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Conseil aux médias et musulmans: ne nourrissez pas les trolls!

Le crétin qui a réalisé les tueries en Egypte et en Libye est l'exacte définition du troll : il l'a faite pour provoquer la réaction qu'il était certain d'obtenir. C'est ce que font les trolls. Ceux qui ont réagi étaient aussi des trolls, mais bien sûr, en pire. Ils auraient exploité n'importe quelle excuse - un film kitsch, clairement faux, que personne n'a vu - pour exciter leur bande de fanatiques à la violence. Les médias qui ont couvert ces trolls - ceux qui mettent l'hameçon et ceux qui le cherchent - sont dupes eux-mêmes, poursuivant un cycle qui va accélérer de plus en plus vite, jusqu'à ce que quelqu'un dise : "Stop. Arrêtez de nourrir les trolls."
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Le crétin qui a réalisé cette vidéo, ayant soi-disant déclenché les émeutes et les tueries en Egypte et en Libye, est l'exacte définition du troll : il l'a faite pour provoquer la réaction qu'il était certain d'obtenir. C'est ce que font les trolls.

Ceux qui ont réagi étaient aussi des trolls, mais bien sûr, en pire. Ils auraient exploité n'importe quelle excuse - un film kitsch, clairement faux, que personne n'a vu - pour exciter leur bande de fanatiques à la violence.

Les médias qui ont couvert ces trolls - ceux qui mettent l'hameçon et ceux qui le cherchent - sont dupes eux-mêmes, poursuivant un cycle qui va accélérer de plus en plus vite, jusqu'à ce que quelqu'un dise : "Stop. Arrêtez de nourrir les trolls."

Nous avons tous appris ça on-line, n'est-ce pas ? Oh, parfois je dois réapprendre cette leçon, quand un de mes trolls balance un objet brillant sous mon nez et que j'aboie. Je viens d'enlever son bol de nourriture à un troll : pas de réaction pour toi. Car s'il y a une règle à retenir, une bonne, c'est que personne ne devrait jamais nourrir les trolls. Ils ne feront que le recracher sur vous. Les priver de l'attention dont ils ont ce besoin maladif et de la peine dont ils ont si soif est la seule réponse.

Malgré tout, il reste impossible de contrôler les trolls. Certains pensent pourtant qu'on peut encore les arrêter. Un journal australien a ainsi commencé une campagne "Arrêtons les trolls", pour amener ces vauriens à la justice et au silence. Bonne chance à lui ! En un sens, les émeutiers et les assassins en Libye, en Egypte, et maintenant d'ailleurs, réclament que quelqu'un arrête les trolls qui les ont eux-mêmes provoqués.

Mais bien sûr, il n'y a pas moyen de les stopper. Moi-même je ne le souhaite pas. Je suis pour la liberté d'expression, qui doit aussi protéger les mauvais discours, voire les nocifs.

Zeynep Tufecki, brillante observatrice de ce qui ce passe dans les médias, digitaux et sociaux, a averti sur Twitter qu'il fallait saisir la différence de taille concernant la réception des discours, selon qu'on soit à tel ou tel endroit du monde. "Oubliez le Moyen-Orient. Dans la majeure partie de l'Europe, vous ne pourriez convaincre personne de protéger tous les discours. C'est spécifiquement américain", a-t-elle tweeté le 12 septembre. "Dans la plupart des lieux, y compris l'Europe, tout discours incitant à la haine - quelle que soit sa définition - est régulé, traduisible en justice. Donc, les gens pensent que pas poursuivi = encouragé. La liberté de parole à l'américaine est difficile à comprendre pour beaucoup. Ajoutez y des 'médias citoyens' et ça devient franchement désordre. Alors les assassins exploitent ce flou". Autant d'excellents points et de perspectives importantes dans la situation présente.

L'Internet est fait pour l'expression conçue à l'américaine : chacun a droit à la parole, il est difficile, voire impossible de les arrêter et les messages qui sont véhiculés ont vocation à circuler partout. L'Internet "est" le Premier Amendement. On peut toujours discuter de savoir si Internet est la bonne architecture pour ça - en tant qu'absolutiste de la liberté d'expression, je pense que oui -, mais cela ne changerait rien au fait qu'on va entendre de plus en plus de discours, des choses brillantes comme des horreurs. Il n'y a pas moyen de l'arrêter. En fait, je veux le protéger.

On devrait donc plutôt s'intéresser à la façon d'adapter la société à cette nouvelle réalité. On l'a déjà fait. En témoigne cet article de Public parts à propos de l'arrivée de l'imprimerie :

"L'ouverture d'esprit qui a accueilli les premiers pas de l'imprimerie autrefois aurait aussi pu prendre un mauvais tournant. Les élites se sont vite inquiétées du pouvoir des mots imprimés et de leur impuissance à les contrôler. Comme se plaignait le théologien catholique Erasme : "Quel coin du monde échappe à ces nuées de nouveaux livres ? La plupart d'entre eux font mal à l'érudition parce qu'ils créent une saturation, et même pour les bonnes choses, l'excès a un effet négatif." Selon [Elisabeth] Eisenstein, il avait peur que l'esprit des hommes, "inconstant et curieux de tout ce qui est nouveau", ne soit ainsi distrait "de l'étude des anciens auteurs". Après la Guerre civile anglaise, Richard Atkyns, un critique précoce de l'imprimerie, a exprimé son envie de revenir à l'époque du contrôle royal sur la presse. Les imprimeurs, se lamentait-il, "ont inondé le royaume de tant de livres, et les cerveaux des gens de tant d'idées contraires, que ces boulettes de papiers deviennent aussi dangereuses que des balles". Au début de l'ère moderne, quelques "humanistes ont réclamé un système de censure, jamais appliqué, pour garantir que seules les publications de haute qualité soient imprimées", explique Ann Blair dans son livre Agent of change. Souvent aujourd'hui, j'entends des éditeurs, des rédacteurs, des universitaires évoquer leur envie de trouver un moyen d'assurer une qualité standard des contenus Internet, comme ci ce dernier était un moyen d'expression identique aux leurs, plutôt qu'un espace public pour des discussions ouvertes."

Il y a donc un désir de "contrôler" les discussions, de les "civiliser", de les "nettoyer". Que Dieu nous garde ! Je ne veux personne pour nettoyer ma bouche. Je ne veux pas qu'on vienne me dire ce que je ne peux pas dire. Je ne veux pas d'une société qui réduit au silence toute chose qui pourrait offenser quelqu'un.

Je comprends que Google décide d'enlever cette vidéo de YouTube en Libye et en Egypte, vu la manière dont elle a été utilisée, ce tout en argumentant qu'elle correspondait aux standards de YouTube et qu'elle restera visible partout ailleurs. Mais YouTube crée alors un dangereux précédent qui portera des gens à attendre que le site nettoie sa plateforme d'autres discours négatifs. YouTube est dans une meilleure position en Afghanistan, où le gouvernement a bloqué tout ce qui vient du site - puisque alors c'est le gouvernement qui censure et que c'est donc à lui d'en répondre à sa population.

Mais en aucun cas bloquer cette vidéo n'est une meilleure réponse que créer des émeutes et commettre des assassinats en son nom. Cela poussera seulement les trolls à faire encore plus de discours négatifs, et cela poussera à tour de rôle les trolls de l'autre bord de les exploiter.

La seule réponse est d'apprendre à gérer ces discours et à les estimer assez pour comprendre que des discours positifs seront forcément accompagnés de négatifs. On doit seulement apprendre à les ignorer. On doit comprendre que n'importe quel être humain censé sait reconnaître un discours mauvais. On n'a pas besoin de nounous pour nous le dire. On n'a pas besoin de censeurs. Et encore moins de fanatiques qui combattent au nom de ces discours. On a besoin du respect d'autrui, qu'il nous croit capables, hommes et femmes civilisés, de faire la différence. On doit grandir.

Les images compilées par nos collègues du HuffPost américain:

Attack On U.S. Compound In Benghazi

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