Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Doit-on mettre à l'abri des objets d'art dans des zones sous protection de l'ONU pendant le temps d'une guerre?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Palmyre subira-t-elle le même sort que le musée de Mossoul ou les sites antiques de Hatra et Nimroud en Irak? La civilisation sera-t-elle encore une fois la victime de destructions, de pillages et de trafics? Éclairage sur la guerre de l'art et pistes de réflexion.

Le pape François déclarait le 17 septembre 2014, à propos des persécutions des chrétiens du Moyen-Orient, que nous étions entrés dans la Troisième Guerre mondiale. Défiant le monde, ce n'est pas un simple fascisme mais un nouveau totalitarisme au sens que Hannah Arendt donnait à ce terme, qui vient d'émerger. La guerre, qu'on ne s'y méprenne pas, est avant tout une guerre des valeurs, de la culture et de la civilisation.

Sur la ligne de front, ce sont l'art et les musées qui sont visés.

Revenons un instant sur quelques évènements clés de ces dernières années

En 2001, en Afghanistan, sous l'influence de muttawas saoudiens, le mollah Mohammad Omar décrète la destruction des statues idolâtres dites des Bouddhas de Bâmiyân.Jusqu'à ce mois de mars 2001, ces statues avaient résisté à tout pendant 15 siècles, y compris aux invasions mongoles de Genghis Khan en 1221. Cette destruction interviendra malgré les efforts, notamment du Japon, pour empêcher une telle horreur culturelle.

Deux ans plus tard, entre le 8 et le 12 avril 2003, c'est le Musée national d'Irak qui est pillé. «Étrange pillage» titrera d'ailleurs le journal Libération. Car, outre la disparition de nombreux objets, les pilleurs parfaitement organisés connaissent l'emplacement des réserves, connaissent la qualité des objets et savent distinguer les œuvres authentiques des copies: ainsi le Code de Hammurabi et l'Obélisque noir n'ont pas été emportés, car il s'agissait de copies! Il est évident que les pilleurs obéissent à une commande de professionnels.

Parallèlement au pillage, un pur saccage est commis et des œuvres sont vandalisées.

La destruction du Musée de Bagdad fait aussi écho aux pillages systématiques qui ont été conduits sur les sites mésopotamiens pendant toute cette période où des dizaines de milliers d'objets ont disparu.

Dix ans sont passés, c'est le temps des Printemps arabes. Cette fois, c'est en Égypte qu'en 2011 de nombreuses tombes et magasins archéologiques sont pillés. Tout d'abord dans le nord à Gizeh, à Saqqarah, à Dachour, à Abousir, à Kafr Al-Cheikh, à Beheira dans le delta du Nil, dans le Sinaï, à Alexandrie, Ismaïlia , Sharquiya et Abidos.

Les musées, notamment celui du Caire, sont visés et des objets sont vendus à la sauvette pour moins de cinq euros dans les rues du Caire.

Une anecdote: en mai 2011, la directrice du département d'archéologie de l'université du Caire, Azza Farouq, découvre 3000 pièces non répertoriées dans les toilettes du musée de la faculté. On lui explique qu'il s'agit de pièces sans valeur. Bien évidemment, c'est tout le contraire.

À cette époque, le Conseil international des musées (ICOM) publie une liste rouge d'urgence des biens culturels «en péril».

Là encore, aux pillages se mêlent les destructions et le vandalisme.

On assiste toujours à ce même dualisme entre le lucre et la corruption, d'une part, la haine des objets et de ce qu'ils représentent, d'autre part

Cette guerre culturelle s'étend au sud, notamment au Mali où des salafistes détruisent en 2012, à Tombouctou, des mausolées vieux pour certains du 15ème siècle. C'est à cette époque que d'autres salafistes réclament la destruction des pyramides d'Égypte alors que Khéops a résisté à 45 siècles.

En 2014, c'est la Syrie qui devient la proie de ces destructions et de ces trafics, notamment à Hasaka, Deir ez-Zor rural, Salhiya Euphrates, Dura Europos, Idlib Rural - Ebla, Yarmuk, Daraa, Hama rural, Apamea.

Arrivent les scènes de la destruction du Musée de Mossoul qualifiée par la directrice générale de l'UNESCO, Irina Bokova, de «tragédie culturelle». Sur la vidéo filmant cette destruction figure une bande indiquant que «ces objets n'étaient pas là du temps du prophète et de ses compagnons. Ils ont été exhumés par les gens de Satan».

Cette vidéo révèle qu'un certain nombre de statues étaient des répliques en plâtre d'originaux qui avaient déjà été déplacés. Ces œuvres en plâtre ont été brisées facilement. Par contre, d'autres ont été attaquées au marteau-piqueur et il s'agit là d'originaux qui sont perdus pour l'humanité. Bien entendu, tout le monde suspecte le fait que les destructions sont la face émergée de l'iceberg. Les trafics, beaucoup plus importants, en sont la face immergée.

La contamination va très vite atteindre l'Occident lui-même. Au travers, d'abord du Musée juif de Bruxelles. C'est donc à la fois le monde juif et le monde des musées qui sont visés le 24 mai 2014.

Puis, le 18 mars 2015 à Tunis, le Musée du Bardo est victime de la haine totalitaire.

Se pose dès lors la question de la sécurité des musées

Dans un article publié dans Le Monde, la journaliste Roxana Azimi indique avec pertinence: «à quoi reconnaît-on un sujet sensible? À l'esquive des intéressés.» Et de citer Olivier Gabet, directeur du Musée des arts décoratifs à Paris: «Il n'y a rien que des islamistes puissent haïr plus qu'un musée, qui est le lieu du transfert du savoir, le rêve de coexistence entre différents modes de pensée et d'être. C'est l'incarnation de la globalisation et de l'impérialisme, du croisement culturel, qu'ils exècrent.»

Roxana Azimi cite encore Alexandre Kazerouni, chercheur à Sciences Po: «le musée, c'est ce qu'il y a de plus sacré en Occident».

Car en effet, cette dimension du sacré est centrale

Le musée n'est pas un simple lieu où sont exposés les artefacts culturels. L'objet d'art n'est pas un objet décoratif, il est un objet qui fait sens, qui précisément est là pour éclairer l'homme sur son destin et sur le sens de son être et de son existence. Le musée qui l'expose est un temple. C'est un temple moderne qui a été inventé, notamment en ce qui concerne les musées universalistes, avec le siècle des Lumières.

Les attaques contre l'art et les musées ont été immédiates et procèdent d'une logique qui est celle d'une confrontation des sacrés.

La question se pose de savoir comment protéger ce qu'il y a de plus précieux, c'est-à-dire l'art et le temple qui le recueille, le musée

Les outils juridiques sont nombreux en droit international et dans les différents systèmes nationaux. Ils restent cependant décalés au regard de la singularité des défis actuels: les pilleurs ne sont pas des États et encore moins des États signataires de conventions internationales...

Nous sommes dans une situation de guerre et le vrai sujet est davantage celui des moyens et des techniques que celui du droit.

Partons du passé et de l'expérience que nous donne la Seconde Guerre mondiale. Les parallèles qui existent aujourd'hui avec les relations que les nazis entretenaient avec l'art sont saisissants.

La doxa d'alors préconisait l'éradication de l'art dégénéré

En fait, si on prend l'exemple de la France, sur 100 000 œuvres d'art spoliées dont 25 000 aux juifs, seules 500 à 600 ont été détruites, les autres ont été confisquées et souvent revendues. Derrière le discours purificateur de façade, la réalité est donc celle du vol et du trafic. Cela signifie qu'au-delà des mises en scène de destruction à grand spectacle, les œuvres sont vendues et alimentent un marché clandestin de réseaux criminels et de collectionneurs peu scrupuleux.

Ces œuvres se retrouveront dans l'avenir dans des collections

Le vrai sujet est, au-delà des destructions qui nous bouleversent, la perte du patrimoine culturel des pays ravagés par la guerre et les conflits sectaires et religieux. Une fois que les canons se seront tus, que restera-t-il du patrimoine de ces pays? C'est évidemment une tragédie de plus qui se perpétuera pour des générations pour les peuples de ces régions.

L'une des solutions pourrait consister en la création de zones protégées dédiées à l'art et inspirées des comptoirs comme l'étaient Pondichery et Chandernagor ainsi que des ports francs.

Il s'agirait de mettre à l'abri des objets d'art dans des zones sous protection de l'ONU pendant le temps de la guerre, les objets étant restitués à l'issue des conflits à la condition que les récipiendaires ne soient pas ceux qui ont vocation à les détruire.

Les ports francs sont actuellement occupés par le monde des collectionneurs. Quelquefois, même, dans des conditions qui pourraient nous inquiéter. Ainsi, on a suspecté notamment la famille Kadhafi d'avoir caché dans certains d'entre eux des objets volés. La technique nous semble néanmoins intéressante. Il s'agirait de la transposer du niveau privé au niveau public et international.

Le port franc de référence est celui de Genève. Il a plus de 125 ans et abriterait aujourd'hui plus de 1,2 millions d'œuvres d'art pour une valeur que la presse estime à plus de 82 milliards d'euros.

Mais d'autres ports francs ont vu le jour: celui de Singapour avec un espace de stockage de 25 000 m², celui du Luxembourg avec des installations de très grande qualité d'une superficie de 20 000 m². Des ports francs devraient par ailleurs être créés en Chine, à Pékin et Shanghai.

Le commerce d'œuvres d'art passe massivement par l'utilisation des ports francs. Pourquoi ne pas recourir à cette technique sous contrôle de l'UNESCO et protection de l'ONU pour résister aux destructions et aux trafics dont les musées, les magasins archéologiques, les sites antiques sont aujourd'hui la cible? Certes, il sera difficile de déplacer des cités entières, mais de très nombreuses œuvres pourraient ainsi y trouver refuge.

Il y a quelque chose de bien triste à devoir songer à des forteresses pour protéger l'art. Mais c'est là peut-être le prix à payer pour conserver les Lumières...

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

La barrière de corail de Bélize

10 sites classés au Patrimoine mondial de l'UNESCO

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.