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L'appropriation culturelle, une idée d'extrême droite

Le concept refuse non seulement le métissage dans ce qu'il a de plus universel, mais il représente également la totale négation des passerelles interculturelles censées régir la vie en société en ce début de XXIe siècle.
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En novembre 2015, des cours de yoga offerts aux personnes handicapées étaient annulés à l'Université d'Ottawa après que la Fédération étudiante de la même institution (FÉUO) ait décidé de condamner «l'appropriation culturelle» derrière l'organisation.

Selon certains, les participants se seraient adonnés au «pillage» de pratiques religieuses ancestrales s'ils avaient pris part à cette activité. La question qui préoccupait la fédération était évidemment la suivante: la pratique du yoga ne devait-elle pas rester pure, totalement imperméable à l'Occident désenchanteur? Ces méchants Occidentaux méritaient-ils vraiment de participer au redressement spirituel de la société?

En juillet 2015, le festival de musique montréalais Osheaga anticipait cette manœuvre idéologique en interdisant sur son site le port de la «coiffe de guerre autochtone». Pour les tenants du concept en vogue de cultural appropriation, l'exhibition de cette coiffure ornée d'une variété de plumes irait non seulement à l'encontre d'un vivre-ensemble respectueux, mais elle serait foncièrement injuste envers les Premières Nations en retirant de leur «environnement originel» une de leurs traditions séculaires.

Autrement dit, le port d'une coiffe «indigène» dans un concert rock aurait pour effet de vider la pratique en question de toute substance, de toute sacralité. Il faudrait que tous les peuples consentent à leur écologie, en particulier les peuples «authentiques» qui incarnent une certaine résistance face à la mondialisation.

«En suivant cette logique, peut-être faudrait-il rendre aux Arabes leurs chiffres et leur reprendre nos technologies?»

Jusqu'à récemment, je n'aurais jamais pensé que nous replongerions dans ce genre de délire romantique. Du point de vue de l'histoire des idées, il apparait évident que le concept d'appropriation culturelle comporte une affinité avec les théories différentialistes héritées de l'extrême droite. Le concept refuse non seulement le métissage dans ce qu'il a de plus universel, mais il représente également la totale négation des passerelles interculturelles censées régir la vie en société en ce début de XXIe siècle. En fait, le concept réhabilite le tribalisme au cœur des démocraties: il s'agit de la radicalisation du multiculturalisme.

Dans sa forme, le concept a beau renvoyer à un rapport entre dominants et dominés qui rappelle le marxisme et son prolétariat (l'Occident colonialiste vs l'Opprimé), dans son contenu, l'appropriation culturelle encourage les coutumes endogames et la préservation d'identités mythifiées sans aucun rapport avec la justice sociale. Nous parlons souvent de «vivre-ensemble», mais il est nécessaire de commencer à parler de «vivre-séparé».

Il faut vraiment être aveugle pour ne pas constater que rien n'est moins progressiste que ce rejet des contacts naturels entre civilisations qui ont permis à l'humanité d'avancer. En suivant cette logique, peut-être faudrait-il rendre aux Arabes leurs chiffres et leur reprendre nos technologies? Comment accepter une notion aussi ségrégative et rétrograde?

Nous savons que la contre-culture des années 1970 a ouvertement prôné un retour de la pensée primitive pour contrer les effets dévastateurs du capitalisme. Hippies, écologistes radicaux, altermondialistes, nudistes et adeptes des mélodies psychédéliques se sont réunis afin de trouver un remède à la destruction de la planète. La solution de rechange au modèle occidental s'est imposée d'elle-même: il s'agissait tout simplement de l'Autre.

Mais qui aurait pu prévoir que l'institutionnalisation progressive de ce contre-courant parviendrait finalement à faire de l'apartheid un progrès social tandis que les penseurs occidentaux attachés à la laïcité seraient quotidiennement qualifiés de «réactionnaires»? Jusqu'où ira-t-on dans ce renversement inédit du clivage gauche-droite?

Le concept d'appropriation culturelle refuse l'intégration des cultures non occidentales aux sociétés modernes. Car il faut bien mesurer l'impact d'un tel discours sur la société: le concept de cultural appropriation propose de nous tenir à l'écart des identités «pures» préservées des pesticides idéologiques de nos ancêtres européens.

Pour procéder à la guérison du monde, il faudrait donc éviter tout mélange en favorisant l'établissement de zones culturelles fermées sur elles-mêmes, bref en tolérant la création de ghettos. Autant faire du Canada, avec Justin Trudeau, un grand zoo humanitaire où toutes les espèces en voie d'extinction pourraient rester à l'abri de la contamination.

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Mai 2017

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