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Boko Haram, ou la lancinante question des frontières en Afrique

Quoique moins médiatisées que les crimes de l'État islamique en Irak et en Syrie, les exactions de Boko Haram soulèvent le cœur - mais aussi bien des questions. Avons-nous affaire à une secte islamiste radicalisée, à un gang criminel ou à la résurgence d'une rébellion tribale ?
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Quoique moins médiatisées que les crimes de l'État islamique en Irak et en Syrie, et bien sûr que les récents attentats à Paris, les exactions de Boko Haram soulèvent le cœur - mais aussi bien des questions. Avons-nous affaire à une secte islamiste radicalisée, à un gang criminel ou à la résurgence d'une rébellion tribale ?

Le regain d'activité de Boko Haram ces dernières semaines s'inscrit à l'évidence dans un double contexte. D'une part, celui des élections du 14 février prochain au Nigéria. En témoigne notamment l'attentat du 3 février visant le président Goodluck Jonathan, candidat à sa propre succession, à Gombe, dans le nord-est du pays. "Les insurgés dénoncent, depuis longtemps, les élections, perçues comme une pratique païenne incompatible avec l'Etat islamique" proclamé sur les portions du territoire nigérian qu'ils contrôlent, souligne Nnamdi Obasi, chercheur à l'International Crisis Group. D'autre part, l'offensive lancée depuis quelques semaines vers le Cameroun voisin tend à démontrer que le groupe terroriste cherche également à élargir et consolider sa base territoriale, en anticipant une réaction militaire régionale. Une analyse juste : le 2 février dernier, les troupes camerounaises se sont déployées massivement à Fotokol, cité voisine de Gamboru au Nigéria, tandis que les Tchadiens bombardaient les positions des islamistes dans cette ville.

Les derniers événements démontrent ainsi que Boko Haram est tout à la fois un problème interne à l'Etat fédéral nigérian et un défi sécuritaire pour l'ensemble de la région. Il est vrai que la stabilité du Nigéria, pays le plus peuplé d'Afrique et désormais première puissance économique du continent, garantit celle d'une vaste zone charnière entre Afrique de l'Ouest et Afrique centrale.

L'influence du contexte international et régional : la résurgence islamiste

C'est en 2002 que Boko Aram a été créé à Maiduguri, capitale de l'Etat septentrional de Borno, au Nigéria. Signifiant littéralement "le blanc - sa culture - est impur", cette secte prône un islamisme radical et rejette "l'impérialisme occidental" - dont le pouvoir central d'Abuja serait un "suppôt". Tant le lieu que la date ont leur importance. Le début des années 2000 correspond en effet à la résurgence d'un "jihadisme global", à l'affirmation d'une dynamique fondamentaliste et guerrière au sein de l'Oumma. Et le terreau des Etats musulmans fédérés du nord Nigéria, où s'applique depuis 1999-2000, non sans heurts, la charia, s'est avéré manifestement favorable à l'éclosion d'une telle secte.

À la mort de son fondateur Mohamed Yusuf, en 2009, à la suite d'une opération de l'armée nigériane, Boko Haram opère sa mutation. Sous la coupe d'Abubakar Shekau, le groupe bascule dans le terrorisme et déborde des frontières du Borno, tant vers l'intérieur du Nigeria, dans les États de Yobe et Adamawa notamment, que vers l'extérieur. Forte de 30 000 à 40 000 membres, dont 10 % de combattants, la "secte islamiste" serait déjà responsable de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés selon Samuel Nguembock, chercheur associé à l'IRIS, dans une récente interview à Challenges (21/01/2015). Elle contrôle aujourd'hui un territoire de près de 50 000 km2 - soit l'équivalent de la Belgique ! - peuplé de 1,7 million d'habitants. David Blair, dans une éclairante enquête publiée par le Daily Telegraph du 10 janvier 2015, précise que "le domaine de Boko Haram s'étend des monts Mandara, à la frontière orientale avec le Cameroun, au lac Tchad, dans le Nord, et aux rives de la Yedseram à l'Ouest". Ce qui permet la jonction avec les lignes de communication des différents groupes djihadistes opérant dans la région, et la réactivation à des fins de financement des antiques routes de trafic - y compris d'êtres humains - en direction du Sahara...

Le poids des facteurs locaux : la poudrière nigériane

"Pour prospérer, le mouvement a notamment profité d'une grande porosité des frontières, de l'absence de contrôle territorial et de la corruption qui gangrène l'armée nigériane. Il a ainsi pu capter une part des ressources naturelles de la zone pour se financer de manière autonome en parallèle du soutien d'organisations salafistes. Par ailleurs, le chaos en Libye, suite à la guerre menée pour faire tomber Mouammar Kadhafi, a permis à Boko Haram de ramener de nombreuses armes", explique Samuel Nguembock dans l'interview précité à Challenges.

Il n'en demeure pas moins que les spécificités du groupe sont locales. En toile de fond de son développement, il y a en effet la violence qui caractérise le jeu politique interne du Nigéria : certains politiciens du Nord n'ont jamais hésité à utiliser voire susciter des groupes d'hommes de main pour éliminer leurs adversaires - quitte à leur mettre sur le dos des actes dont ils ne sont pas les auteurs...Il y a également le souvenir toujours vivace du vieux sultanat Haoussa de Kano : devenu vassal du califat de Sokoto dès 1805, il n'a été absorbé définitivement par le Nigéria qu'en 1967, laissant perdurer un fort tropisme irrédentiste de cette région à l'égard du Sud du pays. Il y a enfin le facteur ethnique, Boko Haram apparaissant également comme le bras armé d'une insurrection de nature tribale (kanuri).

Cette dernière caractéristique, là encore omniprésente dans la politique nigériane, est essentielle pour essayer de comprendre l'évolution de la situation. Car si le nord du pays est devenu une immense zone grise, c'est aussi en raison des apparentements ethniques transfrontaliers : les peuples haoussas, fulanis et kanuris s'entraident ou s'opposent au-delà des frontières des différents États. C'est ce qui fait la force mais également les limites - ethniques, précisément - du groupe Boko Haram. Autant il peut mener des raids au Cameroun, dont la frontière sépare artificiellement les Kanuris, autant il est bloqué dans ses actions vers le Sud, où sont majoritaires d'autres tribus, par ailleurs souvent chrétiennes, au sein des frontières étatiques nigérianes. C'est ce qui fait dire à David Blair que Shekau, le chef de Boko Haram, "est sûr de pouvoir tenir le territoire où habitent ses frères kanuris, mais son pouvoir est plus faible là où d'autres groupes sont plus puissants." Et le journaliste britannique de conclure : "Boko Haram dispose de transports blindés, de canons antiaériens et de lance-roquettes, autrement dit, des armes lourdes d'une armée conventionnelle. Mais en dépit de toute cette puissance de feu, son expansion pourrait bien être endiguée par les frontières invisibles de l'ethnicité."

Qu'elle soit étatique ou ethnique, juridiquement établie ou de l'ordre du symbolique, la frontière reste donc une notion essentielle à la compréhension du monde tel qu'il est.

Pour aller plus loin :

  • "Boko Haram : religion et frontières en Afrique", note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble Ecole de Management, n° 151, 05/02/2015 - lien direct sur notes-geopolitiques.com
  • Site du Festival de géopolitique de Grenoble : www.festivalgeopolitique.com

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