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Bienvenue dans le monde de la pornoculture

Le porno n'est pas seulement le fruit d'un système économique jugé vicieux et malsain, il est aussi le produit d'une ambiance impudique qui structure la manière de nous représenter le monde.
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Plusieurs féministes perçoivent la pornographie comme un phénomène néfaste orchestré par les grands acteurs de l'industrie capitaliste. Selon elles, la pornographie vise d'abord à engendrer des profits, mais conduit ensuite à l'hypersexualisation des jeunes filles et à la perpétuation de comportements misogynes. Ce sont effectivement des dommages collatéraux que nous devons prendre très au sérieux.

Toutefois, sans nier ces problématiques, les sociologues de l'imaginaire Claudia Attimonelli et Vincenzo Susca poussent l'analyse beaucoup plus loin. Dans un livre intitulé Pornoculture publié récemment aux éditions Liber, les deux complices décortiquent les manifestations d'un phénomène qu'ils décrivent, d'entrée de jeu, comme un véritable «axe symbolique» du monde actuel. Car la démarche d'Attimonelli et Susca est loin d'être moraliste. En s'appuyant notamment sur l'œuvre de Michel Maffesoli et celle de Georges Bataille, les auteurs témoignent d'une maitrise exceptionnelle de leur discipline dans cet ouvrage traduit de l'italien.

Le porno n'est pas seulement le fruit d'un système économique jugé vicieux et malsain, il est aussi le produit d'une ambiance impudique qui structure la manière de nous représenter le monde.

Selon Attimonelli et Susca, «le porno triomphe et prolifère de partout, des mailles du réseau aux contextes urbains, des écrans médiatiques aux interstices du quotidien». Le porno n'est pas seulement le fruit d'un système économique jugé vicieux et malsain, il est aussi le produit d'une ambiance impudique qui structure la manière de nous représenter le monde.

La pornographie se fait gourmandise, appétit et frugalité dans un monde ayant récemment frôlé l'apocalypse atomique. Ainsi la pornoculture serait un remède contre la culpabilité de l'Homme blanc. Le «voyage au bout de la chair» auquel nous sommes conviés nous oblige à prendre acte de cette nouvelle sensibilité populaire fondée sur l'exaltation des sens et des plaisirs.

Plus encore, la pornographie réhabiliterait des pratiques que les trois grandes religions monothéistes avaient tenté de supprimer au nom d'un Dieu jaloux. Les publicités à caractère érotique placardées sur les murs de la ville participent de ce nouveau «paradigme esthétique» ayant pour effet de rompre avec des centaines d'années de puritanisme. Pour nos deux auteurs, le porno comporte même quelque chose de «carnavalesque», dans la mesure où il incarne la permanence du spectacle. Le porno serait rabelaisien: il fonctionne comme une immense machine distributrice de friandises que tout le monde peut utiliser à volonté.

L'utilisation des nouveaux appareils technologiques contribue également à la lubrification d'un imaginaire occidental ayant abandonné des siècles de refoulement sexuel judéo-chrétien au profit de la redécouverte d'un imaginaire païen ouvert aux débordements festifs. La pornographie rendrait hommage aux bacchanales de l'Antiquité en même temps qu'elle célébrerait la fluidité de la vie. C'est le retour de Sodome et Gomorrhe.

L'originalité de ce livre est donc de montrer que la pornographie ne peut être seulement réduite à quelques sites internet maudits que personne n'ose avouer consulter. Par exemple, la tendance exhibitionniste dont font preuve des millions de personnes sur les réseaux sociaux ne peut totalement se comprendre sans la prise en considération de la pornoculture. Quand le sage désigne la lune, l'imbécile regarde le doigt. Sur le web, en particulier, mais aussi dans la publicité et l'art, la ligne de démarcation entre l'érotique et le non érotique serait de moins en moins visible.

Ce livre de Claudia Attimonelli et Vincenzo Susca est incontournable. Loin d'aborder le sujet sous un angle auquel nous sommes trop habitués, il regorge de réflexions intéressantes en plus d'être écrit dans un style majestueux.

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