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Métier: acteur de jeu vidéo

Première des spécificités de ce métier d'acteur du jeu vidéo: capturer avec une grande précision la performance de l'acteur, pour l'implanter dans un personnage qui ne lui ressemble pas.
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Hollywood a pour habitude de développer le marketing de ses films sur le nom des acteurs. Les fameuses stars, Tom Cruise, Angelina Jolie ou Brad Pitt, font ou défont encore aujourd'hui les succès du box-office. Pour les majors du cinéma, il serait aujourd'hui impensable de lancer un film à plus de 100 millions de dollars de budget sans tête d'affiche. À l'inverse, dans le jeu vidéo, le nom des acteurs des blockbusters du marché est non seulement totalement inconnu du grand public, mais celui-ci ignore même souvent que les jeux sont fabriqués sur la performance d'acteurs qui n'ont rien à envier en termes de talent aux vedettes de cinéma.

Pour cette raison, il faut saluer l'initiative de Sony visant, pour la promotion de la version rematricée du jeu The Last of Us à faire venir à Paris ses deux acteurs principaux: Troy Baker et Ashley Johnson. L'idée est excellente, car ce titre développé par le studio Naughty Dog, devenu le plus primé de l'histoire du jeu vidéo, doit son succès et sa réussite à la performance magistrale des deux comédiens.

Le premier, Troy Baker (Joel dans le jeu), a commencé sa carrière dans le doublage de films d'animation avant de devenir l'un des plus grands noms du jeu vidéo. On le retrouve au casting de Call of Duty: Advanced Warfare, Metal Gear Solid V, Batman Arkham Origins, Saints Row 4, Bioshock Infinite, Resident Evil 6, The Walking Dead, Darksiders II, Final Fantasy XIII... La liste est longue, mais pas exhaustive, il faut quand même citer le jeu Infamous: Second Son qui a la spécificité d'être le seul dont l'acteur a la même tête que son personnage.

La seconde, Ashley Johnson, est plutôt novice dans le jeu vidéo. Elle doit sa notoriété à son rôle - enfant - dans la série télévisée Quoi de neuf Docteur, emblématique du début des années 1990. Elle a ensuite joué dans d'autres séries, et des films comme La Couleur des Sentiments ou Avengers. L'actrice âgée de 31 ans incarne dans The Last of Us, le personnage d'Ellie, une adolescente de 14 ans.

Voici la première des spécificités de ce métier d'acteur du jeu vidéo: grâce à la technologie, il est désormais possible de capturer avec une grande précision la performance de l'acteur, pour l'implanter dans un personnage qui ne lui ressemble pas. Le travail pourrait être comparé à celui d'Andy Serkis, acteur de cinéma devenu célèbre pour avoir créé le personnage de Gollum dans la trilogie Le Seigneur des Anneaux. Les mouvements de ce personnage en images de synthèse, et même son regard, étaient ceux de l'acteur reproduits fidèlement.

Mais comme le rappelle Ashley Johnson en interview, elle qui a l'expérience d'un film truffé d'effets numériques avec Avengers, la technologie n'est pas la même. La motion capture (souvent utilisée dans le cinéma) permet de disposer des capteurs sur le corps de l'acteur pour pouvoir reproduire son mouvement dans l'espace et dans un cadre défini. Le décor est construit pour partie, des écrans bleus ou verts se substituant aux décors numériques qui seront ajoutés en postproduction. La performance capture, utilisée pour The Last of Us va encore plus loin: grâce à des capteurs sur le visage, il devient non seulement possible de capturer le jeu et l'émotion de l'acteur, mais sur le tournage il n'y a même plus de décor puisque l'intégralité de l'image finale sera composée numériquement. Des dizaines de caméras sont placées autour des acteurs, et c'est après le tournage que le réalisateur pourra définir le cadre et l'angle de vue, avec un choix infini. Pour The Last Of Us, pas moins de 180 caméras auraient ainsi été disposées autour des acteurs sur les scènes de tournage.

Ashley Johnson: «La performance capture dans le jeu vidéo est vraiment très différente du cinéma. Déjà, vous êtes habillé avec ce costume très étrange, ensuite il n'y a pas d'environnement, pas de décor, vous êtes obligés de vous reposer sur votre imagination et parfois c'est vraiment un grand défi. D'une certaine façon c'est plus amusant, de la même façon que lire un livre peut être plus excitant que de voir un film

Évidemment, le travail du comédien s'en trouve transformé. «Dans un film ou une série télévisée, les accessoires, le décor travaillent pour vous, et facilitent le fait d'entrer dans le rôle. Avec la performance capture, vous êtes nu, il faut surmonter les obstacles sans filet. Dans ce sens-là, l'approche est différente. Pour moi, c'est presque une forme supérieure de jeu car littéralement la seule chose sur laquelle vous pouvez vous reposer, c'est votre partenaire de jeu, et votre réalisateur», affirme Troy Baker. Il ajoute: «Je pense que nous verrons de plus en plus souvent les personnages de jeu vidéo ressembler à leurs acteurs. Mais mon envie, c'est plutôt de disparaître derrière le rôle. Jouer, c'est faire disparaître sa personne pour faire apparaître un personnage

De fait, les personnages n'ont pas la même tête que les acteurs dans The Last of Us, mais comme le montrent les images du tournage illustrant cet article, il ne fait pas de doute que leurs expressions, leurs postures et leurs émotions sont ceux du comédien réalisant la performance.

Au-delà de cette performance, la production d'un jeu vidéo n'a pas du tout la même ampleur qu'un film. L'actrice Ellen Page racontait avoir reçu un script de 2000 pages avant d'être retenue pour la distribution du jeu Beyond: Two Souls. Ce n'est pas ainsi que les acteurs de The Last Of Us ont travaillé (s'ils avaient dû lire un script complet avant le tournage, il aurait sûrement été bien plus épais). Naughty Dog leur a fourni un pitch, et quelques scènes clés pour le casting, où selon les deux acteurs l'alchimie aurait été immédiate entre eux.

Ashley Johnson: «Dès le départ, au casting, il y a eu une alchimie et une connexion immédiate entre nous. C'est un jeu vidéo, mais vous pouvez le sentir à l'écran. Nous avons joué pendant trois ans, et nous sommes devenus ces personnages. Notre relation est réelle

Trois ans! Alors qu'un film implique généralement quelques semaines de prises de vues, The Last of Us aura nécessité trois ans de tournage. Pour une production qui aura duré en tout plus de cinq ans. Troy Baker: «La beauté du travail sur The Last of Us, c'est que la philosophie était de toujours améliorer. Parfois, on tournait une scène, qui partait en production, et après la réalisation du niveau complet, on pouvait nous demander de refaire cette scène pour l'améliorer. Cela arrivait parfois trois ou quatre fois jusqu'à ce que cela soit parfait. Cela a vraiment pris beaucoup de temps

Pour la promotion du jeu Beyond: Two Souls, l'acteur Willem Defoe racontait que vingt minutes d'images utiles étaient enregistrées chaque jour, contre en moyenne deux minutes pour un film. Une productivité dix fois plus importante! Pour un jeu vidéo, l'effort demandé au comédien est en effet souvent bien plus important, avec un grand niveau d'exigence.

Sur The Last of Us, la préparation des acteurs se faisait fait scène par scène, avec un travail permanent du réalisateur et du scénariste à leurs côtés le temps d'un très long tournage. «Comme dans un film, il fallait comprendre les enjeux de chaque scène [pour laquelle ils avaient généralement le script le jour même]. Nous avons par exemple passé beaucoup de temps sur la scène de retrouvailles dans le ranch, quand Joel retrouve Ellie et qu'ils ont cette dispute.», raconte Troy Baker.

Ce travail aura été payant tant il est évident que la réussite de The Last of Us doit tout à l'implication émotionnelle provoquée par l'interaction des deux personnages principaux: Joel, père d'une petite fille qui meurt dans les première minutes du jeu, et Ellie, l'adolescente qu'il rencontre dix ans plus tard, et qu'il prend sous son aile dans une Amérique où tous les fondements politiques et économiques se sont effondrés après une épidémie. L'intelligence du titre, plutôt que de privilégier les scènes de combat avec les zombies (en réalité, les humains contaminés par l'épidémie) est de rendre ces moments plutôt rares, et de privilégier la construction d'une histoire qui impliquera le joueur pendant une vingtaine d'heures qui voient défiler les quatre saisons qui sont autant d'atmosphères. La menace est plus souvent perceptible d'ailleurs chez d'autres survivants croisés dans le jeu qu'avec les monstres dont les apparitions effrayantes rappellent les plus belles heures du genre survival horror.

Mais ce qui reste en mémoire après avoir posé la manette, c'est une histoire fantastique, portée par de grands comédiens, et d'inoubliables moments de pure émotion, comme la découverte des girafes échappées d'un zoo, la mort de la fille de Joel dans la préface, ou les toutes dernières minutes du jeu.

Sans doute pour toutes ces qualités, The Last of Us est devenu en moins d'un an le jeu vidéo le plus primé de l'histoire, avec plus de deux cent récompenses dans le monde entier.

Il ressort le 30 juillet dans une version complètement remasterisée sur PlayStation 4. Sans révolutionner l'expérience, les améliorations graphiques sont notables, et il devient possible de jouer en haute définition (1080p) avec un rythme de soixante images par seconde. La fluidité du jeu s'en trouve très améliorée, au point qu'il est possible (en option) de revenir à un rythme moitié moindre pour ceux que cela perturberait. La performance des acteurs s'en trouve évidemment magnifiée par cette nouvelle version.

Si The Last of Us était un film, Troy Baker et Ashley Johnson seraient des stars instantanées. Espérons qu'avec ce jeu qui fera date, il leur sera possible de suivre le chemin balisé par Andy Serkis dans le cinéma: accéder à une large notoriété pour la qualité de leur performance sans que les spectateurs ne connaissent leur visage.

A la question de savoir s'ils ont choisi cette carrière dans le jeu vidéo, la réponse est franche. «Au lieu de choisir votre vie, c'est parfois la vie qui choisit pour vous. C'est par un accident heureux après un autre que j'ai trouvé ma place dans le jeu vidéo. Moi, je pensais que je serais une rock star !» explique Troy Baker, qui n'échangerait pas forcément sa vie pour une nouvelle carrière dans le cinéma. «Le jeu vidéo est un support incroyable pour raconter des histoires. En tant qu'acteur, je cherche surtout des opportunités de travailler avec de bons auteurs, pour fabriquer ensemble des histoires et des personnages mémorables. Je crois vraiment que le jeu vidéo est un média extraordinaire pour permettre cela

Mais, franchement, n'est-il pas un petit peu frustré de rester dans l'ombre des développeurs et des studios? «Ce que j'apprécie, c'est que Naughty Dog et Sony ont toujours reconnu la valeur du travail des acteurs sur leurs productions, et aujourd'hui je suis face à vous pour vous en parler. Ceci ne serait jamais arrivé il y a cinq ans».

NB. Toutes les photos de tournage sont extraites du making of officiel, visible ici

(c) Naughty Dog

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