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«Les délices de Tokyo»: à déguster lentement

Film lent empreint d'une poésie désarmante, la magie culinaire desest aussi une représentation fidèle d'une société à cheval entre deux générations.
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Les délices de Tokyo est une nouvelle coproduction franco-germano-japonaise qui est en salles au Québec depuis le 5 août. L'histoire, comme le titre l'indique, prend place à Tokyo, dans un petit restaurant peu achalandé et spécialisé dans les dorayaki (un dessert sucré typiquement nippon). Son gérant Sentaro (Masatoshi Nagase) est tout de même à la recherche d'un bras droit. Pourtant, le seul être à se manifester est Tokue (Kirin Kiki), une dame de plus de 70 ans qu'il éconduit poliment, jusqu'à ce qu'il goûte à sa spécialité. Dès lors, une belle amitié teintée d'un réel respect s'installe entre ces deux êtres empreints de mélancolie.

Adaptation d'un roman de Durian Sukegawa par la réalisatrice Naomi Kawase, Les délices de Tokyo est un film lent, mais que l'on déguste lentement, du début à la fin. Empreint d'une poésie désarmante, c'est aussi une représentation fidèle d'une société à cheval entre deux générations qui sera peut-être bientôt en perte de repères.

D'hier à aujourd'hui

Les dorayaki, c'est essentiellement deux petits pancakes dans lequel on insère une sauce aux haricots sucrés. Sentaro les reçoit en conserve et n'a plus qu'à les étendre sur les galettes, ce qui donne un dessert correct, mais sans plus. Au départ, il hésite à engager Tokue en raison de son âge avancé et de ses mains tremblantes, mais c'est après avoir goûté à sa propre sauce maison qu'il accepte de l'engager. Certes, la façon d'apprêter les haricots est extrêmement laborieuse et prend plusieurs heures, mais dès que les clients y goûtent, le bouche à oreille fait vite son œuvre et les clients font même la queue pour en acheter.

Malheureusement, des nuages ne tardent pas à s'amonceler sur leurs têtes. C'est que la propriétaire du restaurant a découvert que Tokue est une ancienne lépreuse et qu'elle habite toujours dans un sanatorium. C'est que depuis 1953, des patients atteints de cette maladie ont été internés loin du reste de la société jusqu'à ce qu'en 1996 une loi vienne mettre fin à cet isolement et que l'on reconnaisse les progrès de la médecine en ce sens. Malheureusement, les préjugés ont la vie dure et dès que l'on découvre la vérité sur Tokue, les clients désertent.

Sentaro, la mort dans l'âme, se voit contraint de la renvoyer, mais plus rien ne va. Quelques mois plus tard, il se décide à aller la visiter avec Wakana (Kyara Uchida), une jeune fille qui s'est liée d'amitié avec eux, question de faire amende honorable. Mais voilà, le temps presse puisque l'hiver approche...

Si l'on excepte les quelques festivals et le piratage sur internet, rares sont les films japonais qui se rendent jusqu'à nous, qui plus est en salles. Reste que dans Les délices de Tokyo, on retrouve dans un premier temps la même «magie culinaire» que dans The Hundred-Foot Journey, Les saveurs du palais et même Feed the Beast, à la différence qu'ici, une seule recette est mise en valeur, mais non la moindre. Très populaire au Japon, la façon dont est apprêté le dorayaki au début du film est un peu à l'image de notre société: comme le dit Sentaro à Tokue, la recette de sa pâte de haricots est un «secret industriel», en d'autres termes, des conserves bon marché probablement fabriquées ailleurs. En ce sens, on regarde avec fascination Tokue macérer ses haricots, non seulement avec précision, mais aussi avec amour, comme elle le dit elle-même: «la pâte de haricots est l'âme du dorayaki».

Les délices de Tokyo, en plus d'avoir valu un prix Hochi à l'actrice Kirin Kiki, a été projeté à Cannes.

En même temps, le film met bien en évidence le rapport différent de Tokue avec la nourriture, comparé aux plus jeunes générations qui ont grandi avec les McDonald's et autres chaînes de restaurants. Le vieillissement au Japon est alarmant puisqu'en 2014, 26 % de sa population était âgée de plus de 65 ans, et devant cette pâmoison, pour ne pas dire obsession envers la jeunesse, on oublie peut-être tout l'apport encore précieux des aînés à leur pays. Tokue est prête à voir son salaire réduit des deux tiers seulement pour avoir la chance de travailler et ainsi garder le contact avec la société. Et on le voit ici, l'expérience est plus que positive. Ironiquement, après son départ, la propriétaire annonce qu'elle va revamper le restaurant afin d'attirer une clientèle plus jeune, en plus d'imposer son neveu arrogant comme nouveau chef...

Reste la politique cruelle, que l'on dénonce, adoptée envers les lépreux. En en parlant, c'est comme si Les délices de Tokyo, avec sa petite contribution, venait apporter un baume au cœur de toutes les victimes de ces mesures inutilement drastiques.

«Birds are lucky, they are free»

C'est la phrase que prononce Tokue à Wakana au milieu du film, laissant paraître une certaine mélancolie de la part de la protagoniste. C'est qu'en plus d'avoir été isolée du reste de la société par une loi gouvernementale injuste, un autre de ses rêves s'est brisé: celui de n'avoir jamais pu être professeure de poésie comme elle le souhaitait, puisque les aléas de la guerre l'en ont privé.

Mais si elle a dû faire face à de nombreux sacrifices dans sa vie, elle a tout de même continué de rêver et de voir la vie sous son meilleur jour, comme en témoigne la mise en scène. Ce sont d'abord les cerisiers en fleur (des plans qui reviennent quasiment à chaque scène) dont le bruissement des feuilles au vent, semblable au vol des oiseaux, comme elle le précise, l'ont amené jusqu'à Sentaro. Celui-ci est endetté, boit beaucoup trop et accueille cette étrangère comme s'il s'agissait de son ange gardien. Leur symbiose, dans un premier temps, puis leur séparation s'accompagne de plans des arbres dont les feuilles changent au gré des saisons, passant du printemps à l'hiver. Lorsque Wakana la visite au sanatorium, elle lui apporte un canari pour la réconforter, mais aussitôt seule, la vielle dame le libère: au moins l'oisillon, lui, pourra prendre son envol...

Les délices de Tokyo, en plus d'avoir valu un prix Hochi au Japon à l'actrice Kirin Kiki et d'avoir été projeté au festival de Cannes en 2015 dans la catégorie «Un certain regard», aura aussi réussi à susciter la curiosité quant au dorayaki, ce dessert peu connu. Pour preuve, à la fin de semaine de sa sortie début janvier en France, on a installé des boutiques éphémères pour permettre aux curieux d'y goûter.

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