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Ce que ma mère m'a appris

Ma mère a toujours aimé les géraniums. Parce que toutes les femmes du monde, me répète-t-elle souvent, ont un géranium à la fenêtre. Ou peut-être un laurier rose. Sauf peut-être dans les camps de réfugiés ou dans les rues de Homs, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'en rêvent pas.Ces fleurs sont des éclats de vie, qui ne servent qu'à accompagner le quotidien, à embellir, à adoucir. Peu d'enfants les remarquent, y accordent de l'importance, sauf pour s'en moquer peut-être, comme d'une autre lubie des mères.
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Flickr: Klearchos Kapoutsis

Chaque année, ma mère attend notre appel le 8 mars. C'est son jour de fierté, d'appartenir à la meilleure part de l'humanité, celle qui ne jouit pas des massacres, qui ne vocifère pas dans les stades.

Celle qui enfante et prend soin.

Bien sûr, ce même jour, les cyniques se plaisent à ressasser les exceptions: les brutes, les louvoyantes, les manipulatrices. Les hommes aiment tellement souligner celles qui leur ressemblent. Il y a aussi la multitude des femmes sans perspective, qui croient que suffisent les artifices et aliénations construites.

Mais la féminitude est infiniment plus vaste. C'est la face cachée du monde, un autre rapport au temps, à l'espace, une autre façon de mesurer la destinée humaine.

Pour ma mère, c'est à la fois un jour d'intense fierté et de grande tristesse. Parce que les femmes enfantent des humains qui les méprisent, qui les abiment. Leur complaisance à reproduire l'ordre social est plus forte, partout, que le féminisme.

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Ma mère a toujours aimé les géraniums. Parce que toutes les femmes du monde, me répète-t-elle souvent, ont un géranium à la fenêtre. Ou peut-être un laurier rose. Sauf peut-être dans les camps de réfugiés ou dans les rues de Homs, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'en rêvent pas.

Ces fleurs sont des éclats de vie, qui ne servent qu'à accompagner le quotidien, à embellir, à adoucir. Peu d'enfants les remarquent, y accordent de l'importance, sauf pour s'en moquer peut-être, comme d'une autre lubie des mères.

Pourtant, devenus grands et écrivains, les enfants racontent souvent dans leurs récits les fleurs de leur mère et le soin qu'elles en prenaient. Par affection pour leur mère? Pour le vivant, tardivement, quand on arrive à l'essentiel? Les fleurs et les jardins privés font-ils partie de la représentation du bonheur pour les hommes, comme la maison, sa porte, ses fenêtres, sa cheminée, son soleil et son arbre pour les enfants, même des villes, même des tours?

Le 8 mars, les pensées de ma mère vont à ce que la persistance millénaire de milliards de femmes à faire pousser les fleurs aux fenêtres et aux jardins dit de l'humanité ignorée. À leur silence assourdissant.

Ma mère m'a transmis une tendresse, une sensibilité, un sens critique. Mais ce qu'elle m'a certainement donné de mieux, c'est son féminisme. À force de nous répéter sans cesse qu'on ne dit que la moitié des choses, et qu'il faut écouter le silence de l'autre côté du monde.

Aimer les femmes, s'intéresser à leurs rêves, écouter leur silence, regarder les géraniums et les lauriers roses, imaginer leur monde, une autre façon de flairer le vent et de compter les heures. Pour moi, le 8 mars sert à reconnaître et apprécier la dignité des femmes, leur apport à la compréhension humaine.

Grâce à ma mère.

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