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L'authenticité d'une oeuvre d'art à l'heure de la 3D

Demain, tout un chacun disposera de logiciels de reproduction ou d'imprimantes 3D qui lui permettra de reproduire les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture et de la sculpture.
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Le piratage de la musique et du cinéma sur internet a occupé les beaux jours des chroniqueurs à coup de lois et règlements souvent impuissants à combattre une économie qui se réinventait. La révolution qui se profile en matière d'arts graphiques est au moins aussi impressionnante. Demain, tout un chacun disposera de logiciels de reproduction ou d'imprimantes 3D qui lui permettra de reproduire les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture et de la sculpture.

L'amélioration de la reproduction allant jusqu'à la perfection est affaire de progrès technologique, et donc de temps, très peu de temps d'ailleurs.

A moins de poster un gendarme derrière chaque œuvre, la question qui se pose est celle de la protection des œuvres d'art, du copyright au regard de la puissance technologique écrasante des moyens de reproduction. C'est également aussi celle des faux artistiques et, plus largement, de la légitimité du monde de l'art.

L'œuvre d'art est par essence unique...et ce, dans une certaine mesure, même lorsqu'elle est multiple comme c'est le cas des tirages de bronzes. Elle est la traduction dans sa plus haute expression de l'émotion et du message de l'artiste.

Roland Barthes avait saisi cette dimension indiscutablement artistique dans des œuvres par essence multiples comme la photographie. Il décrit cette expérience saisissante dans La Chambre Claire - Note sur la photographie.

Ce que l'on appelle abusivement "authenticité" est l'estampille que l'artiste ou son ayant-droit appose sur l'œuvre. En fait, on devrait parler par souci de clarté non pas d'œuvre authentique mais d'œuvre autorisée en distinguant selon l'identité de l'auteur de l'autorisation (l'artiste ou son ayant-droit).

Ainsi, s'il est possible à un sculpteur de scanner une de ses œuvres et de l'envoyer par fichier de New York à Hong Kong pour l'éditer sur une imprimante 3D dans le cadre d'une exposition, cette œuvre sera licitée donc, pour reprendre la vieille terminologie, elle sera "authentique". Pourtant, l'artiste n'aura pas "touché" l'œuvre, il se sera contenté d'envoyer un fichier de données. Mais est-ce si différent des bronzes qui étaient fabriqués par Rodin, Giacometti ou Louise Bourgeois? Ceux-ci créaient des plâtres d'où on tirait un moule; les bronzes étaient produits par le fondeur et relevaient d'une licence de l'artiste.

Pour aller encore plus loin, chacun sait que les grand peintres de la Renaissance, à commencer par Michel Ange, avaient des ateliers et qu'une œuvre de Michel Ange est une œuvre sur laquelle plusieurs mains sont intervenues. Là encore, le vrai sujet est celui de savoir si l'artiste ou son ayant-droit ont "autorisé" l'œuvre.

Si, demain, cependant, il devient possible de reproduire une œuvre de telle manière qu'elle soit équivalente en apparence à l'original, comment attribuer une valeur aux œuvres et assurer la protection des acheteurs?

Walter Benjamin avait abordé en son temps la question à propos de la photographie et du cinéma dans son essai "The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction".

Nous n'y sommes pas tout à fait. Cependant, tout ceci est en germes, et, du point de vue technologique, des initiatives importantes ont été entreprises. Google Art Project a été lancé par Google en collaboration avec 17 musées internationaux en 2011 puis, en 2012, un nouvel accord a été signé avec 151 musées. Ce projet a pour vocation d'offrir des reproductions de très haute qualité des œuvres en utilisant des technologies incluant Google Street View, Picasa et des outils spécifiquement utilisés pour the Art Project. Des têtes Clauss RODEON VR Head HD et Clauss VR Head ST permettent de prendre des photos en haute résolution avec une précision supérieure à 1000 fois celle d'une caméra digitale. L'image la plus importante, celle de l'œuvre d'Alexander Andreyevich Ivanov, The Apparition of Christ to the People, est supérieure à 12 gigapixels (source Wikipedia).

Supposons que ces technologies se développent encore et qu'elles deviennent accessibles au public, on le sent bien, nous ne sommes pas loin de la déstabilisation d'un marché important de 47,4 milliards de dollars en 2013i. Demain, qu'est-ce que voudra dire "œuvre originale" si la copie est identique à l'original et s'il suffit de disposer d'un dispositif technique en vente libre dans le commerce pour reproduire l'original? Pourquoi l'original vaudra-t-il plus que la copie? Comment se prémunir efficacement contre les faux?

Le droit de reproduire, distinct du droit de propriété sur l'œuvre, est une création Française née sous la Révolution. Le Chapelier, rapporteur du décret-loi du 19 juillet 1793, la première loi sur le droit d'auteur, disait que "la propriété d'un auteur sur son œuvre est la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable des propriétés". Les architectes de la loi parlaient d'une "déclaration des droits du génie". Le dispositif français a été renforcé régulièrement et a inspiré le reste du monde. Aux Etats-Unis, dans son livre L'âge des Turbulences, Alan Greenspan insiste particulièrement sur l'importance de la protection du droit de propriété intellectuelle. Après tout, la richesse d'aujourd'hui et de demain de l'Occident est avant tout immatérielle.

Réaffirmer les principes et le caractère sacré du droit d'auteur est certes indispensable, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi repenser un modèle de protection

Pour l'heure, d'un point de vue pratique, une œuvre d'art d'une certaine importance est authentifiée soit par l'artiste s'il est vivant, soit par un ou des experts de référence c'est-à-dire reconnus par les acteurs principaux du marché, étant précisé que l'expertise n'est pas un monopole. Il peut s'agir d'un héritier, d'une personnalité du monde académique, d'un professionnel du monde de l'art etc. Aucune vente importante n'intervient donc sans qu'une œuvre ne soit accompagnée d'un certificat. Cette situation a d'ailleurs créé des litiges importants puisque des procès sont nés soit du refus de délivrance de ces sésames, soit d'erreurs commises dans un sens ou dans un autre. A telle enseigne que les successions importantes d'artistes ont cessé pendant un temps de délivrer des certificats au risque que le système ne se grippe.

Aujourd'hui, la législation évolue aux Etats-Unis et en France vers une plus grande protection des experts qui restent des rouages incontournables.

Traditionnellement, l'expertise artistique suit trois approches: une approche dite scientifique (ex: tel tableau ne peut pas être de tel peintre parce qu'il comporte des pigments anachroniques); une approche stylistique (ex: telle sculpture ne peut être de la main de tel sculpteur qui n'a jamais fait des œuvres en marbre avant telle date); une approche liée à la provenance (ex: toutes les œuvres de ce peintre ont été écoulées par tel ou tel canal et donc il est invraisemblable qu'elle se soit retrouvée dans une brocante).

Une œuvre pour être vendue sur le marché international, doit donc être documentée

Non seulement cette règle ne changera pas mais elle se développera. L'illustration typique est celle de l'art vidéo, qui est le produit de ces nouveaux moyens technologiques. Une vidéo n'est pas signée, elle est indéfiniment reproductible. L'œuvre est donc authentifiée par un certificat, et ne peut être revendue qu'avec ce certificat. C'est pratiquement le certificat qui "constitue" l'œuvre. Autres marqueurs d'authenticité : la traçabilité et la provenance des œuvres.

En ce qui concerne la sculpture et les œuvres multiples comme les bronzes, la réputation et les archives des fondeurs joueront un rôle majeur. Il ne s'agit pas d'un problème accessoire: rappelons le prix de vente -65 Millions de sterlings- atteint par "l'Homme qui marche" de Giacometti en 2010 alors qu'il s'agissait d'un multiple (2/6). Le fait qu'une œuvre porte la marque d'une fonderie réputée va devenir gage de sécurité pour le marché.

Bien sûr, il serait possible aussi d'imposer des normes industrielles aux fabricants d'appareils de reproduction, qu'il s'agisse d'imprimantes 3D ou d'autres technologies à venir, pour que les reproductions portent la marque de leur origine et ne puissent être confondues avec les originaux. Il s'agirait de procédés liés à la technologie dite de design by. Nous pouvons parier sur le fait que cette précaution ne serait pas suffisante pour prévenir le danger tant les tentations sont grandes, le marché décloisonné et les perspectives de coordination normatives incertaines.

On peut pressentir que c'est à travers la documentation et les archives liées à une œuvre que la différence va de plus en plus s'opérer.

Les archives sont aujourd'hui à la fois artisanales (même lorsqu'elles sont informatisées) et tenues par une multitude d'acteurs (familles d'artistes, fondeurs, galeries, experts etc.) Il nous semble à cet égard concevable de retourner la technologie dans le sens de la protection et d'inventer un procédé de marquage électronique des œuvres (codes barre, puce électronique etc.) et surtout une sorte de registre centralisateur international sur le modèle des noms de domaines. Il ne s'agirait pas -c'est illusoire- de déposséder les intervenants de leurs archives mais de créer, sur le mode de la régie, un annuaire international d'annuaires.

Ainsi, si vous cherchez à savoir si l'œuvre (éventuellement tatouée électroniquement) et que vous avez en face de vous est de tel artiste, il suffira de vous adresser à un organisme qui vous renvoie vers les détenteurs d'archives.

Le pays qui saura saisir cette opportunité prendra une longueur d'avance sur la maîtrise du marché de l'art.

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