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Sécurité routière: les pays les plus pauvres en première ligne

Si nous ne faisons pas davantage dans ce domaine, l'OMS prévoit qu'en 2030, à l'échelle mondiale, plus de personnes mourront dans un accident de la route qu'à cause du sida ou du cancer.
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Décembre 2008. Je suis dans un tuk-tuk sur la route des temples d'Angkor, près de Siem Reap au Cambodge. Derrière moi, mon regard croise un sourire, puis deux, puis cinq! Une famille entière est juchée sur le scooter qui me suit. Sur les cinq, seule la mère porte un casque.

Mars 2015. Toujours au Cambodge. La petite Kanhara, 8 ans, est assise sur son lit. Elle arbore un joli sourire plein de malice. À un pied sur sa droite repose sa prothèse de jambe. Il lui manque aussi le bras droit. Elle a trois ans lorsque son destin bascule. Fauchée par un camion lors d'une fête de famille, la petite fille a dû être amputée. Elle a seulement été découverte par un agent communautaire de Handicap International fin 2014 et a reçu sa première prothèse en février 2015.

Octobre 2015. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de publier la mise à jour de son rapport sur la sécurité routière. Les chiffres sont difficiles à obtenir, ils datent de 2013, mais pour autant on y découvre que près de 1,25 million de personnes meurent chaque année sur les routes. De 20 à 50 millions d'individus - on mesure bien avec cette fourchette la difficulté d'obtenir des données précises - sont blessés et nécessitent, dans le cas de plusieurs, des soins de réadaptation. 90 % de ces accidents surviennent dans les pays les plus pauvres.

Pour Handicap International, qui intervient justement dans ces pays en développement, lutter contre l'insécurité routière n'est pas une option: c'est un enjeu de santé publique. C'est en effet la cause principale de décès chez les moins de 30 ans et, en touchant principalement les hommes (3 hommes pour 1 femme), les accidents de la route affectent plus violemment encore les sociétés du sud, avec un coût estimé (de santé, de soins de réadaptation, de perte de revenus) de plus de 100 milliards de dollars US (500 milliards pour le monde entier). On estime aussi que 500 enfants perdent la vie chaque jour sur le bord d'une route. Enfin, en termes de handicap permanent des suites de l'accident, les chiffres officiels sont encore rares, mais ceux connus varient entre 4 % au Pérou, 16 % au Cambodge comme au Canada, et jusqu'à 60 % au Guatemala!

Tous ceux qui ont voyagé dans un pays en développement mesurent l'ampleur du fléau: essayez de traverser une rue au centre-ville d'Hanoï, au Vietnam! Même les guides touristiques vous le diront: «Lancez-vous, le trafic s'arrêtera»... Ou bien encore sur ces routes improbables où les enfants qui vont à l'école se font doubler par des charrettes tirées par des ânes, elles-mêmes doublées par des motocyclistes sans casque, eux-mêmes doublés par des camions trop pressés, le tout sur une route bordée de fragiles boutiques et d'animaux de ferme...

Pourtant, les accidents de la route ne sont pas une fatalité, contrairement à certaines maladies, aux conflits ou aux catastrophes naturelles. De nombreuses victimes pourraient être évitées. C'est l'engagement de la Décennie d'action pour la sécurité routière, décrétée par les Nations unies en 2011, qui vise à faire réduire de 50 % le nombre d'accidents d'ici 2020. Une promesse renouvelée récemment au sein des 17 Objectifs de développement durable auxquels se sont engagés les chefs d'État.

L'un des premiers enjeux de la sécurité routière, c'est la collecte d'informations, systématique, sur les accidents et les comportements à risques. Ces données doivent être partagées avec l'ensemble des acteurs concernés - hôpitaux, services de police, écoles, associations - afin de développer des actions coordonnées de réponse à la menace.

Vient ensuite un travail sur la sécurité des routes et des infrastructures. À Bogotá, en Colombie, bon nombre d'axes routiers sont traversés par des passerelles disposant de rampes d'accès qui permettent aux cyclistes, aux personnes à mobilité réduite, aux parents avec des poussettes de traverser en toute sécurité. Cela peut paraître évident, mais combien de ces passerelles, y compris dans nos pays dits développés, restent inaccessibles et engendrent une prise de risque inutile sur les routes?

Un autre axe d'intervention, sur lequel les ONG comme Handicap International ont moins d'influence, consiste à travailler avec les fabricants de véhicules pour garantir un niveau standard de sécurité à bord: comment pouvons-nous trouver normal que nos voitures disposent des dernières innovations en termes de sécurité embarquée et ne pas s'étonner que celles des pays du sud ne disposent pas de systèmes identiques? Ou de systèmes défaillants?

Quatrième pilier de cette lutte contre l'insécurité routière, l'éducation. «Apprendre jeune, c'est vivre vieux», ça sonne un peu remède de grand-mère, mais pourtant toutes nos actions démontrent la diminution immédiate des accidents dans les semaines et mois qui suivent des séances de formation, dans les écoles, aux abords des rassemblements populaires, dans les villages isolés, au bord des routes.

Enfin, le dernier axe pour limiter les conséquences des accidents de la route consiste à renforcer la prise en charge immédiate et adéquate des blessés après le choc, afin de limiter au maximum les séquelles invalidantes dues à de mauvais gestes ou à une intervention tardive. Dans un second temps, les services de réadaptation fonctionnelle des pays concernés doivent être soutenus - voir créés dans certains cas - afin de pouvoir prendre en charge les victimes de la route et éviter qu'une blessure ne se transforme en handicap permanent. Pour les autres, comme la petite Kanhara au Cambodge, il est nécessaire de fournir les appareillages et l'accompagnement qui leur permettront de reprendre le cours normal de leurs vies.

Actuellement, Handicap International met en œuvre des projets de sécurité routière dans une dizaine de pays et projette d'en développer de nouveaux dans une quinzaine d'autres.

Mécanismes de financements durables pour supporter les coûts de prévention et de prise en charge des blessés, coordination et appui des organisations locales pour renforcer la collecte de données et la définition de lois plus sécuritaires, défense des droits des victimes, éducation et sensibilisation, soins de réadaptation et réinsertion socio-économique, les accidents de la route sont la pointe d'un iceberg qui fait peser une lourde menace sur des pays dont le développement passe aussi, et justement, par le développement du trafic routier.

Si nous ne faisons pas davantage dans ce domaine, l'OMS prévoit qu'en 2030, à l'échelle mondiale, plus de personnes décéderont à cause des accidents de la route qu'à cause du sida ou du cancer. Et combien alors resteront handicapées?

- Retrouvez cette chronique dans l'émission Accès Libre sur Canal M.

- Découvrez l'intégralité du rapport de l'OMS.

- En savoir plus sur Handicap International.

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