieds comme un chat. Ah oui, ah oui. J'ai eu le coeur qui a fait 8 tours. «J'pense que t'es un autre genre de challenge, toi», me suis-je dit en tentant de toutes mes capacités de cacher ma stupeur devant son saut.

Et il se met à courir dans une direction X en me regardant. Comme pour dire «attrape-moi si tu peux!».

«Bon, faut le rattraper, astheure! T'es content, là?!», me dit sa mère en me tutoyant comme le bras alors qu'elle ne m'a jamais vu auparavant. «Bah oui, il est descendu de l'arbre», que je lui réponds. Et elle me regarde avec des yeux qui disent «t'es un autre genre de challenge, toi».

«Y'é parti vers les nouveaux condos!», me crie un collègue d'un autre groupe qui m'envoie un autre sourire de «bonne chance» pour me niaiser. «Merci. T'en as un qui a eu un accident, par contre», lui dis-je en pointant la p'tite qui venait de faire pipi dans ses culottes.

Ce que ça implique, les nouveaux condos? Très simple: un développement anarchique de condos tous pareils avec des matériaux de construction qui traînent partout. À côté d'un terrain de jeux. Oui oui.

Et devinez quoi? Bien sûr que William a trouvé le 2X4 avec un clou dedans. Il se dit que c'est une bonne idée de me swinger ça à deux pouces d'la face, juste pour voir comme j'allais réagir.

«Tu vas pogner le totonosse!» me dit-il diaboliquement.

«Tétanos, William. Si tu veux me faire peur, fais-le en utilisant le bon mot».

Et c'est à ce moment que j'ai compris que William n'aime pas être contrarié. Et que je me suis mangé un clou rouillé dans le mollet.

Ayoye. Ostie, ayoye.

Mais il fait une erreur: il fait en sorte que ce 2X4 soit à portée de mains. Je lui vole des mains.

«Okay, William. Maintenant, c'est à mon tour».

Le jeune vire blanc comme un drap alors que je m'avance vers lui. Et...soudainement, il fait pipi dans ses culottes. De peur. Les larmes lui perlent sur le visage. Puis, j'ai eu le plus beau réflexe du monde.

«Tu as si peur que ça de me montrer à grimper dans un arbre?»

À partir de ce moment, William m'obéissait au doigt et à l'oeil. La mère n'en revenait pas. Et de facto, j'ai inversé mon rôle avec celui de Julie. Ah!, c'est sûr, la dose de cheval de ritalin qu'il ingérait chaque jour le rendait un peu mongol à l'occasion. Mais on a fini par s'entendre.

C'est alors que j'ai découvert un petit garçon sensible, doux comme un agneau, qui avait des buts dans la vie et des rêves. «Mais à cause de ma tête, personne ne veut me laisser faire. J'aimerais ça, moi, être une police. Y'a tellement de gens qui ont besoin d'aide et policier, j'pense que j'aiderais les gens. Han?»

À briser le coeur, d'entendre un p'tit jeune te dire ça. La seule réponse qu'on trouve, c'est «prouve-leur qu'ils ont tort». Et là, tu vois le petit cerveau mettre les engrenages un dans l'autre, hocher de la tête en y pensant, puis il te dit à quel point il trouve la p'tite blonde du groupe des 7-8 de son goût.

Ça fait 10 ans, de ça. J'ai su qu'il est maintenant policier et qu'il est marié. Et par-dessus tout, il est heureux.

D'ici quelques jours, donc, des milliers de jeunes s'occuperont des gamins du Québec. Pour la première fois dans de multiples occasions. Ils vivront tous et toutes des dizaines d'histoires comme celles-ci dont ils se souviendront toute leur vie. Si vous êtes un parent, de grâce, aidez-les à vous aider. Parce que non, les gamins ne sont pas toujours sages. Les nôtres compris.

Quant à vous, chers et chères jeunes qui auront l'immense responsabilité d'égayer l'été des gamins, n'oubliez pas qu'ils grandissent d'un pouce par jour (ou presque) et ont le cerveau qui fonctionne bien trop rapidement, à l'occasion. Patience et fermeté: vous êtes leur modèle.

Bon été!

PS : Après visite à la clinique, je n'ai pas pogné le «totonosse».

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Les enfants font la sieste n'importe où

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.