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Le jeu vidéo qui plaira même à ceux qui n'aiment pas les jeux vidéo

est une merveille, un chef d'œuvre modeste qui offre à la fois une expérience esthétique, et le plaisir rare de découvrir une production qui ne ressemble à aucune autre. Ah oui, dernière information: c'est un jeu vidéo.
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Child of Light est une merveille, un chef d'œuvre modeste qui offre à la fois une expérience esthétique, et le plaisir rare de découvrir une production qui ne ressemble à aucune autre. Pour ces raisons, il suscite depuis sa sortie un concert international de louanges. Ah oui, dernière information: c'est un jeu vidéo. A l'attention de ceux qui s'apprêtaient à arrêter la lecture de cet article à cause de ce détail et d'un désintérêt supposé sur le média : lisez jusqu'au bout. Car Child of Light pourrait être l'occasion de réviser vos préjugés.

Car, hélas, les amateurs de jeu vidéo peinent encore à convaincre une petite moitié de la population que cet art total (image, son, et interactivité) n'a rien à envier au cinéma ou à toute autre discipline artistique en termes de créativité. Les médias ne font pas grand-chose pour casser ce désintérêt, évoquant le jeu vidéo au mieux sous un angle économique, généralement pour le réduire à la dernière bêtise à la mode (Candy Crush), au pire pour l'accuser de pervertir la jeunesse. Les talk shows des télévisions ou des radios nationales, qui restent souvent complaisants quand il s'agit de faire la promo d'un film destiné à être oublié dans la semaine se désintéressent complètement des artistes du jeu vidéo. Ils n'inviteront donc pas Patrick Plourde, directeur créatif de Child of Light, à parler de sa nouvelle œuvre. C'est dommage: ceux qui l'ont rencontré savent que derrière l'homme, il y a une histoire (quelques-uns des meilleurs épisodes d'Assassin's Creed et de Far Cry notamment), mais aussi une vision, qu'on aimerait voir plus largement partagée.

Le premier choc après avoir installé le jeu est donc esthétique, avec la sensation d'évoluer dans une peinture animée, au coeur d'un environnement à la fois doux et inquiétant qui prend vie dès la première seconde. Les décors ont d'abord été peints à l'aquarelle, avant d'être scannés et retravaillés numériquement. Le rendu final évoque les celluloïds des dessins animés d'autrefois, avec plusieurs couches superposées dans lesquelles viennent s'intercaler les personnages. Comme dans la grande peinture classique, ce qui frappe l'oeil est le travail éblouissant sur la lumière (la mécanique du jeu reposera d'ailleurs souvent sur l'alternance entre ombre et soleil). Par ailleurs, le choix "à l'ancienne" de la 2D, emblématique des premiers âges du jeux vidéo, donne l'impression d'une production complètement hors du temps.

Loin du jeu vidéo, les références artistiques sont à chercher dans l'âge d'or de l'illustration, bien que le déclencheur du projet de Patrick Plourde soit un ouvrage de 2006 sur les contes de fées illustré par le créateur des jeux Final Fantasy: "Fairies, de Yoshitaka Amano, avait une ambiance assez magique, j'aimais le climat, et c'est à partir de là que l'idée d'un conte de fée a commencé à prendre place, raconte le directeur artistique. J'ai alors commencé à regarder vers d'autres artistes, car Amano est très japonais, il a son style à lui. Arthur Rackham, Edmond Du Lac, Gustave Doré, John Bauer ont aussi eu une influence très importante sur le jeu et sur le personnage principal. Ainsi que Kay Nielsen, qui a fait des décors pour la Belle au Bois Dormant de Disney".

Car voici le deuxième choc provoqué par Child of Light : l'histoire. Une petite fille: Aurora, princesse autrichienne du XIXe siècle meurt dans la première séquence du jeu. Elle se réveille dans un monde mystérieux: Lemuria, qui lui semble être un rêve. Dans un environnement sombre et hostile, une luciole lui apparaît, et propose de l'accompagner dans un voyage. Les teintes pastel, le personnage central (une petite fille), montrent que le jeu sera atypique, éloigné des canons du genre.

D'emblée, l'univers qui s'expose est bien celui d'un conte de fée, dont le détournement par Patrick Plourde (Canadien) donnera tout l'intérêt et le relief au jeu: "L'histoire réutilise des grilles pour que l'on reconnaisse la structure d'un conte de fées, mais avec une idée importante: il n'y a pas de prince charmant, car l'héroïne doit prendre son destin en mains. Les contes avec les petits garçons sont traditionnels chez les Anglo-saxons: ils partent à l'aventure car les Anglais doivent coloniser le monde. Et dans ces contes, les petites filles restent toujours à la maison. Leur travail c'est de garder les valeurs britanniques chez soi. Le conte de fées classique apprend aux filles à attendre un hypothétique sauveur. Ce qui m'intéressait, c'était d'utiliser la structure classique du conte pour dire au contraire que si on veut devenir adulte, on doit prendre ses responsabilités, et que pour se réaliser, il faut aider les autres". Prends-ça, Walt Disney!

Child of Light cite les grands classiques du jeu vidéo, des premiers jeux de plateforme aux "role playing games" japonais, intégrant de petites énigmes à la Tomb Raider, et évoquant la quête initiatique des Zelda, ceci sans jamais ressembler à aucun de ces jeux. Les séquences animatiques quant à elles rappellent le meilleur de l'animation, du Géant de Fer aux productions Pixar, avec des références explicites à Miyazaki, le cinéaste fasciné par l'aviation. Il est assez rapidement donné à Aurora le pouvoir de voler, grâce à une couronne magique. Le premier envol au sein des nuages en aquarelle procure réellement une émotion immense, qui invite à redécouvrir tout l'environnement du jeu depuis un autre point de vue.

Dans Child of Light, le joueur incarne deux personnages à la fois: la princesse, et la luciole, à moins qu'il ne sollicite la collaboration d'un autre joueur qui dirigera le second personnage. Patrick Plourde affirme avoir eu cette idée pour permettre à un adulte de faire participer à l'action un très jeune enfant. Et c'est la luciole, vacillante petite lumière, qui permettra souvent de dénicher des trésors ou des passages secrets, ou éblouir les monstres pendant les combats, ce qui retardera leurs funestes actions. De même, certaines énigmes seront à résoudre en positionnant les ombres portées par la luciole.

Si le jeu dégage un charme fou, il possède cependant un défaut: le caractère très répétitif des séquences de combat, qui peut lasser à la longue. Il s'agit là encore d'un parti pris artistique, celui de ressusciter le combat au tour par tour, emblématique d'une tradition japonaise du jeu vidéo, tombée en désuétude avec la progression des puissances de calcul des ordinateurs. C'est la seule concession aux fans de jeu vidéo nostalgiques de cette époque, et il faut reconnaître que la gestion de ces combats est intelligemment faite. Elle ne freinera pas la progression de joueurs débutants, à qui un mode "facile" est proposé.

Child of Light est une production de la filiale de Montréal du studio français Ubisoft. Celui-ci, habitué aux productions AAA (ce qui désigne dans le jargon du métier des productions internationales très coûteuses), a cette fois validé un projet alternatif sur une proposition de Patrick Plourde, avec une économie et une équipe très réduite. De la validation du projet à sa sortie, il ne se sera passé qu'un an. C'est sans doute la raison pour laquelle Ubisoft, numéro deux mondial du jeu vidéo a choisi de le positionner avec un tout petit prix (15 €), et une distribution numérique. Au-delà de l'immense créativité développée sur cette oeuvre, c'est aussi la souplesse du studio, capable de prendre le risque d'inventer et mettre en oeuvre un modèle alternatif en quelques mois au service de l'un de ses meilleurs artistes, qui pourrait amener à ce que les médias (qui se plaignent depuis des années de l'incapacité de l'industrie du cinéma à faire la même chose) s'intéressent enfin à parler de jeu vidéo.

Car l'intelligence, la beauté et la poésie de Child of Light ne devraient laisser personne insensible. A l'image sublime (magnifiée par la haute définition) s'ajoute d'ailleurs un excellent travail sur le son, avec des bruitages parfaitement harmonisés à l'histoire et au dessin. Il ne faut pas hésiter à se lancer dans l'aventure: il n'est même pas nécessaire de posséder une console, Child of Light se joue aussi très agréablement sur PC.

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