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À toi, l’éducatrice à bout de souffle

Moi, je te dis juste de ne pas lâcher. De continuer à prendre soin de toi et de t’interroger sur ce que tu veux et ce que cette vocation peut encore t’apporter.
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Des enfants qui ont besoin de toi, il y en aura toujours. Et si ce n’est plus toi, ce sera une autre qui le fera. Avec des brillants et des collants. Les siens, et ceux que tu lui auras laissés dans ton armoire.
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Des enfants qui ont besoin de toi, il y en aura toujours. Et si ce n’est plus toi, ce sera une autre qui le fera. Avec des brillants et des collants. Les siens, et ceux que tu lui auras laissés dans ton armoire.

Au tout début, tu arrivais au travail la tête remplie d'idées, une place immense dans ton cœur pour y caser l'amour de 8, 10, 16 enfants, des cartables remplis de chansons, de matériel éducatif et de collants multicolores. Prête à conquérir les parents et les petits chérubins qui composeraient ton quotidien.

Tu ne rechignais pas devant l'ampleur de la tâche qui t'attendait tous les jours, des étoiles brillaient dans tes yeux après l'exécution du bricolage que tu avais si bien planifié après avoir épluché Éducatout, le seul site disponible pour t'aider dans ta créativité avant l'arrivée de Pinterest.

Tu ne t'en faisais pas avec ton petit rhume qui s'étirait sur quelques jours, après tout, tu n'as pas vraiment été malade depuis tes 12 ans. La première gastro que tu as attrapée après avoir ramassé du vomi ne suffisait pas à te décourager dans ton choix de carrière. Ce n'est pas plaisant, certes, mais on n'en meure pas, tu te disais. Ce n'est qu'un léger désavantage.

Tu l'entourais d'amour et lui procurais du réconfort, convaincue d'avoir des pouvoirs magiques pour effacer son petit chagrin et les effets néfastes d'une nuit écourtée. Des fois, ça marchait. Pour vrai.

Tu ne te sentais pas mal si un enfant arrivait avec sa doudou sous le bras, le regard un peu fiévreux et les joues rouges. Tu croyais la maman qui te disait qu'il faisait simplement des dents et que la nuit avait été difficile. Tu l'entourais d'amour et lui procurais du réconfort, convaincue d'avoir les pouvoirs magiques nécessaires pour effacer son petit chagrin matinal et les effets néfastes d'une nuit écourtée. Des fois, ça marchait. Pour vrai.

Tu ne t'en faisais pas trop à propos de ton salaire. Après tout, c'est quand même mieux que le salaire minimum et tu as tes soirées et tes fins de semaine de libres. Tu faisais même partie des chanceuses qui ont un fonds de pension, un privilège encore refusé à certaines éducatrices et à de nombreux milieux de travail. Tu avais même une assurance. Pas celle des travailleurs de la construction, mais tout de même. Ça paraissait bien de dire que tu as des assurances et un fonds de pension. Pour plusieurs, ça veut dire que tu as une bonne job.

Maintenant, c'est plus difficile pour toi.

Ton cœur est encore grand. Il le faut pour arriver à y caser les nombreux enfants dont tu as la responsabilité chaque jour. Tu t'émerveilles encore devant leurs progrès. Parce que tu sais que tu y es pour quelque chose. Et ça, c'est toujours aussi gratifiant malgré les années qui passent. Tu es juste un peu moins motivée à gagner une place dans leur cœur. Même si tu sais que tu passes avec eux plus de temps que leurs propres parents et qu'inévitablement, ils feront une place pour toi dans leur petit cœur.

Tu ne les aimes pas moins, tu prends juste moins de temps pour en prendre conscience.

Mais tu arrives un peu moins préparée. Tu aimes encore beaucoup Noël, mais après plusieurs années à bricoler des sapins et des guirlandes, tu commences à trouver ça redondant d'en refaire année après année, même si Pinterest t'aide à démontrer que t'es encore une éducatrice créative et remplie d'idées. Les parents n'y voient que du feu. Leurs enfants ont manipulé de la colle et des ciseaux. Ils sont contents. Ils ne savent pas qu'avant, tu aurais ajouté des brillants. Et que cette fois-ci, ça se peut que tu n'aies même pas pensé à les sortir de l'armoire. Tout comme les collants.

Tu le repères assez facilement, celui qui a eu du Tylenol avant d'arriver dans le but de camoufler la petite fièvre qui menace la journée du parent qui doit absolument aller travailler.

Tu sais maintenant que des yeux qui coulent facilement, qu'un enfant qui se colle plus qu'à l'habitude et qui ne mange pas, cache plus qu'un problème de dents. Tu le repères assez facilement, celui qui a eu du Tylenol avant d'arriver dans le but de camoufler la petite fièvre qui menace la journée du parent qui doit absolument aller travailler. Tu le repères vite parce que tu sais qu'en fin de la semaine, c'est toi qui devras faire des provisions de mouchoirs et passer ta fin de semaine au lit.

Tu ne crois plus le parent qui t'a dit qu'il a eu une indigestion parce qu'il a vomi JUSTE UNE FOIS. Je les comprends d'être optimistes, je voudrais l'être si l'ombre d'un nuage de gastro se pointait chez moi. Moi aussi, j'aimerais ça penser que c'est juste passager et que les arcs-en-ciel ont juste pris un break. Mais c'est rarement le cas. Je vais sûrement devoir le rappeler dans quelques heures pour lui dire que mes prévisions étaient exactes. Mais je les comprends d'avoir voulu s'essayer. Ou plutôt je les comprenais au début. Rendue à la 5 gastro attrapée en moins de 5 ans, j'ai cessé d'être compréhensive. Surtout quand je me suis rendu compte que ce n'est pas juste un parent qui s'essaie.

Il y en a beaucoup plus.

Ton salaire n'a pas beaucoup augmenté. C'est normal, le gouvernement pense encore que tu te contentes de garder des enfants.

Ton salaire n'a pas beaucoup augmenté. C'est normal, le gouvernement pense encore que tu te contentes de garder des enfants. Que l'éducation n'est pas une priorité, sauf en période électorale. Tu as beau gagner plus que certains, quand tu lis que tu pourrais faire le même salaire en travaillant la moitié moins d'heures en vendant du vin, c'est un peu fâchant. Mais bon, je sais qu'il ne faut pas se comparer avec eux. Ils travaillent les jours fériés, eux.

Il y a des jours où tu te demandes si tu ne devrais pas trouver quelque chose les fins de semaine pour arrondir tes fins de mois, te gâter plus ou te prendre des REER.

Tu reçois tes papiers de régime de retraite avec un peu moins de reconnaissance quand tu réalises que ta retraite est encore très loin et que tu te demandes si tes économies seront suffisantes par rapport à l'augmentation du coût de la vie. Il y a des jours où tu te demandes si tu ne devrais pas trouver quelque chose les fins de semaine pour arrondir tes fins de mois, te gâter plus ou te prendre des REER. Mais quand tu penses à tes vendredis où tu arrives brûlée, grippée ou avec la gastro, tu te demandes si c'est vraiment la solution.

C'est certain qu'il y en aura pour te dire que tu n'as qu'à changer de job si tu n'es pas contente. D'autres te donneront une petite tape dans le dos et te diront que ton travail est essentiel à l'avenir de nos enfants et qu'ils admirent tout ce que tu fais pour exceller dans ton travail. Certains te diront qu'il n'est pas trop tard pour changer de vie et que toute l'expérience acquise pourrait être bénéfique dans un autre domaine si jamais tu décides de partir.

Moi, je te dis juste de ne pas lâcher. De continuer à prendre soin de toi et de t'interroger réellement sur ce que tu veux et ce que cette vocation (oui, éducatrice, c'est une vocation) peut encore t'apporter.

Prends ton temps.

Des enfants qui ont besoin de toi, il y en aura toujours. Et si ce n'est plus toi, ce sera une autre qui le fera. Avec des brillants et des collants. Les siens, et ceux que tu lui auras laissés dans ton armoire.

Ce texte a été publié originalement sur le blogue Folie Urbaine.

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