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Il était une Charte

Je rêve encore d'un Québec métissé et multicolore, sans complexe, fier et égalitaire pour tous et toutes. Mais il va sans dire qu'on a encore beaucoup de chemin à faire avant d'y arriver.
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Mon dernier billet se voulait une vision que j'ai du Québec idéal. Un genre de rêve, d'objectif à atteindre, en plusieurs points. J'ai fait ce billet dans le but de questionner la nécessité d'une charte de valeurs (québécoises ou non) pour y arriver, simplement parce qu'elle n'était pas encore divulguée et que je voulais éviter les ouï-dire.

Maintenant qu'on y est, je vais le dire franchement: cette Charte ne tient pas debout.

Premièrement, on est devant un gouvernement qui se veut souverainiste. Aux dernières nouvelles, en tous cas. Il est étrange de voir un gouvernement souverainiste avoir la gâchette facile sur une charte, mais pas tellement pour une constitution. Car oui, la laïcité de l'État, ça s'imbrique beaucoup mieux dans une constitution. Chose qu'on a toujours pas, au Québec, d'ailleurs. Une constitution, c'est ce qui fait office de fondations si on veut faire une analogie avec la construction d'une maison. Pour un gouvernement qui disait vouloir «mettre la maison en ordre» lors de son entrée à l'Assemblée nationale, spécial de le voir monter la charpente de celle-ci avant d'avoir coulé le béton.

Parlant de laïcité de l'État. On aurait espéré que ce gouvernement puisse faire la différence entre l'État lui-même et les employé(e)s qui y sont greffé(e)s. La commission Bouchard-Taylor avait pourtant tiré des conclusions claires: l'État est laïque, les individus sont libres. Personnellement, je me pose encore la question suivante: en quoi un employé de l'État arborant un symbole religieux est un danger pour la neutralité religieuse de l'État? Car justement, si l'État est laïque, ça veut dire qu'il ne se préoccupe pas de religion. Y compris (surtout) celle de ses employé(e)s. N'est-ce pas justement une magnifique preuve de laïcité étatique que de voir des musulmans, des juifs, des chrétiens, des athées, des bouddhistes et ainsi de suite travailler pour l'État tous ensemble?

Concernant le crucifix à l'Assemblée nationale, on parle simplement d'incohérence. Lâchez-moi le moignon historique pour expliquer sa présence: ça s'enseigne très bien dans un cours d'histoire, qu'on a été forgé en partie par la religion catholique. Et ça se conserve très bien dans un musée, un crucifix. De ce fait, le gouvernement vient d'annoncer qu'il bonifie les cours d'histoire. Alors?

Question lancée comme ça: est-ce qu'il est trop gros pour être porté à l'Assemblée nationale, ce crucifix? Oh!, je sais: c'est un coup de gueule. Mais soyons francs: c'est à la limite du cocasse, cette définition d'un gros et d'un petit symbole religieux. On va traîner un catho-galon à mesurer pour se donner bonne conscience, ou quoi? Et qui sera arbitre de tout ça?

Parlant d'arbitrage, est-ce que les contrats avec les employés de l'État seront redéfinis? Ou va-t-on congédier des employés de l'État sous prétexte qu'ils ne veulent pas retirer leurs symboles religieux? Les syndicats qui doivent appliquer les lois et les règles vont prendre le bord de l'État ou des employés qui cotisent pour être défendus?

Bref, la mise en place et l'application de cette charte risquent d'être bien difficiles, voire chaotiques. En plus d'être inutile.

Inutile dans la mesure où on a le pouvoir législatif pour établir des lois et des règlements clairs pour éviter les dérapages d'accommodements. C'est pourquoi j'aime bien la portion de cette charte qui établit clairement ce qu'est un accommodement raisonnable. On aurait pu, d'ailleurs, s'abstenir d'aller plus loin.

Tout le monde est bien d'accord sur la nécessité d'établir clairement l'égalité des hommes et des femmes dans notre société tout comme tout le monde est bien d'accord sur la nécessité de séparer la religion de l'État. Mais il n'y a pas ni besoin ni explication rationnelle pour le faire de manière hypocrite.

Et c'est ainsi que la danse xénophobe bat la mesure. Depuis 24h, les remarques anti-Islam pleuvent sur les réseaux sociaux, y compris ceux des élu(e)s eux-mêmes. Comme en fait foi ici une capture d'image de la page Facebook de la ministre de la Famille, Mme Nicole Léger.

Avions-nous vraiment besoin d'en arriver là?

Je rêve encore d'un Québec métissé et multicolore, sans complexe, fier et égalitaire pour tous et toutes. Mais il va sans dire qu'on a encore beaucoup de chemin à faire avant d'y arriver.

Souverainistes divisés

Ce qui risque de faire encore plus mal au PQ, c'est que cette charte produit l'effet inverse de celui qui était recherché. On voulait baliser les principes d'une société laïque, égalitaire pour les hommes et les femmes, plus inclusif, plus propice aux échanges entre les communautés.

Au lieu de cela, on voit les souverainistes divisés devant cette charte: les ouverts sur le monde et les nationalistes identitaires. Et au vu des échanges entre lesdits souverainistes, on peut parler d'une plaie ouverte. Pendant ce temps, les fédéralistes font front commun contre cette charte. Beau travail, cher PQ.

Comme si ce n'était pas suffisant, on voit le petit frère du PQ au fédéral expulser la seule qui a exprimé des réserves face au projet. Dommage pour M. Drainville qui se tue à l'ouvrage depuis 72 heures pour dire qu'il souhaite entendre la population sur la charte, mais la version fédérale de son parti ne l'aide pas du tout: on veut tellement vous entendre qu'on expulse les députés qui sont contre: voudriez-vous nous exprimer votre opinion aussi, cher bas canadien? Je sais que le PQ et le BQ sont deux entités différentes, mais vous savez comme moi que le lien est facile à faire.

En plus de raviver la flamme du jambonisme fléché...

Action-réaction: le Canada anglais rit du Québec et s'en donne à coeur joie. Encore. Les anglophones sont encore plus réfractaires au projet souverainiste. Encore. Les nouveaux arrivants se demandent s'ils sont les bienvenus au Québec. Encore.

Soyons honnêtes: c'est probablement ce que le PQ cherche. Quand cette charte sera caduque suite à un petit tour de Cour suprême, il pourra dire que le fédéral vient encore s'immiscer dans les affaires du Québec. Entre vous et moi, ce n'est pas très inspirant.

On peut toujours se dire que les nouveaux arrivants n'ont qu'à aller ailleurs si ça ne leur plaît pas. La France a essayé cette approche. On connaît les résultats.

Oh!, je l'admets: cette Charte est populaire dans la population. Probablement de manière suffisante pour éventuellement garantir une majorité au PQ. Mais pas une majorité référendaire. Ce qui est, aux dernières nouvelles, la raison d'être de ce parti.

Poussons la blague encore plus loin. 2012, vous vous rappelez? Voici ce que Bertrand Saint-Arnaud, actuel ministre de la Justice du gouvernement péquiste, disait à propos de la campagne publicitaire libérale de 866 000$ qui avait pour but de bien mousser la hausse des frais de scolarité dans l'inconscient collectif de la population:

«Ces publicités sont clairement de la propagande électorale payée à même les fonds publics à quelques mois d'une élection générale. Le gouvernement inonde les médias écrits, les postes de télé et de radio et on demande au gouvernement de révéler le coût total de cette orgie de publicité gouvernementale!»

Ce serait intéressant de savoir, en date d'aujourd'hui, ce que M. Saint-Arnaud pense de la campagne de publicité de 1,9M$ du gouvernement péquiste pour mousser l'importance d'une Charte bâclée. Comme quoi plus ça change...

Espérons que le gouvernement saura mieux présenter ses projets futurs tels que l'électrification des transports et la souveraineté alimentaire. Ironiquement, c'est peut-être sur Daniel Breton que reposent les espoirs du PQ aux prochaines élections...

Et dire qu'en ce moment, des gens de toutes confessions, de toutes les origines et de toutes sphères publiques et politiques se mobilisent en Catalogne pour former d'immenses chaînes humaines afin d'exiger l'indépendance catalane face à l'Espagne. Et dire qu'en ce moment, l'Écosse fait une campagne référendaire pour son indépendance sur la thématique «nous ne quittons pas le Royaume-Uni, nous nous joignons au monde».

Pendant ce temps, Enbridge, Pétrolia et le projet TransCanada dessinent leurs avenirs en douce sans qu'on y prête attention.

Eh ben.

J'en suis pratiquement à m'excuser à mes amis et ma famille d'avoir milité pour le Parti québécois à la dernière élection générale.

Si on a les gouvernements qu'on mérite, voulez-vous bien me dire ce qu'on a fait pour mériter les deux derniers?

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