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Chine: le ralentissement économique, et ensuite?

Les chiffres attestent d'un mauvais démarrage pour l'économie chinoise en 2015. Les doutes sur la viabilité du "modèle chinois", hier encore encensé, se multiplient. Encore convient-il de faire l'effort de penser les problèmes à l'aune de ce modèle, et non du nôtre!
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Les chiffres attestent d'un mauvais démarrage pour l'économie chinoise en 2015. Les doutes sur la viabilité du "modèle chinois", hier encore encensé, se multiplient. Encore convient-il de faire l'effort de penser les problèmes à l'aune de ce modèle, et non du nôtre!

Le 11 mars dernier, le Bureau national de la statistique (BNS) a publié une série de statistiques peu encourageantes pour l'économie chinoise. La production industrielle a certes continué à afficher, au cours des deux premiers mois de l'année, une hausse de 6,18% en moyenne annuelle. Mais c'est en deçà des prévisions de la plupart des économistes, ainsi que des 7,9% observés en décembre 2014. Pour rester positif, ce chiffre est surtout le plus mauvais affiché depuis la fin 2008, "période où la Chine avait brusquement calé du fait de la crise financière internationale", ainsi que le souligne Gabriel Grésillon dans Les Échos. "Même déception sur le front des investissements dans les infrastructures, dont la croissance tombe à 13,9%, du jamais vu depuis 13 ans. Les 20% de 2013, et même les 15,7% de 2014, sont loin. Enfin, les ventes de détail sont aussi sur une trajectoire décevante, augmentant de 10,7% sur un an, soit un chiffre jamais atteint depuis début 2006." Même s'ils feraient pâlir d'envie n'importe quel pays de l'Union européenne, ces indicateurs, parmi d'autres, attestent d'un risque réel de ralentissement économique. Mais, derrière la conjoncture, ce sont les problèmes structurels de la Chine qui se trouvent ainsi révélés.

De réels problèmes structurels

Dans un ouvrage qu'il vient de publier chez Stock, Chine, le grand bond dans le brouillard, Gabriel Grésillon rappelle le nombre et l'ampleur des défis à relever. "De l'endettement massif à la concentration des pouvoirs, du smog urbain à la crise du low-cost, de la pollution des campagnes à la censure, des inégalités sociales aux minorités spoliées, le modèle vacille." Et le journaliste estime que la solution passe par une libéralisation du régime, sur le modèle occidental. Une exhortation qui rejoint celle du sinologue américain David Shambaugh (Brookings Institution, 01/10/2014), pour qui Pékin doit d'urgence engager, entre autres, de profondes réformes économiques, donner la priorité à l'innovation, réduire les inégalités et l'instabilité sociales, combattre la corruption, assouplir son système politique, promouvoir l'urbanisation tout en protégeant l'environnement.

Toutes ces pistes sont évidemment louables. Mais ne pourrait-on pas juger des performances du modèle chinois à l'aune de ses propres critères, plutôt qu'en fonction de ceux de la "démocratie de marché", qui voudrait qu'à un certain niveau de développement économique corresponde fatalement une forme d'"américanisation" de la société? Il apparaît en effet que les problèmes de fond qui se posent à la Chine renvoient, pour l'essentiel, à sa spécificité même, davantage qu'à son inadéquation au modèle occidental de développement.

Problèmes chinois, réponses chinoises?

Ainsi, pour ne pas perdre la face -ni les investisseurs-, les statistiques officielles sont notoirement arrangées, voire truquées. Le rôle du surinvestissement dans la croissance, notamment, pose un vrai problème. De même, la très forte croissance enregistrée ces dernières années s'est révélée extrêmement déstabilisatrice pour une société qui ne se conçoit que dans la durée, sur le temps long. François Jullien rappelle en effet que "la notion de constance est essentielle à la pensée chinoise, elle va de pair avec sa pensée des processus" (Du "temps", 2012). Le garant d'une nécessaire stabilité reste le parti, version actualisée de la vieille "bureaucratie céleste" -omniprésente et morale- prônée par Confucius, mais l'on a pu observer toute la souplesse idéologique du régime, capable de changer de cap radicalement afin de consolider son pouvoir. La légitimité de celui-ci repose finalement sur le fait que les valeurs d'ordre et d'harmonie (sociale) prédominent sur celle de liberté (individuelle): mais des dérives comme la corruption et les atteintes à l'environnement sont dès lors dévastatrices, car remettant brutalement en cause le "mandat céleste" cher à Confucius. Ce sont ces sujets, davantage que les chiffres de croissance ou la question des "droits de l'homme", qu'il faudra suivre de près à l'avenir.

Pour l'heure, la Chine répond à ses défis internes par un activisme croissant à l'international. En témoigne la poursuite de ses acquisitions stratégiques, comme celles de l'aéroport de Toulouse ou du pneumaticien, Pirelli, fleuron de l'industrie italienne. Mais aussi la création d'une banque de développement d'infrastructures en Asie, concurrente de la Banque asiatique de développement sous influence des États-Unis et du Japon, et qui vient de se voir confortée par le ralliement des grands pays européens, après l'adhésion d'une vingtaine de pays asiatiques. Parmi les projets prioritaires de cette nouvelle banque aux mains de Pékin: le financement des "nouvelles routes de la soie", qui reprennent une symbolique puissamment enracinée dans l'imaginaire national, et tracent l'expansion de la Chine vers l'ouest et le sud.

La Chine, le "grand Autre" de l'Occident

"Évitons de regarder la Chine avec nos analyses occidentales", conseille à juste titre le sinologue François Jullien. "La Chine forme depuis toujours un autre monde, constitué indépendamment, en dehors nos catégories de pensée, nos modèles économiques, nos religions. Notre universalisme."

Les interrogations, légitimes, sur l'avenir de la Chine renvoient ainsi à la géopolitique, qui repose sur l'acceptation de l'altérité, et ne se prétend pas prédictive, mais simplement analytique. Tout simplement parce que l'histoire reste toujours ouverte, disponible pour l'imprévu. Tout particulièrement dans la phase de transition, voire de retournement et de bouleversements qui est aujourd'hui la nôtre. Ainsi, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Gabriel Grésillon, l'on peut se demander légitimement si ce n'est pas le monde dans son entier, et pas seulement la Chine, qui risque un "grand bond dans le brouillard".

Considérer que le monde dans lequel nous vivons n'a rien d'éternel, qu'il faut sans cesse interroger nos paradigmes, ne pas s'abandonner au confort intellectuel, n'est pas le moindre des apports de la géopolitique. Mais aussi de la Chine, que François Jullien qualifie à juste titre, pour nous autres Européens, comme "le grand Autre". Celui qui ne remet pas seulement en cause notre hégémonie économique et intellectuelle, mais aussi nos "universaux". Nous obligeant à penser le monde autrement.

Pour aller plus loin: "Quand la Chine vacillera... Peut-on comprendre Pékin à l'aune des seuls critères économiques occidentaux ?", note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble École de Management, n° 157, 02/04/2015

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